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The Pan African Music Magazine
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Peter Tosh : légaliser l’héritage de l’autre icône du reggae

Yin et Yang. Bob Marley a souvent symbolisé l’arrivée du reggae dans les oreilles occidentales. Mais la postérité oublie souvent l’apport d’un autre  Wailer original : Peter Tosh, assassiné le 11 septembre 1987.

Le meurtre d’un artiste précède souvent la fin d’une époque, la putréfaction brutale et visible du terreau des années qui ont fait le succès de cette légende tant admirée mais qui a aussi cristallisé des haines protéiformes. Ca tourne vinaigre, et l’icône s’efface impitoyablement. Elle se tait ! Mais Peter Tosh, lui, a été assassiné entouré de ses amis, chez lui, par des voyous du ghettos qu’il avait lui-même côtoyés… Sans doute est-ce la postérité du solaire Marley qui a fait de l’ombre à sa vie, et à sa fin brutale.

Comme pour d’autres meurtres de figures noires populaires (Sam Cooke, Tupac, Lucky Dube, Malcolm X et d’autres), Tosh a bien un meurtrier identifié, mais l’affaire est comme souvent plus complexe et nimbée de silences… Sa mort résume peut-être elle-même la vie de Peter Tosh, qui a souvent chanté le ghetto, qui s’est battu toute sa vie y compris juste avant de mourir, et qui se demandait encore, dans « Fools Die », pourquoi tuer son propre frère ? « Tosh était comme un Malcolm X, on sentait ces vibrations quand il s’exprimait ! Il était révolutionnaire, il avait trop de puissance pour certains, il dérangeait », résume le dub poète Mutabaruka.

Jamaican Nightmare

Le 11 septembre 1987, à l’aube de ses dernières heures sur terre, Peter Tosh est devenu une star internationale, il a tourné et enregistré avec les Rolling Stones, il est allé chanter en Afrique, il y a vu des sorciers et des guérisseurs, et l’ex-Wailers s’est installé dans le quartier chic de Barbican à Kingston. Loin du ghetto. 

Ce soir-là, il est avec sa femme, Marlène, et des amis, dont le musicien Santa Davis, Milton Brown et Michael Robinson. Le chanteur entend des chiens aboyer. Robinson est envoyé voir à la porte. Trois hommes armés réussissent à entrer dans la propriété. Parmi eux, Leppo, une vieille connaissance que Tosh a aidé après sa sortie de prison où il avait été envoyé pour meurtre de policiers.

Des rumeurs disent que le fameux Leppo venait d’ailleurs régulièrement réclamer de l’argent à Tosh. Peter Tosh semblait ne craindre personne. Le verbe haut, le fan d’art martiaux qui braquait sa guitare en forme de mitraillette et son spliff sans sourciller devant le public a plusieurs fois été passé à tabac par la police, mais il a toujours expliqué qu’il ne vivait qu’avec une peur, celle du mal et des fameux duppies, ces mauvais esprits, dont il parle dans les cassettes autobiographiques qui feront la matière du film Stepping Razor.

Walk & Don t Look Back – Peter Tosh & Mick Jagger

Mais ce soir-là, la menace est bien humaine et palpable : les gunmens lui réclament de l’argent ! À ce moment-là, débarquent l’animateur Free I Dixon (avec qui Peter Tosh avait alors le projet de monter une radio rasta) et sa femme Joy. Les agresseurs ouvrent le feu et tuent Tosh, Free I et Milton Brown, et blessent grièvement Santa Davis. Peu après, Leppo se rend à la police, il échappera finalement à la peine capitale mais ne révèlera jamais le nom de ces acolytes et se dira finalement innocent. 

« À cette époque, vu ce que l’on chantait, on pouvait s’attendre à tout de n’importe où », soufflait Bob Marley, après avoir miraculeusement échappé à des mystérieux agresseurs venus lui tirer dessus en 1976, après son soutien à la campagne du premier ministre Michael Manley. L’assassinat de Tosh survient lui aussi en pleine campagne électorale tendue. « La société jamaïcaine n’était pas encore prête à voir diffuser les idées rastas sur un média radiophonique », souffle Joy Dixon, la veuve de Free I dans le film Stepping Razor qui évoque la création de cette radio rasta.

Depuis la mort de Peter Tosh, l’auteur du tube « Legalize It », la Jamaïque a effectivement changé : Irie FM est devenue une radio reggae officielle, et depuis 2015, l’herbe est légalisée, on ne fume plus les variétés sensimilia ou « crotte de bique » (goat shit) qu’affectionnait Tosh, mais de l’American Dream ou de l’Amnesia Haze.

