fbpx → Passer directement au contenu principal
The Pan African Music Magazine
©2024 PAM Magazine - Design par Trafik - Site par Moonshine - Tous droits réservés. IDOL MEDIA, une division du groupe IDOL.
Le lien a été copié
Le lien n'a pas pu être copié.
Twarab+rap = Twarap, l’équation de Cheikh MC
Photo tirée du dernier clip de Cheikh MC, “Ahé”

Twarab+rap = Twarap, l’équation de Cheikh MC

Le pionnier du rap comorien confie à PAM son amour pour le twarab, musique chevillée au cœur de ses concitoyens, dont il s’inspire dans ses créations.

Aux Comores, Cheikh MC fait figure de pionnier en matière de rap. Né à Moroni en août 1978, celui qui se nomme Abderémane Cheikh pour l’état-civil a toujours voulu inscrire son flow au cœur du quotidien d’un pays et d’un peuple soumis à mille contraintes, comme l’absence de services publics et l’accroissement de la fracture sociale. Si sa parole porte auprès d’une jeunesse qui rêve de jours meilleurs, il n’entend pas couper les ponts avec l’ancienne génération. C’est en ce sens qu’il faut entendre et comprendre Djibuwé, énorme succès de 2017 où il tend le micro à la chanteuse Samra et fait un pont avec le twarab, la bande-son au cœur de l’ADN de tout Comorien. En mai dernier, juste avant de monter sur la scène du premier festival de musiques d’influences twarab qui se tenait à Moroni, il revenait en détail sur ce rapprochement « naturel » avec la musique dite traditionnelle.

Du twarab, tu connais plutôt la version avec les synthétiseurs et guitares…

Oui, même si j’ai pu voir un peu la transition. J’ai vu le oud, le violon, la mandoline, les congas, qui ont au fil du temps disparu de la scène. Il y avait aussi le kidumbak, une forme de basse avec une seule corde et une caisse, que nos parents appréciaient et qui différenciait notre twarab de celui de Tanzanie, d’Egypte ou d’Oman. Le twarab avait sa version classique, jouée dans les palais comme les Egyptiens, et puis la nôtre, plus originale, plus endiablée.

Cheikh Mc – Ahé | Clip Officiel (Twarap)

Il existait alors une production de disques ?

Un peu, et puis après des cassettes, mais nos parents écoutaient surtout la radio, qui diffusait beaucoup de twarab. La plupart des classiques en swahili ont été traduits en comorien, notamment à Anjouan.

Le twarab est en quelque sorte l’équivalent du vieux funk ou du rhythm’n’blues pour les Américains…

Exactement. Quand on est entrés dans cette culture hip-hop, on a voulu beaucoup s’éloigner du twarab pour créer le son de notre génération. Il n’était pas question de se mélanger. Et pourtant, dès ma deuxième chanson, Moroni, il y a des éléments du twarab : tu n’échappes pas à ta réalité. Sur ce titre, je cherchais à donner ma vision de Moroni en rappant, en la mélangeant à celle d’un ancien chanteur qui parlait aussi de notre ville.

Comme dans la plupart des musiques dites traditionnelles ou populaires, la dimension satirique et sociale imprègne les textes du twarab.

A une époque où l’on ne pouvait vraiment pas s’exprimer librement, c’était dans la poésie du twarab que des messages métaphoriques pouvaient passer pour qui savait lire entre les lignes. En faisant référence à des choses du quotidien mais aussi à des faits historiques, certains chanteurs évoquaient des problèmes bien plus profonds, une dimension politique qu’aujourd’hui nous arrivons à repérer. Je me souviens que ma mère me disait que les oiseaux dont parlait une chanson, c’était en fait les ministres de l’époque. Et puis il y avait aussi une dimension de clash, comme dans le rap, entre plusieurs chanteurs, et là encore ça pouvait toucher du doigt des problèmes. Il y a une chanson de twarab très poétique qui évoque l’état d’esprit des Comoriens au moment de l’indépendance, de l’apaisement, de la non violence qui nous différencie des autres pays. Il n’y a même pas eu une piqûre disait le texte.

