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The Pan African Music Magazine
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Les Racines : Farka fait du neuf avec du Vieux

Cinq ans après son dernier album studio, Vieux Farka Touré revient sur les traces de son père, feu Ali Farka, avec Les Racines, un sixième disque aux sonorités plus traditionnelles qui sonne comme un voyage intemporel aux sources du blues. Interview.

Au sud de Tombouctou, sur les rives du Niger, une autre petite ville a fait rêver le monde entier. Deux cents ans après le voyage de René Caillé à Tombouctou, Niafunké a fait entrer son nom dans l’histoire, par la musique, avec Niafunké, un merveilleux disque de blues malien enregistré en 1999 par Ali Farka Touré. Depuis, le génial guitariste malien a disparu (en 2006), et son fils, Vieux Farka Touré, a repris le flambeau en menant le blues du fleuve Niger vers d’autres horizons (en solo ou avec le pianiste israélien Idan Raichel, avec le groupe de rock sud-africain BLK JKS ou sur scène avec Shakira, Alicia Keys ou K’naan). En 2012, avec l’arrivée des rebelles et des troubles au Mali, la famille a dû quitter Niafunké, mais le jeune Vieux a choisi de rester vivre au Mali. Aujourd’hui, couronné par l’expérience d’une carrière musicale lumineuse, Vieux Farka replonge enfin vers ses racines et la tradition de son père qui lui avait interdit de jouer de la guitare. Les Racines est un disque planant plus que jamais habité, dans un Mali troublé, par le souci d’unité et de paix. 

Ton nouveau disque s’appelle Les Racines, pourquoi ce titre ?

C’est simple : ça fait plus de dix ans que je voulais faire ce disque pour revisiter la qualité de la musique que mon père faisait ! Je voulais faire un album traditionnel de compositions personnelles inspirées de la tradition songhaï, mais je n’étais pas prêt à aller vers ce chemin. C’est très difficile quand ton père est un immense musicien : tout le monde t’attend au tournant ! Il te faut d’abord créer ton propre tampon, imprimer ta propre marque. Jusque-là, j’avais besoin de dire : « voilà je suis Vieux Farka », avant de retourner chez moi auprès de ma tradition. Souvent les gens me demandaient pourquoi je ne faisais pas la musique de mon père et je répondais toujours que je devais d’abord tracer mon propre chemin, créer ma propre atmosphère. Et aujourd’hui je me suis dit qu’il était temps de reprendre le flambeau. Revenir aux racines, c’est un nouveau départ pour moi.

C’est le confinement qui t’a permis de « rentrer à la maison » pour faire ce disque ?

C’est toute une réflexion qui me travaille depuis très longtemps, mais j’ai commencé à m’y mettre avec cette pause mondiale et la fin des tournées et des voyages, ce qui m’a permis de me poser. Tout à coup, j’ai eu le temps de réaliser ce que je voulais faire. Je cherchais une sonorité très particulière. Je n’ai jamais passé autant de temps ni travaillé aussi dur sur un album ! J’ai voulu jouer avec la guitare de mon père pour recréer ce son et puis j’ai travaillé avec Jerry Boys, l’ingénieur du son qui a collaboré des années avec mon père. Jerry a fini le boulot !

Quand as-tu eu conscience de tes racines ? 

J’ai grandi avec ça, je ne me souviens même pas d’une prise de conscience. Chez nous, la tradition et la famille c’est primordial, c’est en toi à la naissance. Tu as conscience que tôt ou tard tu devras revenir à la tradition car c’est notre socle, notre identité.

Le fleuve Niger si important pour Ali Farka Touré, c’est aussi une des racines de ta musique ? 

Bien sûr ! Les Songhaï sont à Gao, en passant Timbuktu ou Niafunké. On vit entre le désert et le fleuve. C’est cette tradition que je veux perpétuer, c’est toute une culture qui se transmet à travers la musique. C’est une très grande source d’inspiration. Chaque année, je passe du temps à Niafunké et Tombouctou pour causer et prendre du temps avec les vieux et les jeunes et mieux comprendre dans quel monde on vit. Comme mon père, je chante beaucoup le social, je me dois d’être aux côtés des populations. Et malgré la situation, même si je vis à Bamako, personne ne peut m’empêcher de rentrer chez moi. Ce n’est pas quelques barrages qui vont me stopper ou m’empêcher de prendre la route que prenait mon père. Il y a des moments où c’est un peu compliqué pour notre sécurité, mais on ne peut pas céder à la peur ! 

À Niafunké, Ali Farka n’était pas qu’artiste, il était M. le Maire et agriculteur. 

Je suis son chemin, je suis moi aussi dans l’agriculture, à l’écoute de la vie du village et du social. Impossible de laisser tomber ça. C’est une grande responsabilité, ce n’est pas facile, mais que faire ? C’est notre destin ! Ça nourrit ma musique.

Ta relation à la musique est d’abord passée par la percussion avant la guitare.