Legalize It

Pourtant Peter Tosh a eu beaucoup de mal à enregistrer son premier disque solo, Legalize It, dont la fameuse pochette le met en scène dans un champ d’herbe. « On s’est battu pour faire le premier disque sans argent, » explique Lee Jaffe, auteur de la pochette, producteur et musicien. « C’était pas évident de trouver des partenaires ou un label, on a mis plus de deux ans car les gens avaient peur de Peter. » On est en 1976, Marley est alors en pleine ascension, mais Peter Tosh peine à faire décoller sa carrière solo depuis son départ des Wailers. Pourtant; il est lui aussi un immense compositeur, et l’auteur de plusieurs tubes dont le fameux « Get Up, Stand Up ». Tosh, qui aimait rappeler qu’il avait appris la guitare à son cadet Marley, aura maille à partir avec Chris Blackwell, le producteur d’Island, qu’il suspectera toujours d’avoir mis le métis Bob en vitrine.

Quelques années après la scission des Wailers, Peter Tosh (en tournée aux USA avec les Rolling Stones) retrouvera quand même Bob Marley sur sècne par surprise sur scène en Californie pour chanter son couplet. A la fin il lui aurait même dit en lui tapant dans la main : celle-là le pape a dû la sentir passer ! 
Peter Tosh, Bunny Wailer et Marley avaient de nombreux points communs : ils étaient tous des jeunes campagnards venus se trouver (ou se perdre ?) à la capitale quand ils se sont rencontrés, à la périphérie de Kingston, à Trenchtown. Tous avaient grandi sans père et ont très vite été pris sous l’aile de quelques mentors rastas comme Joe Higgs, Vincent Tata Ford, Mortimer Planno, qui les ont aidé à façonner leurs talent musicaux et ont contribué à faire des Wailers le trio historique qu’il est devenu. « Ensemble, ils étaient une vraie famille, et ils avaient d’ailleurs tous de vrais liens familiaux, ça les a lié et sûrement aidé à développer leur art ! », explique Neville Garrick, auteur de nombreuses pochettes de Bob Marley and the Wailers.

Peter Tosh – Legalize it (HQ) Videoclip

Simmer Down

Leur travaille paye dès le début des années 60, ils sont alors jeunes et rasés de près. Après une audition réussie pour Coxsone, les Wailers enregistrent leur premier morceau au Studio One. « La première fois que j’ai rencontré Bob, Peter et Bunny, je travaillais avec les Skatallites au Studio One », nous expliquait le regretté trompettiste Johnny Dizzy Moore. « On a vu qu’il y avait quelque chose d’unique chez ces jeunes gens. À cette époque, on ne répétait pas les chansons elles-mêmes, on jouait des harmonies, des gammes, on apprenait à distribuer les notes et les idées et puis on injectait tout ça dans la musique. Je crois que c’est cette méthode qui rendait la musique si unique  parce qu’il y avait une touche personnelle dans le son. »

Le premier enregistrement des Wailers devient un tube en quelques mois. Enregistré en décembre 1963, il est numéro 1 en février 1964. La chanson s’appelle « Simmer Down »et c’est déjà un appel, peut-être prophétique, des Wailers à ceux qui vivent de crimes… Ce premier succès recoupe bien les thèmes qui seront chers Tosh et à Marley : la spiritualité, l’aspect révolutionnaire et l’expression du mécontentement des quartiers pauvres. Sur les conseils du patron du Studio One, Sir Coxsone, les Wailers changent de noms : de Wailin’ Rude Boys (les voyous qui gémissent — en référence à leur façon traînante de chanter), ils deviennent alors les Wailin’ Wailers (les gémissants qui gémissent) pour ne pas être assimilés à des voyous. 

Mais depuis, en Jamaïque, les rudeboys des quartiers pauvres de Kingston sont devenus des gunmen à mesure que leur artillerie s’est alourdie et que la violence a sans cesse repoussé les limites humaines et affolé les statistiques des homicides annuels. Comme ces criminels, Tosh, le Stepping Razor, a néanmoins toujours vécu sur le fil du rasoir, en refusant ce qu’il appelait le Shit-stem (jeux de mot pour désigner un système de merde) et l’establishment. Il est mort debout, aux côtés de gens du peuple qu’il a toujours défendus : des rudeboys, des gunmens et des wailers dignes. 

Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer

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