Finalement le twarab a pu utiliser les mêmes codes que ceux des rappeurs…

Oui, j’ai toujours dit que nous avions plus hérités des anciens du twarab que les chanteurs actuels. On vit ces moments-là, on les écrit et on les chante aussi. Comme quand j’ai commencé à chanter en comorien et que je voulais toucher les Comoriens : une chanson comme « Msadjadja”, qui peut se traduire par « le bordel », traitait plusieurs faits d’actualité qui touchent autant à la politique qu’au social.

Il est donc naturel que les rappeurs réinvestissent le twarab…

Plus jeune, j’avais le complexe du rappeur engagé, hardcore, où je ne me voyais pas chanter de manière mélodique, comme c’est le cas dans le twarab. Ça a pris du temps avant d’oser faire vraiment le saut : mais aujourd’hui mon plus gros succès, “Djibuwe” sorti en 2017, repose sur un twarab. Toute mon équipe a fait de la résistance en studio, mais j’y suis quand même allé. J’ai appelé une fille pour qu’elle pose le texte twarab, et voilà, c’est devenu un gros classique. Le texte tout en ironie critique la vieille noblesse, pour dire que les temps ont changé, que ce n’est pas parce que ton père a fait ceci que tu dois te la raconter. Je viens d’un milieu moins fortuné, et alors ? Moi, j’ai travaillé, j’ai autant de choses à prétendre. Et puis c’est quand même la première de mes chansons sur laquelle ma mère a dansé.

CHEIKH MC feat. SAMRA – Djibuwe (Clip Officiel)

Et du coup comme le twarab, ta musique a pris une dimension intergénérationnelle…

Oui, de 7 à 77 ans. Les bébés comme les grand-mères peuvent s’y retrouver! Ce truc de repartir de sa tradition est déjà présent sur le premier album des PBS, Boul Falé, où ils rappaient wolof et avaient mis pas mal de m’balax. Ils sont à l’aise, comme les Américains le sont en samplant et citant leurs classiques soul et funk. Pourquoi je ne ferais pas pareil avec notre musique, au lieu de chercher dans des styles que je n’ai pas écoutés enfant? Et puis franchement, le rap US, je l’aime par les Américains. Moi je suis Comorien, et je dois jouer avec ce qui fonde mon identité. C’est aussi là qu’on a été puiser dans Boubou, la danse des esprits. Du coup quand je vais me produire à Marseille, je réunis tout le monde : les gamins qui apprécient le flow comme leurs mamans.

La danse est une autre dimension importante dans le twarab…

J’aime aussi cet aspect : depuis mon enfance, c’est comme ça, s’il y a un twarab dans le quartier, j’y vais pour le plaisir. Je m’éclate. Il y a la musique, le rythme, et puis toutes ces chansons que tout le monde connaît et reprend, avec des mimiques qui vont avec. Le twarab, ça fait transpirer !

Cela a changé ta façon de prendre le micro ?

La poésie comorienne a influencé les chanteurs actuels, et cela change forcément la nature de ton flow. Des choses comme le faswaha, quand quelqu’un prend le micro en improvisant pendant une heure dans un mariage un peu à la manière des griots, et crée des émotions chez le public, je peux aussi m’en nourrir. Les intonations, la manière de phraser, le storytelling, il y a beaucoup à apprendre d’eux. Et ce flow-là, les Américains ne l’ont pas. C’est comme ça aujourd’hui que j’arrive à poser ma voix sur un rumbu, un rythmique ternaire plus complexe que le twarab. C’est ma culture, et c’est à moi de la valoriser. Et puis tous les Comoriens ont gardé un côté oriental dans la mélodie, même Soprano si tu écoutes bien. Dans ses chansons, il y a des traces de mélodies de nos mamans !

Toi qui fais figure d’aîné dans le hip-hop comorien, sens-tu pareille dynamique chez les plus jeunes ?

