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The Pan African Music Magazine
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HHY & The Kampala Unit : des tripes et des trips !

PAM a rencontré HHY & The Kampala Unit dans les coulisses du festival Banlieues Bleues pour tenter de décrypter l’insaisissable formule de ce groupe, propulsé par le Nyege Nyege, qui mêle sons mutants et vibrations éclectiques.

Imaginez. À la fin des années 90, un scientifique portugais spécialisé dans le son organise des fêtes secrètes dans la jungle à la périphérie de Porto, le visage recouvert d’un masque de ski imprimé d’une tête de mort. Des années plus tard, un danseur français né de parents congolais est frappé par l’image d’un léopard au cours d’une profonde expérience psychédélique qui réoriente sa spiritualité et le conduit vers ses ancêtres. De l’autre côté de l’équateur, dans les quartiers difficiles de Kampala, une classe d’enfants souffle dans une collection de trompettes et de trombones sous la houlette d’une artiste à l’âme bien trempée, Flo Moon. Imaginez maintenant que les trois se réunissent, que de la fumée de sauge remplisse une pièce vide et qu’un lourd tambour de bois martèle les haut-parleurs. Bienvenue chez HHY & The Kampala Unit.

« Ce sont des sons mutants sans stratégie ni programme », déclare Jonathan Uliel Saldanha à propos des HHY et de leur travail d’un autre monde. « Tout a un sens », poursuit-il, « dans la façon dont nous voyons la musique et les vibrations, et dans le fait d’être ensemble et d’expérimenter ». Bien que ce « sens » semble être une réflexion après coup pour le groupe. Composé à l’origine de Jonathan Saldanha, Florence Lugemwa et Omutaba, auxquels s’est ajouté Exocé Kasongo en tant que danseur pour cette performance parisienne, HHY & The Kampala Unit n’est pas lié par une forme concrète. Ce serait trahir le processus ou, comme le dit Exocé, « perdre de vue la métaphysique » ; un problème que le danseur, designer et artiste aux multiples facettes affronte avec une grimace lorsqu’il passe d’un français rigide à l’anglais. Au lieu de cela, le son, comme la formation du groupe, apparaît comme une force de la nature, une circonstance inévitable, un « collectif en perpétuel mouvement ». Coïncidence ? Volonté propre ? « Je n’y pense pas », dit Exocé en riant, « je ne suis pas là pour me remettre en question. Je ne sais pas. Et je ne sais pas si j’ai envie de savoir », sourit-il.

Je vais tout de même essayer. 

HHY & The Kampala Unit s’est initialement formé en 2017 lors de la résidence Nyege Nyege de Jonathan Saldanha à Kampala. Le colossal collectif est-africain est entré en contact après avoir entendu le travail de Jonathan avec HHY & The Macumbas. Écoutez « Wilderness of Glass » de l’album Beheaded Totem et vous pourriez penser que vous écoutez un des premiers albums de Nihiloxica. Un alignement inquiétant. Lors de son séjour à Kampala, Jonathan, un artiste prolifique qui travaille sur « l’interception du son, du geste, de la voix, des éléments de fonctionnement du pré-langage, des chœurs résonnants, des percussions cycliques, des systèmes cybernétiques, de la présence insondable, de la pression, de la mémoire haptique (celle de la forme des objets), de l’écho et du dub intracrânien » (peut on dire cérébral ?), s’est rendu dans un bar reggae local. C’est là qu’il a vu Florence Lugemwa à la trompette. Florence, joueuse de cuivre passionnée à l’époque, travaillait dans des bars d’hôtel, donnait des cours aux enfants du quartier et faisait la navette entre les groupes de reggae et de jazz de Kampala. Dès le début, Jonathan dit avoir perçu une empreinte dans le timbre de Florence. « Quand je l’ai entendue jouer, dit-il, j’ai entendu un son. Pas une trompettiste ».

