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The Pan African Music Magazine
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Julie ou le choix de la liberté, par Rhiannon Giddens

Aux États-Unis, chaque 1er février débute le Black History Month, mois dédié à l’histoire africaine-américaine et à la diaspora africaine. En février, PAM revient sur quelques pages de cette histoire à travers des chansons emblématiques. 

C’est assez rare pour le noter. L’an dernier, en février, les séances de Black Panther, premier blockbuster américain mettant en scène des super-héros noirs étaient gratuites dans 250 cinémas des États-Unis pour ouvrir le Black History Month 2019, un mois de février dédié à l’étude et à la valorisation de l’Histoire Noire aux États-Unis. 

Même si cette initiative s’est exportée au Royaume-Uni et au Canada, elle ne fait pas l’unanimité aux États-Unis. Certains lui reprochent de devenir un gage commercial pour des marques qui capitalisent sur le symbole, tandis que d’autres ne veulent pas la réduire à un seul mois, car « l‘Histoire des Noirs c’est l’Histoire américaine » dit l’acteur Morgan Freeman. L’auteur James Baldwin, lui, souhaitait même une « Semaine de l’Histoire des Blancs », car pour lui la « vérité de ce pays est enfouie dans les mythes que les Blancs ont sur eux-mêmes ». 

Aux États-Unis, le Black History Month reste pourtant une institution. Il a été instauré en 1976 pour fêter le bicentenaire du pays et susciter ainsi une réflexion plus profonde sur le rôle qu’ont pu jouer les Noirs dans l’histoire des États-Unis. Le Black History Month tire ses racines de la Negro History Week, une semaine spéciale imaginée par Carter Godwin Woodson, en 1926. Le but de ce jeune diplômé de l’Université Howard de Washington était de faire connaître et reconnaître l’histoire afro-américaine, alors exclue du récit national. 

Woodson avait symboliquement choisi de célébrer la culture noire la deuxième semaine de février, car elle coïncide le mois d’anniversaire d’Abraham Lincoln (Président des États-Unis qui a aboli formellement l’esclavage en 1865). Février c’est aussi le mois de naissance que s’était choisi Frederick Douglass, ancien esclave, écrivain et héros, car les esclaves ne connaissaient pas leur date de naissance officielle. 


Une chanson, une page d’histoire du « Black USStory » Month

 « Julie » par Rhiannon Giddens (ex Chocolate Drops)


C’est justement aussi pour éclairer certains silences de l’histoire de l’esclavage que la chanteuse et violoniste Rhiannon Giddens a fondé son premier groupe Chocolate Drops (littéralement « Les Gouttes de Chocolat 
»). Avec Leyla McCalla, elle sondait le rôle des esclaves et de leurs descendants dans une musique country que l’histoire associe aujourd’hui à la culture blanche américaine. Avec leurs banjos, leurs chants et leurs violons, les Chocolate Drops sont allés puiser dans les archives nationales et les bibliothèques, dans les mémoires encore vivantes des vieux du sud, et dans les enregistrements de terrain du début du siècle, pour réinterpréter le passé musical de l’esclavage, trop souvent réduit au blues des plantations.

Rhiannon Giddens, elle, est née et vit Caroline du Nord, là où il y a quelques décennies, le dimanche, on priait à l’église avant de mettre des cagoules blanches du Ku Klux Klan. Aujourd’hui, avec son banjo, son violon et sa voix aussi claire et lumineuse que ses combats, elle lutte pour faire entrer les Afro-Américains dans l’histoire de la country music, un genre populaire, réputé pour parler surtout à un public blanc d’amour et de whisky… Cette ancienne chanteuse lyrique commence d’ailleurs à être très connue aux États-Unis, notamment depuis son duo avec la star (blanche) de la country, Eric Church, et depuis qu’elle joue dans Nashville, une série culte qui raconte le glam, les boires et déboires de la scène country, a priori pas vraiment tendance afro-banjo et plutôt redneck. 

