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The Pan African Music Magazine
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Balimaya : du Mandé aux poussières d’étoiles de la diaspora 
©Adeolu Osibodu

Balimaya : du Mandé aux poussières d’étoiles de la diaspora 

L’orchestre de 13 musiciens londoniens a fait paraître en juillet son second album, When The Dust Settles, qu'il présentera le 8 septembre au Festival Jazz à la Villette de Paris. PAM a eu la chance de voir Balimaya à Dakar, lors de son premier concert en Afrique, et de rencontrer son fondateur : Yahael Camara Onono. Interview.

Balimaya – entendez la fraternité, ou la parenté au sens large en malinké, est un orchestre né à Londres qui réunit des enfants de la grande diaspora africaine et quelques frères spirituels passionnés des sons de l’Atlantique noir. Il y a la parenté du sang, et celle du cœur et de l’esprit et c’est bien cette dernière – et le djembé de son leader, Yahael Camara Onono- qui réunit les membres de cet excellent groupe.

« Le djembe sert à unifier les gens, à les rassembler, et c’est l’instrument parfait pour diriger le Balimaya Project » explique le jeune homme de 31 ans qui s’est formé à Londres et en Afrique. 

Et c’est bien lui qui a embarqué cette bande d’excellents musiciens (certains d’entre eux font partie des meilleurs groupes de jazz de la scène londonienne comme Kokoroko ou Seeds) dans sa quête de fusion du jazz avec les musiques d’Afrique de l’ouest. Sa double ascendance l’y a aidé : son père est Camara, malinké du Sénégal et sa mère, haoussa et igbo, est née dans l’est du Nigeria. Autant dire deux pôles d’attraction très puissants en matière de traditions et de créations musicales. Le soleil mandingue fut sans doute le plus fort dans la structuration de Balimaya, Yahel Camara Onono dirigeant l’orchestre et jouant parfois face à lui, se servant du djembé pour guider la musique et parler à ses musiciens. Un détonnant et riche mélange où rien ne paraît plaqué, dans lequel percussions traditionnelles et cuivres, kora et guitares, balafon et clavier tissent un même étoffe cousue main, riche de motifs flamboyants. Après Wolo So, leur premier album sorti en 2021, Balimaya publiait cet été When The Dust Settles (Quand la poussière s’installe). Un disque plus posé, méditatif et intime, surfant avec subtilité sur l’océan nuancé des émotions. Avant sa sortie, nous avions pu assister à leur concert au Dakar Music Expo, leur premier sur le continent africain et sans doute le plus beau du festival. Avant qu’il n’entre en scène, PAM s’était assis avec Yahael Camara Onono, le temps d’un retour sur les origines de Balimaya, sa philosophie, et les relations du jazz avec la musique mandingue

Yahael, tu es né à Londres il y a 30 ans : peu d’enfants des villes, en particulier à l’extérieur du Continent, baignent dans la tradition. Comment es-tu entré dans le monde des musiques traditionnelles et des percussions mandingues? 

Disons d’abord que j’ai eu la chance d’avoir une famille qui était versée dans la musique et les arts, et la musique traditionnelle notamment. Mon grand-père jouait du tambour parlant, le tama. Quant à ma mère, elle dansait quand elle était jeune dans le ballet national. Et quand j’avais 5 ou 6 ans, ils voyaient bien que je passais mon temps à jouer sur les casseroles, les poêles… tout ce qui me passait sous la main. C’était mon truc, et puis mon grand-père m’a offert mon premier tama. j’étais tout petit et c’était comme mon jouet, je ne m’en séparais jamais. Quand il y avait des cérémonies ou des fêtes, je jouais au fond de la salle et les percussionnistes devaient me demander d’arrêter. Et puis, autour de huit ans, ma mère m’a offert un djembé et à partir de là je voulais tout le temps en jouer, j’allais partout pour jouer ou regarder des gens danser au son du djembé. Quand j’étais enfant, je retournais souvent en Afrique de l’ouest pour les vacances, et la famille de là-bas venait aussi nous rendre visite à Londres, c’est ce qui m’a plongé dans cet univers.

Et tu as appris en autodidacte ou tu as eu un mentor? 

Au départ j’ai appris surtout tout seul, en écoutant et en essayant d’imiter ce que j’entendais. Et à mesure que je grandissais et que je devenais de plus en plus motivé et déterminé, j’ai cherché des maîtres qui vivaient au Royaume-Uni. Et celui qui a été le plus important pour moi, ce fut Mr Sidiki Dembele. Un joueur de djembé ivoirien d’origine malienne, très connu dans le monde du djembé et bien au-delà. C’est lui qui m’a vraiment pris sous son aile et m’a initié et formé à la manière traditionnelle.

Comment t’es venue l’idée de fonder Balimaya Project? 

