La chanteuse marocaine, extrêmement populaire, s’est éteinte la nuit dernière à Rabat, à l’âge de 91 ans. Elle fut l’une des grandes voix de l’aita marsaouiya, un genre qu’elle aura contribué à faire rayonner bien au-delà du Maroc.
Haja Hamdaouia n’est plus. Elle a succombé à un cancer la nuit dernière, et avec elle s’est éteinte sa voix, qui lançait l’aita : littéralement « l’appel », un chant à l’origine rural dont le style varie en fonction des régions marocaines où il a prospéré. L’aita d’Haja Hamdaouia est né dans le giron du port (marsa) de Casablanca, où elle vit le jour en 1930, en pleine époque coloniale. Car l’aita des champs a évolué avec ceux et surtout celles qui, comme Hamdaouia, sont venus ou sont nés à la ville. Aux fêtes de mariage et aux célébrations des saints où le genre s’épanouissait, les cabarets des villes vont offrir de nouveaux espaces d’expression, mais aussi une réputation des plus sulfureuses puisque ces lieux où l’on vend de l’alcool sont aussi ceux qui voient fleurir la prostitution. Cela dit, les cheikhats et les chioukhs (maîtresses et maîtres) qui chantent l’aita vont conserver ce rôle essentiel : celui de chroniquer l’actualité, exprimer les sentiments des populations, ou parfois de raconter les histoires scabreuses que la moralité et la religion préfèrent taire. Une histoire somme toute assez comparable (pardon pour les puristes) avec celle du raï dans les cabarets oranais.
Mais revenons à Haja Hamdaouia, qui se fait connaître dès les années 50 d’abord au théâtre, mais aussi en signant ses premières chansons dont certaines, résolument anticoloniales, l’obligeront à se cacher (jusqu’au retour du roi Mohamed V d’exil, en 1955). Elle connaît un succès fulgurant en faisant les belles heures du Cabaret Le Coq d’Or dans le quartier Mâarif de Casa. Et comme de l’aita au chaâbi il n’y a qu’un pas, elle contribue à la musique nationale en ajoutant sa pierre à l’édifice : ses textes bien sûr, mais aussi en suivant l’introduction du violon, de l’oud et plus tard des synthétiseurs qui trouveront leur place dans le chaâbi. « Djaba Yi » (vidéo ci-dessous), « Jiti Majiti », « Ajay y Dir » font partie de ses chansons les plus connues.
Les années 80 voient l’effacement progressif des cabarets et des cheikhates, et Haja Hamdaouia disparaît de la circulation jusqu’ au tournant des années 2000, où elle retrouve le chemin des scènes, comme la diva d’un genre que les jeunes commencent à redécouvrir et dont elle constituait, jusqu’à hier, l’une des mémoires vivantes. Le festival du Rai d’Oujda ou encore le Festival des Andalousies Atlantiques en 2018 lui ont rendu hommage en l’invitant sur scène avec son éternel bendir (tambour joué par les chanteurs et chanteuses d’aita). Elle avait alors partagé la scène avec une autre reine du genre, Raymonde El Bidaouia.
En 2020, elle avait annoncé sa retraite définitive, affaiblie par la maladie, en estimant avoir assez donné à la chanson marocaine, et bien au-delà, maghrébine, car son public dépassait les frontières de son pays. De fait, elle reste une référence pour tous les amoureux du chaâbi. Que la terre lui soit légère, comme l’était son aita.