Du haut de son succès, Rhiannon Giddens n’a pas abandonné ce qui a motivé sa carrière : donner des cours d’histoire grâce à la musique ! « Il a des chapitres entiers qui sont absents de nos manuels d’histoires, explique la chanteuse, peu après la sortie de son deuxième album solo, Freedom Highway, en 2017. Mon boulot c’est de continuer à poser des questions. Ce que je fais ce n’est pas politique dans le sens où je ne parle pas des nouvelles lois ou de politique, mais je parle du résultat de la politique. Je sais qu’il y a des gens au pouvoir qui essayent de modeler une image de l’Amérique qui leur plaît avec toute cette nostalgie pour les années 50. Je ne vais laisser personne dire que ce pays n’est pas bien, et qu’il faut le rendre « great again ». Donc c’est mon devoir d’utiliser la notoriété que j’ai pour exposer l’Histoire. C’est important parce que l’on ne va pas dépasser ce qu’on vit aujourd’hui si on ne fait pas les comptes du passé, parce que tout est lié… » 

Dans ce deuxième disque solo, Rhiannon parle pour les invisibles ou plutôt ceux que l’histoire a réduits au silence : les esclaves, ceux qui sont morts pendant les luttes pour les droits civiques et les jeunes innocents, comme Trayvon Martin, qui tombent sous les balles de la police et dont elle raconte les trajectoires personnelles. « At The Purchaser’s option » est vite devenu un tube aux États-Unis (avec plusieurs millions d’écoutes). Cette chanson folk remarquablement arrangée évoque le dilemme d’une femme esclave tombée enceinte à la suite d’un viol. Que doit-elle faire de son bébé ? Aux Antilles, les femmes esclaves répondaient à ces situations tragiques par un cri : « Manjé tè pa fè yich pou lesclavaj », « Mange de la terre, ne fais pas d’enfant pour l’esclavage ! », une allusion à la croyance que manger de la terre précipitait l’avortement. 
 


De tous ces récits personnels qui rencontrent la grande Histoire, la chanson « Julie » est sans doute la pièce maîtresse la plus glaçante. Rhiannon imagine un dialogue entre une domestique et sa propriétaire alors que l’armée de l’Union arrive dans sa plantation du Sud pour libérer les esclaves. Un épisode rarement évoqué dans la musique puisque la
guerre de Sécession se soldera effectivement par la fin de l’esclavage, mais la libération aura été progressive

Julie, Oh Julie
Tu ne vas donc pas t’enfuir ?
Car je vois là-bas, les soldats qui arrivent
Julie, Oh Julie
Tu ne vois donc pas ?
Ces diables sont venus pour t’emmener loin de moi

Julie, Oh Julie
Ne pars pas d’ici,
Ne nous laisse pas
Nous qui t’aimons

Lentement, la chanson « Julie » révèle que l’amour que la maîtresse blanche professe à sa femme de chambre est fatalement compromis : elle a vendu les enfants de Julie ! « La maîtresse de la plantation ne comprend pas que Julie veuille partir, raconte Rhiannon. Elle demande à Julie de cacher sa cassette d’or et de mentir aux soldats en disant que c’est à elle, pour ne pas qu’ils la lui confisquent. Julie lui répond que ce ne serait pas un mensonge, que finalement cet argent c’est bien le sien puisqu’il vient de la vente de ses enfants. Tout ce que la plantation possède vient des esclaves : que ça vienne de la vente des êtres humains, du travail dans les champs de coton ou dans la maison. Et cette chanson explique que, quand les gens ont le choix, ils partent vers la Liberté. » 

Maîtresse, oh maîtresse
Ne pleurez pas
Le prix à payer en restant ici est trop fort
Maîtresse, oh maîtresse
Je vous souhaite bonne chance
Mais en partant d’ici, je quitte l’enfer

Lire les autres épisodes de notre série dédiée au Black History Month :
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