Mon projet est né d’une conjonction de facteurs. Quand j’ai habité pendant deux ou trois ans à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, je jouais là-bas comme percussionniste professionnel. Et je ne jouais pas que de la musique traditionnelle, mais du jazz, du latin jazz etc… J’ai remarqué que la musique afro-latine ou afro-cubaine et d’autres genres de musiques où la percussion joue un rôle central, tout comme la musique classique indienne ou carnatique… toutes ces musiques étaient extrêmement valorisées voire révérées comme des musiques de haut niveau, alors que pour moi la musique de percussion la plus complexe vient du mandingue et plus largement d’Afrique de l’ouest. Et je me demandais : pourquoi n’avons nous pas droit à la même reconnaissance? Est-ce parce que nous ne savons pas la rendre accessible à certains publics? Et là, tu te rends compte que : toi-même tu viens du continent, mais tu es aussi de la diaspora, que tu as l’esprit du continent, mais aussi celui de la diaspora. Donc cela veut dire que tu dois être capable de communiquer avec les deux. de passer d’un code à l’autre.

Donc, lorsque j’étais à Dubaï, j’avais un très bon ami, un incroyable guitariste. Il s’appelle Olawale, et avec lui, on mélangeait la musique mandingue et la funk. Ensuite je suis rentré à Londres et j’ai joué un peu partout sur la scène jazz londonienne, et j’ai remarqué que beaucoup des musiciens étaient des jeunes noirs et que de ce fait, des musiques ouest-africaines comme l’afrobeat ou le highlife devenaient populaires, et influençaient beaucoup ce jazz qui sortait de la capitale. Du coup, j’ai été très demandé. Mais je ne me retrouvais pas vraiment – sans vouloir dénigrer qui que ce soit- dans l’utilisation qu’on faisait des percussions traditionnelles, qui n’étaient pas jouées commes elles l’auraient dû, mais trônaient plutôt dans un ensemble où elles jouaient presque le rôle d’un gadget. Il n’y avait pas non plus à Londres cette compréhension approfondie de cette musique, comme c’est peut-être le cas, en dehors de l’Afrique, dans des endroits comme les États-Unis ou en France. Vous allez à Paris, il y a une énorme communauté malienne ou ivoirienne, burkinabé, sénégalaise, très imprégnée de la culture là-bas.
Je me suis dit que je ne voulais pas faire ma propre musique, mais que je ne voulais pas non plus faire uniquement du mandingue traditionnel parce que je n’ai pas grandi dans cette culture. J’ai grandi à Londres. Et en grandissant à Londres, mes expériences du jazz et du funk étaient comme un folklore pour moi, parce que j’ai grandi avec ça. Je voulais donc trouver un moyen de fusionner ces deux mondes avec succès, pour raconter au plus près ma trajectoire en termes de musique.

Et un jour, je me suis dit que j’allais le faire. J’ai vu mes amis, qui sont ceux avec lesquels je joue toujours aujourd’hui. J’ai dit, ok, les gars, est-ce qu’on peut essayer quelque chose comme ça ? On s’est tous retrouvés, une dizaine dans une pièce, à la Royal Academy of Music en 2019. Et c’est à partir de là que ça a commencé. Ensuite, nous avons répété pendant près d’un an et nous avons donné notre premier concert, lors de la Jazz Re:freshed Night, du côté de Brick Lane à Londres. Adam, du Jazz Re:freshed, m’avait toujours dit : « Hé, on te voit jouer avec tout le monde, mais pourquoi tu ne fais pas ton propre truc ? » À l’époque, je tournais avec huit groupes, j’étais épuisé… Et lui :
« Pourquoi tu ne fais pas ton propre truc, mec ? » Or j’avais toujours été un peu complexé à ce sujet. Je me disais : « Je ne sais pas si quelqu’un voudra l’entendre … ». Et puis j’en suis arrivé à un point où je me suis dit : « Je sais que, moi, je veux l’entendre ».
Il y avait aussi un autre motif : j’étais fatigué d’entendre les gens dire : « Oh, je vais à une soirée et je vais écouter de la musique africaine ». Qu’est-ce que cela signifie ? Vous allez écouter Salif Keita ? Vous allez entendre du ndombolo ou de la musique mauritanienne ? Qu’est-ce que cela signifie « musique africaine » ? 

Et si nous proposions quelque chose de très spécifique, propre à une certaine culture et reflétant une certaine instrumentation, tout en restant fidèle à la trajectoire de la diaspora et en l’emmenant plus loin… à un endroit il ne peut y avoir aucune confusion, aucune ambiguïté? C’est pour toutes ces raisons différentes qu’est né le projet Balimaya.

Y avait-il aussi cette idée de construire quelque chose de vraiment panafricain ?

