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The Pan African Music Magazine
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'A Change Is Gonna Come', un hymne de la lutte pour les droits civiques

Pendant le Black History Month, PAM revient chaque semaine sur un morceau phare de la musique noire américaine qui rencontre l’Histoire du pays. 

Photo : Cassius Clay & Sam Cooke en studio, 1963 (DR)

Quand les temps sont durs, que l’espoir peine à traverser le brouillard de l’histoire en marche, écouter « A Change Is Gonna Come » permet d’imaginer un autre avenir possible. Qu’importe qui la chante : de Seal aux Fugees en passant par Lhasa, Angélique Kidjo et bien d’autres, l’effet est immédiat: les poils se dressent, le coeur se serre…

Juste après avoir sorti cette chanson et enregistré avec son ami Mohamed Ali, Cooke est assassiné dans des conditions étranges. D’ailleurs, l’histoire de ce chef d’œuvre donne autant la chair de poule que la chanson. 

Il faut replacer ce hit ovni dans son contexte. C’est difficile d’imaginer ce que pouvait signifier d’avoir sa place au top des charts pour un artiste afro-américain il y a 60 ans.  C’était bien avant Jay Z et Beyoncé. En pleine ségrégation, dans un pays où les lois Jim Crow interdisent aux spectateurs noirs et blancs d’être côte à côte pendant un concert, aucun artiste noir n’a le succès d’Elvis Presley. Aucun, sauf Sam Cooke. Peu avant d’écrire « A Change Is Gonna Come », ce fils de pasteur du Mississippi talonne le King au top des ventes. Il est numéro 2, mais sa trajectoire est singulière, à la fois du point de vue artistique, et dans sa relation à l’industrie du disque. Pour beaucoup, son assassinat en 1964 est donc un triple meurtre : celui de l’homme, de l’artiste, mais aussi du symbole qu’il représente contre la ségrégation raciale. 
 


Mister Soul

À l’aube des sixties, celui que la communauté afro-américaine surnomme « Mister Soul » a déjà vendu quinze millions d’albums : il est la figure la plus connue d’un genre qui va bouleverser l’Amérique et dont se réclameront Wilson Pickett, Smokey Robinson ou Marvin Gaye. So Soul, so American

Comme eux, Cooke a commencé à chanter dans les églises, auprès de son père le révérend Charles S. Cooke. Et comme beaucoup d’Américains nés pendant la ségrégation raciale, il va fuir l’impossible vie du sud et migrer vers Chicago, la ville où les grands hommes apprenaient à se faire un nom et où Barak Obama débutera sa carrière.

Sam Cooke est né en 1931 dans le Mississippi. Il flirte d’abord avec le gospel de papa avant de se diriger vers une pop plus païenne, la musique du diable pour ses parents et pour beaucoup d’Américains, dont ses ex-collègues du groupe Soul Stirrers. Entre 1950 et 1957, c’est avec eux qu’il accumule les succès avant de débuter une vraie carrière solo. En 1960-61, il signe avec RCA, la major d’Elvis Presley, mais surtout, il est le premier artiste noir à fonder sa propre maison d’édition, ce qui lui donne accès à ses droits d’auteurs.

Son premier gros carton, « You Send Me » s’écoule à plus de 2,5 millions d’exemplaires en 1957. De quoi lui ouvrir les portes du petit écran. Alors, comme beaucoup de stars, il s’installe dans la ville des anges : Los Angeles. Il n’en reste pas moins un artiste noir dans un pays ségrégué dont le racisme lui rappelle chaque jour qu’il y a deux Amériques.

Quelques mois après la sortie de « You Send Me », Cooke est invité dans la fameuse émission de télé, The Ed Sullivan Show, qui reçoit des plaintes parce que sa performance est coupée avant la fin. Un peu plus tard, il est le premier invité noir de l’émission de Dick Clark : le Ku Klux Klan menace, et demande l’annulation du programme… mais le show aura bien lieu !



Une époque en noir ou blanc

Mais quand Cooke doit se produire à Memphis dans l’Ellis Auditorium, devant une foule où blancs et noirs sont séparés, il refuse de jouer tant que les spectateurs ne se mélangent pas. Deux heures avant le début du concert, il finit par annuler. Comme Ray Charles et d’autres, il est partagé entre sa célébrité mainstream et sa « condition inférieure » de noir. Comme eux, il jongle tant bien que mal avec les soubresauts d’une sale époque, tout en conquérant petit à petit le public blanc, charmé par ce jeune homme à la voix de velours. 