Mon père ne voulait pas que je choisisse la musique, mais la guitare c’est un instrument que j’ai dans le cœur et dans l’esprit, c’est toute une vie ! Je suis devenu percussionniste en 1994, mais quand j’ai étudié à l’Institut National des Arts de Bamako en 2001, les profs m’ont dit : « mais il faut tenter la guitare, on ne pourra rien t’apprendre ici ». En 2001, j’ai appris la guitare et ça m’a paru très facile, c’était comme une évidence. Y’a certaines choses qui sont des dons, même moi, je ne peux pas expliquer comment j’ai pu apprendre aussi vite…

Tu n’avais jamais joué de guitare avant 2001 ? 

Mon père, Ali, était très strict. Il m’avait interdit de jouer de la guitare et même de devenir musicien ! Il voulait que je devienne fonctionnaire d’État, que j’intègre l’armée ou quelque chose comme ça. J’ai même intégré le camp militaire de Soundiata Keïta de Kati, mais je n’ai jamais porté d’arme car je suis contre la violence. 

Kiss Diouara
Quelle a été ta relation de travail avec Nick Gold, producteur historique d’Ali Farka Touré, et patron de World Circuit ? C’était la première fois que vous avez travaillé ensemble ?

Oui c’est une première. C’est compliqué de travailler avec Nick Gold parce que ce n’est pas n’importe qui : c’est un père pour moi ! Il a voulu attendre que je fasse d’autres projets avant de collaborer. Pour ce disque, c’est comme si Ali était avec moi, donc c’était une très grosse pression pour moi de travailler avec lui. Nick est très exigeant. Il ne parle pas beaucoup, mais quand il parle, il parle ! Le jour où j’ai enfin soufflé, c’est quand il m’a appelé pour me féliciter pour l’album. C’était comme si Ali Farka venait me dire : mon fils, tu as bien travaillé ! Quand tu viens d’un monde musical de rock et de pédales etc., soudain revenir à la tradition, à ce monde de savoir, ce n’est pas facile, surtout quand tu sais que Nick Gold est le producteur. C’était vraiment marcher sur les traces de mon père ! Sans aucun artifice. 

Sur ce disque, tu as écrit un titre pour ton propre fils, Adou?

J’ai toujours enregistré des titres en hommage à mes quatre enfants, comme Ali, Hawa ou Amana. Pour moi, les enfants, c’est très important, c’est pour ça que je m’occupe d’orphelins à travers la fondation Ali Farka Touré et Amahrec Sahel. Le jour de l’enregistrement de ce titre, c’était l’anniversaire Adou, donc j’ai voulu lui rendre hommage.

Tes enfants sont-ils élevés dans la musique ? Tu leur interdis aussi de jouer de la guitare ?

Avec un père musicien, ils sont forcément élevés dans la musique, mais je ne veux pas qu’ils deviennent musiciens non plus car aujourd’hui c’est devenu trop dur de vivre de la musique, les CD et les cassettes ne se vendent plus. Mon fils adore la guitare. Je ne veux pas qu’ils deviennent musiciens, mais je ne peux pas changer leur destin, si eux aussi doivent devenir musiciens, ça arrivera…

Comment définirais-tu une relation père-fils ?

Les gens se compliquent la tâche avec ces questions, mais quand tu prends ton père comme ton cousin ou ton ami quand il te donne des conseils, c’est plus facile ! 

Amadou Bagayoko (du duo Amadou et Mariam) fait aussi partie de ta famille et de tes racines ?

J’aime beaucoup sa musique. Je suis fan de son jeu de la guitare. Pour moi, c’est un honneur qu’il puisse jouer sur mon album. Tout comme la famille Diabaté, il fait partie de ma famille. Toumani est mon parrain, je ne pourrais sortir aucun disque sans qu’il ne l’écoute. Mamadou Diabaté, le petit frère de Toumani est d’ailleurs sur Les Racines : c’est un très grand joueur de kora.

Ce disque se termine par « Ndjehene Direne », un morceau qui sonne un peu comme une cérémonie avec la voix de ton griot 

C’est celle de mon griot personnel, Yaya Dramé qui cite des gens exemplaires pour moi. Chez nous, c’est toujours le griot qui te montre la voie. Ce sont eux nos historiens et nos guides. Il faut que les gens sachent qui ils sont et où ils vont ! Ce titre, ça veut dire : on y va ensemble en peul ! Aujourd’hui, notre monde est très divisé, le Mali est divisé, même les familles sont divisées. Et pourtant, si les gens marchaient ensemble et arrivaient à se comprendre, la vie serait merveilleuse. Ce monde a juste besoin de paix et de cohésion sociale et de savoir-vivre ensemble … 

Tu penses projeter ces racines dans le futur, peut-être avec un nouveau remix d’Afrotronix avec qui tu as déjà travaillé ?

La musique est libre, chacun peut la prendre et la remixer en respectant les exigences du disque. J’ai beaucoup aimé le travail d’Afrotronix ! Moi aussi en tant que jeune, j’écoute beaucoup de nouveaux sons, rap, reggaeton, ou même de la musique classique ou Jean-Jacques Goldman ! Le genre que je fais, en réalité, je ne l’écoute pas beaucoup, mais j’écoute toujours beaucoup Ali Farka Touré ! 

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