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The Pan African Music Magazine
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Hermeto Pascoal : « Je suis né musique ! »

Photo de Kevin Yatarola

Hermeto Pascoal, 83 ans, ne parle que sa langue maternelle (le portugais), mais il s’exprime avec tellement d’idiomes musicaux que cela importe peu. Quand on évoque avec lui ses étranges et fascinantes expérimentations (sur scène Hermeto Pascoal mime à la perfection la trompette de Miles Davis dans Round About Midnight avec de l’eau dans la bouche sortant d’une tasse) il répond du tac au tac : « Je préfère substituer la notion de musique expérimentale à celle de création. Je crée depuis ma naissance. Je suis né musique. Tout ce que je fais c’est intuitif à cent pour cent. Je suis un autodidacte intégral. » Cette capacité à faire de la musique avec tout et n’importe quoi — des bulles de savon aux jouets d’enfants — intrigue depuis longtemps. Au point que ce surnom de mago (le magicien) ou bruxo (le sorcier) est resté dans l’imaginaire collectif. « C’est une journaliste brésilienne Ana Maria Bahiana qui disait que je faisais de la musique et de la magie en même temps. C’est resté », explique-t-il.


La forêt : une cacophonie musicale

Né en 1936 à Arapica — ce nom indien désigne un grand arbre feuillu que l’on trouve au centre de cette ville — dans l’État d’Alagoas, dans le Nordeste brésilien, le musicien est, naturellement, très attaché à la préservation d’une nature au contact de laquelle laquelle il a poli son art, à l’écoute de la faune ou en soufflant dans des bouteilles : « J’ai grandi jusqu’à l’âge de quatorze ans à la campagne, dans un petit village, Lagoa da Canoa, où il n’y avait pas d’électricité. J’ai été bercé par le bruit et la musique des animaux, les animaux terrestres ou aériens qu’on entendait dans les arbres. C’était une vraie cacophonie musicale. » De ce chaudron sans doute, de l’écoute aigüe de cette « cacophonie » vient l’incroyable organicité de la musique d’Hermeto et sa remarquable polyvalence : il s’essaie aux claviers, au bandonéon, aux cuivres et à toute une panoplie de petits instruments traditionnels. 

Très tôt, il joue de l’accordéon et de la flûte avec son frère aîné José Neto. À Recife où sa famille s’installe dans les années 1950, il court le cachet en jouant dans les radios locales. En 1964, le jeune Hermeto fait ses débuts à la flûte et aux claviers avec un quartette de samba jazz, Conjunto som 4, (Ensemble on est quatre) qui reprend efficacement des standards de Tom Jobim, Marcos Valle ou Baden Powell. En 1967 il est le quatrième homme du Quarteto novo, une formation de nordestins, qui popularise le style baio et qui accompagne Geraldo Vandre. Le groupe sert aussi le chanteur de bossa-nova Edu Lobo sur le single : Ponteio.

Dans le Quarteto nova figure le grand percussionniste Airto Moreira. À Los Angeles, où ce dernier a suivi sa femme, Hermeto fait en 1970 une rencontre qui va le rendre célèbre à l’international : un certain… Miles Davis. À la même époque, il enregistre son premier disque solo. 
 


Du côté de chez Miles

« Miles, c’est quelqu’un qui a beaucoup souffert d’un manque de suivi familial », analyse rétrospectivement Hermeto. « Entre 20 et 40 ans, il a commis beaucoup de mauvaises actions. Il se droguait beaucoup. Ça ne l’a pas empêché d’être un grand musicien et une très belle personne. Il n’était pas très apaisé dans sa vie. Après notre rencontre, je l’ai senti beaucoup plus heureux. » La rencontre en question a lieu dans un auditorium à New York où Miles Davis se produisait. « Je ne le connaissais pas mais il est venu me parler. Je ne parle pas anglais. Airto Moreira avec lequel je jouais est venu m’aider pour la traduction. Airto était percussionniste pour Miles. Il a dit à Airto : ‘C’est qui ce mec ? — un maestro, un instrumentiste brésilien qui est venu à New York pour faire un disque.’ Miles m’a glissé : ‘Normalement je n’invite pas d’autres musiciens en studio mais il y a quelque chose de vraiment spécial dans ce que tu fais.’ » Plus tard, Hermeto ira chez le trompettiste : « Ça lui arrivait d’inviter les gens et de ne pas leur ouvrir quand ils se pointaient. J’ai appris ça par la suite », sourit l’instrumentiste brésilien « Il m’a dit : ‘ce qu’on va jouer ensemble ça va être paranormal, ça va être spirituel.’ » Hermeto Pascoal lui joue douze titres d’affilée à la guitare. Pour Miles, il en sélectionne deux : « Selim » et « Nem um talvez ». Le résultat psychédélique de ces sessions gravées au studio Columbia les 3 et 4 juin 1970, avec les maestros Herbie Hancock et Dave Holland, est disponible sur l’album Live Evil