Au milieu des années 60, Cooke devient aussi l’ami de Malcom X, du footballeur et activiste afro-américain Jim Brown et de Cassius Clay, le futur Mohamed Ali. Cette brochette de célébrités noires américaines, qui dessine les contours de ce qui deviendra le Black Power, se retrouve pour le fameux combat de boxe opposant Clay à Sony Liston. Quand Cassius Clay devient champion du monde des Poids Lourds, ses premiers mots sur le ring sont pour Sam Cooke, qu’il invite à le rejoindre devant les caméras. 
 

 
Malcom X, Cassius Clay, Jim Brown et Cooke fêteront d‘ailleurs cette victoire ensemble. De quoi rêver à d’autres lendemain pour leur pays, mais aussi inquiéter certains. 

« Le succès de la musique ne suffisait plus à Cooke. Moi aussi j’en avais marre de marquer et de gagner des matchs, raconte le footballeur Jim Brown dans The Two Killings of Sam Cooke, un documentaire produit par Netflix. Quand on devient une célébrité cross over dans ce pays, on se demande s’il faut être prudent ou s’il faut dire la vérité et s’engager ? ». 

Sam Cooke ne reniera jamais son public noir et les problématiques de son époque, mais c’est un événement particulier qui le pousse à passer le Rubicon, et à appeler de sa voix d’ange au changement.

En 1963, Cooke arrive dans un hôtel de Louisiane où il avait réservé des chambres par téléphone. En le voyant, le réceptionniste lui en refuse l’accès. Esclandre. La femme de Cooke lui conseille de partir et de laisser tomber. « Non, on va pas partir et personne ne peut me tuer, je suis Sam Cooke ! » lui répond le chanteur.

La nuit, « A Change Is Gonna Come » lui vient en rêve. C’est le seul morceau qui lui ait été inspiré ainsi. Cooke en est tellement effrayé qu’il va mettre un an à finir la chanson. Il confie d’ailleurs les arrangements de cordes, quasi symphoniques, à Renée Hall. Les riches violons de l’intro tranchent avec les éléments biographiques très crus du début de cette chanson qui raconte pourtant l’histoire de tout un pays : « je suis né près d’une rivière dans une petite tente ». « J’ai peur de mourir », chante ensuite Cooke qui est à la fois menacé par le KKK et harcelé par la mafia de la musique parce qu’il essaye de monter une agence qui réunirait les artistes — souvent spoliés de leurs droits — pour les placer au cœur du lucratif business de la musique.

Quand son ami Friendly Womack entend cette chanson, il lui dit qu’elle « sent la mort ». Elle effraye tout le monde. Au point que le batteur John Boudreaux refuse de l’enregistrer, et que Sam Cooke lui-même ne voudra pas la jouer en public, sauf une fois, dans un show télévisé dont les bandes ont disparu depuis. « Oui, ça parle de la mort, celle d’une partie de moi-même et de la naissance d’un nouveau Sam Cooke, aurait confié le chanteur à Womack qui le raconte dans le documentaire produit par Netflix. Ça va arriver et je veux faire partie de changement. »

Mais sa maison de disque, RCA, est frileuse : elle préfère attendre avant de sortir ce chef d’œuvre en single. Un couplet est alors même coupé dans la version officielle de la chanson, celui qui parle de façon explicite de la ségrégation dans le sud sous les lois Jim Crow.

Quand je me balade en ville,
On me dit : ne reste pas ici
Ne traîne pas par là 


Cook s’éteint, pas l’espoir que sa chanson portait

La nuit du 10 décembre 1964, Sam Cooke est abattu de trois balles à l’Hacienda Motel de Los Angeles. Il a 33 ans. La propriétaire plaide la légitime défense : Cooke aurait tenté de rentrer de force dans son bureau, après avoir emmené une jeune fille — qui s’avérera être une prostituée — dans sa chambre. Elle disparaît avec 5000 dollars en cash. L’entourage de Cooke demande une véritable enquête… qui n’aura jamais lieu. 200 000 personnes viennent assister à ses funérailles, et « A Change Is Gonna Come » devient l’hymne du changement que réclame le mouvement pour les droits civiques.
  


Peu après, Malcom X, Martin Luther King et Langston Hughes mourront aussi brutalement, emportant dans leur tombe quelque chose de profond et d’intime de la communauté noire des sixties. 

« A Change Is Gonna Come » sortira en single après la mort de Cooke. Le jour de son élection, Obama lui rend hommage en saluant ce jour où « A Change is Comin’ to America ! ». Huit ans plus tard, après la victoire de Donald Trump, alors qu’un million d’Américains se retrouvent à Washington DC pour la Womens’ March, la Béninoise Angélique Kidjo monte sur scène et chante « A Change Is Gonna Come », un refrain qui n’a pas perdu de son intensité. 
 

Lire les autres épisodes de notre série dédiée au Black History Month :
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