Oui et non. Panafricain dans le sens où je voulais que ce soit principalement des jeunes hommes noirs, parce que je voulais que la musique nous reflète. Et c’est panafricain parce que la musique mandingue est contemporaine. C’est une culture vivante. Par conséquent, la musique mandingue d’aujourd’hui est certes influencée par notre musique mandingue traditionnelle jouée par les griots, mais aussi par la rumba congolaise, la musique afro-cubaine, etc. Tous ces éléments sont présents. Dans le projet Balimaya, nous avons un guitariste et un bassiste congolais, et même quand ils jouent des parties mandingues, ils le font avec un feeling congolais, ce qui ajoute une touche particulière à la musique. Moi je suis à moitié nigérian, j’ai donc grandi avec le Fuji, l’Apala, le Igbo highlife et le highlife du Ghana, et tous ces sons ont aussi influencé la musique musique mandingue contemporaine, celle d’aujourd’hui. D’une certaine manière, la musique mandingue d’aujourd’hui est donc aussi panafricaine, même en tant que genre. Je tenais aussi à ce qu’une chose soit très claire et nette : nous faisons de la musique mandingue, ce n’est pas de l’afrobeat. C’est une musique dont le socle et la propulsion sont mandingues, avec des influences de jazz.

Est-ce que Balimaya a déjà joué en Afrique? 

Non, c’est notre premier concert sur le continent.

Ça doit être chargé de sens pour toi de jouer ici à Dakar…

Ah, c’est très symbolique ! C’est très, très émouvant pour moi aussi de pouvoir ramener mes frères et notre sœur (notre tour manager) à la maison pour leur montrer où en sont les choses. Et bien sûr, de pouvoir présenter ici notre travail c’est encore plus fort : car vous savez, il est une chose de voir les réactions des gens en ligne, qui font « wow ! ». Mais il en est une autre de jouer et de voir, comme ça nous est arrivé juste après les balances, des gens venir nous dire : « Qu’avez-vous fait de la musique ? Nous ne l’avions jamais entendue de cette manière auparavant ». C’est très intéressant. Cela conforte ce que nous avons fait et la façon dont j’ai vu les choses. C’est donc très émouvant. C’est très puissant. Pour moi, c’est une étape importante dans ma carrière.

Vous avez enregistré un nouvel album (pas encore sorti au moment de l’interview). Peux-tu nous en parler ?

Notre deuxième album s’appelle When the Dust Settles, et il est très différent du premier. Il est plus abstrait. Il est plus introspectif. Il s’agit davantage d’un regard sur les émotions et sur nos parcours spécifiques. Pas un sentiment général, mais nos sentiments de chagrin, de blessure, de ressentiment, de colère, de joie et de progrès en tant que groupe et en tant que jeunes hommes noirs ayant grandi à Londres et dans différents endroits de la diaspora, autant de sentiments auxquels nous avons dû faire face personnellement et en tant que communauté. Et oui, je pense que les gens le voient comme quelque chose de très différent, mais aussi de grandissant et de mature. Vous pouvez voir que nous avons beaucoup joué ensemble et que chacun trouve sa place.

Dans le groupe, il y a deux profils : les gars qui viennent plus de la tradition, et les autres qui viennent plus du jazz. Le jazz est comme un arbre avec de nombreuses branches, mais il est profondément lié à ses racines africaines , même si ce n’est pas toujours conscient. Penses-tu que la musique que vous faites est une rencontre parfaite entre les racines , l’arbre et l’une de ses branches ?

Je pense qu’il s’agit d’une sorte de rencontre. Le jazz est étroitement lié à la musique mandingue. La musique mandingue est fortement liée au jazz, et nous ne pouvons pas l’ignorer. (…) Si vous regardez le blues, le jazz et tout cela, et même le gospel, et si vous regardez la façon dont les chanteurs travaillent avec les instruments, le premier instrument de la musique mandingue est la voix. Nous observons la façon dont ils phrasent et même le swing (il chante un rythme). C’est le même swing, vous savez, le même sens du timing complexe, le même type de micro rythmes et de micro timing qui sont essentiels dans la musique de jazz et qui apportent un changement, modifient une expression et transforment un air en quelque chose de différent. Et le sens du rythme est très présent dans le son mandingure, tout comme le sens de la dextérité et de l’innovation en termes d’instruments.

L’improvisation aussi…

L’improvisation aussi. Et quand vous regardez certains des guitaristes les plus extraordinaires au Mali : comme Modibo Gaucher, Gaoussou Cissokho, Modibo Diabaté, ou encore Cheikh Niang qui est maintenant très présent sur la scène sénégalaise, mais qui est malien…Tous ces musiciens sont inspirés par le jazz, mais pas seulement, par toute la musique de la diaspora noire. Jimi Hendrix est une influence énorme pour beaucoup de gens en Afrique de l’Ouest. Tout cela forme un cercle. Il s’agit simplement d’en faire le tour, de trouver les liens qui fonctionnent et de faire en sorte que tout se tienne.

Balimaya est en concert le 8 septembre à Paris, au festival Jazz à la Villette.

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