Après quelques galères techniques et administratives, Tout le Monde et Personne du Burkinabé Black So Man est enfin disponible en vinyle. Le patron du label Secousse, Étienne Tron, revient sur l’histoire de cette réédition essentielle.
Il y a 20 ans, Black So Man perdait la vie dans un accident de voiture, stoppant prématurément son ascension artistique. Le chemin du star system s’était progressivement ouvert devant lui au fur et à mesure des sorties, quatre petites cassettes qui ont résonné dans toute l’Afrique de l’ouest. Encore gravé dans les mémoires de toute une génération, le chanteur n’a pourtant laissé que très peu de traces physiques de son passage. Le label Secousse a décidé d’y remédier en rééditant et en remasterisant son classique de 1998 Tout le Monde et Personne pour la première fois en vinyle, en particulier grâce à son fils Ange Fela Traoré et son ex-femme Adji Sanon, à qui 50% des bénéfices sont reversés. « Avec le recul, je trouve l’album plus ‘gonflé’ comme on dit dans notre jargon ! » nous dit cette dernière. « J’ai eu l’impression de redécouvrir la chanson qui m’est dédiée ». Secousse nous offre d’ailleurs la version rare et clippée de ce morceau « Adji », l’une des titres phare de l’album. « Les thèmes qu’il aborde et son écriture m’inspirent à faire des chansons engagées », continue celle qui est aussi chanteuse. « La preuve, sa musique traverse le temps et les époques ! » Si des problèmes de droits, de délais et de pressage ont retardé la sortie, la galette est aujourd’hui prête à squatter votre platine, l’occasion pour PAM de revenir avec Etienne Tron sur cette réédition indispensable qui s’est faite dans la douleur.
Dans ta vie de « rééditeur », que représente celle-ci pour toi ? A-t-elle une saveur particulière ?
Une immense fierté, parce que Black So Man est un artiste majeur, que cet album est un chef d’œuvre inclassable et unique. Sa popularité est toujours immense d’ailleurs, même 20 ans après la sortie. Les fans de la première heure ne l’ont jamais lâché, et chaque année de nouvelles générations découvrent sa musique. Malheureusement, j’ai aussi un petit arrière-goût un peu amer quand je pense à cette réédition qui a été extrêmement compliquée à faire aboutir. Le disque a été produit à une époque où les contrats étaient extrêmement désavantageux pour les artistes. C’est encore aujourd’hui le cas et c’est un vrai combat légitime à mener je pense. Je n’ai jamais réussi à obtenir le droit de distribuer le disque en digital malgré l’appui de la famille de l’artiste, elle aussi très lésée par le producteur historique.
Tu as aussi rencontré des problèmes de pressage…
Oui, l’autre immense difficulté rencontrée a été le pressage du vinyle. L’ingénieur du son qui réalise d’habitude les laques de mes vinyles (la matrice qui permet de graver ensuite toutes les copies du pressage) a eu une panne de matériel, et m’a recommandé un autre ingé avec lequel je n’avais jamais bossé. Celui-ci a complètement changé le son du disque avant de graver la laque, sans me prévenir, en coupant beaucoup de fréquences basses notamment. Je n’ai pas fait de test pressing pour gagner du temps, car les délais de production sont extrêmement longs à l’heure actuelle. Résultat, j’ai reçu mes 500 vinyles et réalisé avec horreur que le son était pourri ! J’ai tout jeté, tout refait à mes frais. Je ne suis pas près de gagner un centime dans cette histoire… Mais aucun regret.
Quelle est la chanson ou l’événement qui t’a donné envie de rééditer cette œuvre ? Comment as-tu découvert cet album à l’origine ?
Je ne me souviens plus comment j’ai découvert ce disque, qui est un vrai « classique » de la musique afro. Ça faisait au moins une dizaine d’années que je l’écoutais dans sa version cassette. Un des déclencheurs de ce projet a été de voir un documentaire qui s’appelle L’Ombre de Black, réalisé par Gideon Vink en 2012. Là j’ai vraiment pris conscience de l’envergure du personnage et j’ai trouvé ça dingue que sa musique soit si peu accessible et si mal conservée malgré les millions de vues sur YouTube.
Comment s’est passé le processus de réédition ? Quelle a été la réaction de son ex-femme et de son fils lorsque tu les as sollicités ?
A part les difficultés déjà évoquées, ce projet représente pour moi une très belle rencontre en la personne d’Adji, la veuve de Black So Man et la mère de son fils. J’avais déjà entendu parler d’elle car une des meilleures chansons de l’album porte son nom. D’après la légende, elle aurait rencontré Black en vendant des places à un de ses concerts, et ne l’aurait plus quitté ensuite. C’est une femme extrêmement forte et dynamique, elle-même chanteuse, animatrice radio, patronne de restaurant, etc. La vie est loin d’être facile pour elle et son fils, et elle se bat tous les jours avec une énergie folle. Elle aussi est très populaire auprès de la diaspora ivoirienne et burkinabé. Je suis fier et reconnaissant de la confiance qu’elle m’a accordée pour mener à bien ce projet.
Comment décrirais-tu le style hybride de Black So en quelques mots ?
C’est très difficile ! Sa musique est à la croisée de beaucoup de chemins, on l’associe souvent au reggae africain, on parle de musique afro pop, il y a aussi clairement une influence de musique de danse ivoirienne prononcée, avec des traces de zouglou, mais j’y entends aussi des similarités avec la street soul anglaise, et les débuts du hip hop… Il y a probablement beaucoup d’autres genres et artistes qui l’ont influencé. Pour résumer, il s’agit véritablement de musique ‘pop’, dans tous les sens du terme.
L’album est toujours disponible ici !