Je pense qu’il se crée actuellement deux écoles : certains dans une veine américaine, avec du freestyle, et d’autres plus inspirés par notre langue, notre manière de chanter la poésie, ce que je nomme le twarap. On commence à voir apparaître des reprises de la tradition, des citations, souvent sous forme d’un refrain au milieu d’un couplet au lieu d’assumer pleinement. Mais c’est en marche, et il était temps. Il y a aussi l’influence de Nyora, « étoile » en comorien, un concours de chant télévisé où beaucoup de jeunes font du twarab, parce que le public en est friand. J’espère que les rappeurs vont adhérer à cette idée, et je me verrais bien sur scène avec un réel ensemble de twarab, violon, percussions, et mon DJ. Ça peut vraiment être mortel ! Diamond (Diamond Platnumz, ndlr) l’a bien fait, en reprenant les classiques twarab de Tanzanie , même s’il parle d’afro-pop. Ça n’a rien de pop : en fait, ce sont des chansons reprises par un petit jeune mais que je connaissais enfant. Ce serait bien qu’il crédite les anciens.

CHEIKH MC feat. MWENYE MMADI – Rumbu Kali Nyama (Clip Officiel)

Ils repartent souvent de la version « synthétique » du twarab…

Oui, c’est un peu la facilité. Moi j’aime bien les instruments, pousser les expériences en studio, créer des sons qui n’existent pas dans les ordinateurs. Je l’ai fait avec nos dzendze. On me dit le VST (Virtual Studio Technology, nda), moi je préfère les percus ! Je suis très décomplexé vis-à-vis du twarab, c’est ma musique et si demain je vais à un twarab, je mets mon costume et je chante comme tout un chacun. C’est ce que j’ai fait pour un petit frère qui se mariait : l’orchestre de Salim Ali Amir au grand complet avait répété Djibuwé, et moi je l’ai interprété. Tout le public a déliré. Une pure énergie !

Un artiste que tu as produit, Dadiposlim, le fait aussi à sa façon…

Bien entendu. Il a un énorme niveau en musique orientale, maîtrisant la lecture du coran, et c’est d’ailleurs comme ça qu’il a pu se faire repérer dans The Voice. Au départ, il venait avec des titres américains, mais c’est quand il a repris le twarab de Diamond, qui a partagé la vidéo. Ça a cartonné. Et aujourd’hui, il enregistre avec Diamond lui-même.

Inversement le twarab a connu une « modernisation »…

Ça crée beaucoup en ce moment, avec ce côté populaire et très humoristique qui prend le dessus, comme du clash. Il suffit de regarder ce qui marche sur TikTok : une jeune fille de Marseille va kiffer une musique twarab. Et en même temps Salim Ali Amir continue de créer et moderniser ce répertoire, tout en faisant aussi des albums de twarab classique.

Néanmoins, comment expliques-tu le manque de notoriété de cette musique au-delà de sa communauté ?

On n’a jamais cherché à vendre ou exporter le twarab, c’est comme si c’était nos maisons, sans songer à les faire visiter à d’autres. Je ne sais même pas si les Comoriens considèrent le twarab comme une musique comme les autres. C’est la plus consommée, mais elle demeure très communautaire. Ici, chaque village a la sienne. En France, à Paris ou Marseille, des DJ commencent à placer des morceaux, et des gars peuvent chanter dessus. C’est le cas avec Mka Ayetshe, le dernier grand classique de Salim Ali Amir qui est plutôt speed !

Le festival dans lequel tu te produis en première partie de Salim Ali Amir a pour ambition d’accroitre cette notoriété…

Oui, incontestablement, et j’aime bien l’idée de rassembler des musiques d’influences twarab, une musique qui est passée un peu partout. C’est le cas de Soubi, qui joue plutôt un blues bantou, mais ne sommes-nous pas, avant d’être « orientalisés », des Bantous ?! J’ai eu l’occasion de faire une formation avec lui auprès de professeurs tanzaniens : j’apprenais à jouer le oud, à lire et écrire, et lui débarque. Il sort son instrument, le gambusi, et commence à chanter. Là, ça n’a pas manqué : les professeurs ont voulu étudier sa musique !

Photo © Interface Prod, avec l’aimable autorisation de l’Alliance Française de Moroni
Chargement
Confirmé
Chargement
Confirmé