L’histoire ne s’arrête pas là ! « Après on est allés faire de la boxe sur un ring. Il m’a donné une paire de gants. J’ai enlevé mes lunettes. Mes yeux bougent des deux côtés. J’ai bougé mon œil droit sur la droite. Il a suivi mon œil. J’en ai profité pour cogner. Il était KO. On est restés quatre jours ensemble. Il était au meilleur de sa forme. Il avait quarante-trois ans… » 
 


Musique universelle

De son côté, Hermeto Pascoal grave de nombreux classiques dont l’incontournable « Slaves Mass », un bijou de 1977, qui résume à lui tout seul l’art du musicien. On y retrouve le duo Airto Moreira et Flora Purim, le tromboniste Raul de Souza et les bassistes américains Alphonso Johnson et Ron Carter. 

S’il est contemporain des chantres du tropicalisme, ce courant culturel qui a émergé en 1967, pendant la dictature au Brésil, Hermeto est toujours resté en marge. À l’expression musique populaire brésilienne à laquelle on associe Caetano Veloso, Gilberto Gil ou Jorge Ben, il préfère l’idée de musique universelle inscrite comme une devise sur la page d’accueil de son site internet. « Le tropicalisme, explique-t-il, c’est une mode de l’époque — les années 1960 et 1970 — à laquelle je n’appartenais pas. Gilberto Gil c’est un très bon artiste et un ami. Je l’ai croisé à Jazz à Vienne en 2018 et on a fait une photo ensemble. On se respecte mais je ne suis pas dans le même mouvement. Ma musique à moi est universelle car elle est influencée par la planète. Je suis extrêmement méticuleux sur la qualité rythmique, mélodique, harmonique de ma musique. Cette rigueur me donne encore plus de liberté pour créer. Tout ce qu’on fait, ce qu’on joue, même si ce n’est pas considéré comme de la musique en soi, c’est la musique universelle. Quand on se promène dans la rue il y a des sons : ça fait partie de la musique universelle. » 
 


Comme Salif Keita, son cousin éloigné du Mali, Hermeto Pascoal a souffert de brimades en raison de son albinisme. Pudique, il délivre un message… évidemment universel : « Ce que j’essaie d’apprendre aux albinos du Brésil et à tous les gens que je rencontre dans le monde c’est de s’aimer soi-même. Une fois qu’on s’aime on peut être heureux. La couleur blanche ou noire ne veut rien dire. L’âme n’a pas de couleur. » Quant on l’interroge sur ses ancêtres africains probablement arrivés à Salvador de Bahia Hermeto se fend d’une réponse ésotérique : « Personne n’a le pouvoir physique d’avoir une connexion directe avec un endroit, mais spirituellement l’Afrique fait partie de mon âme. » Et d’ajouter : « La musique me permet de faire en sorte que n’importe quel endroit au monde fasse partie de mon âme. »

Aujourd’hui, Hermeto Pascoal vit à l’opposé de sa région natale : à Curitiba dans le sud, d’où est originaire son épouse la chanteuse Aline Morena. Mais il n’a pas oublié ses racines. Son dernier album sorti il y a deux ans Hermeto Pascoal E Sua Visão Original Do Forró est un hommage aux rythmes de son terroir nordestin : le forro et le frevo. L’année précédente, avec son grupo il avait déjà fait fort avec No mundo dos sons (Dans le monde des sons), un projet dans lequel le fantôme d’Astor Piazzolla côtoie allègrement ceux de Thad Jones, Sivuca et bien sûr… Miles Davis ! 

Hermeto Pascoal et son grupo en concert le 4 février au Théâtre Claude-Debussy à Maisons-Alfort.

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