Le percussionniste et joueur de « Kingdom Rhythm » Omutaba a mené le rythme pour le projet Lithium Blast de 2020. Un travail qui a amené le son de Saldanha à une forme plus profonde et plus sombre ; à mi-chemin entre la bave mutante et le grondement d’Orishas ivres en marche (Eshu étant l’Orisha de « choix » d’Exocé). Plus tard, Sekelembele (du collectif kinois Fulu Muziki) a été ajouté aux percussions. L’Uganda Prison Brass Band, une fanfare composée d’employés de l’administration pénitentiaire ougandaise, apparaît également sur le disque. Là encore, « l’unité » est plus liquide que solide. Les sons sont des ondes, après tout. Exocé a été ajouté par le même profond hasard après une rencontre au festival Nyege Nyege 2022 en Ouganda, puis lors d’une résidence Afropollination en Allemagne. « En tant qu’artiste, il est facile d’être obsédé par ce que l’on fait et par ses propres processus », explique Jonathan à propos des collaborations, « et on oublie qu’il y a d’autres processus que l’on peut réaliser en passant simplement du temps avec quelqu’un ». Malheureusement, aucun temps n’a été passé avec Omutaba ou Sekelembele, qui n’ont pas pu se rendre au concert parisien.

Et puis il y a Florence aka Flo aka Flo Moon, originaire de Kampala, qui utilise cette formation comme véhicule d’inspiration et d’amplification de son travail de professeur de musique. Si Jonathan est le cerveau et Exocé le corps (je n’ai pas rencontré Omutaba, mais appelons-le « le cœur battant »), Flo en est l’âme. Lorsqu’elle n’est pas en tournée, aux platines comme DJ, ou en studio pour composer des musiques « ambient », d’horreur et de science-fiction » pour l’un de ses nombreux projets parallèles, Flo enseigne les cuivres aux enfants du quartier. Elle rassemble des instruments qui ont été donnés (et parfois des matelas et de la nourriture) pour 30 enfants, répartis en 5 groupes, qui insufflent leur esprit dans les tubes de cuivre. Ou alors, comme le dit Flo, elle « médite sur sa trompette. C’est comme si j’étais en plein trip. C’est comme si je planais ». Mais l’euphorie ne se manifeste pas seulement dans les sons et les trips. C’est un chemin vers la perfection. Une tentative d’effleurer la grâce. « La musique, c’est la vie », dit la professeure. « La musique guérit. On peut aller partout où on veut, tant qu’on le fait avec amour. »

« Nous sommes ici pour apporter de la lumière aux gens. Pour leur rappeler de revenir à leur âme », déclare Exocé avec une profonde sincérité. « Pour moi ce n’est pas une danse, c’est du mouvement, mais c’est aussi un appel. Vivre dans le présent et y rester, être prêt à tout recevoir. C’est ça la magie. » Jonathan enchaîne, « Tu sais, tu n’as pas besoin d’avoir une idée préconçue de ce que tu fais. Tu as juste besoin d’être là, dans le temps présent. Et au 21e siècle c’est un effort énorme. D’être présent. D’être conscient de son corps à l’instant T ».

Sur scène et dans la foule, la présence est donc le maître mot. Exocé, qui incarne rapidement les cuivres percutants et les rythmes endiablés, est totalement captivant. Au milieu des autres ou derrière eux, Jonathan est là pour « mettre les stems, les beats, la basse et l’électronique, puis s’occuper de la trompette et ajouter des samples et des trucs de fou par-dessus ». Flo évolue entre le groove et les vents. Parfois, les choses s’articulent… comme l’emboîtement satisfaisant d’une pièce de puzzle. Mais ici, c’est la débandade. Des vagues de basse. Cela me rappelle certaines paroles de Lewis Del Mar, un groupe dont les percussions s’échappent parfois elles aussi en terrain indompté : « Mon dancehall n’est plus fait que de tous ces corps » et « Dieu ne peut pas t’entendre quand les basses sont à fond ». Pourtant, nous crions.

Flashback sur Jonathan avant le concert. « Vous atteignez quelque chose d’unique, cette conversation qu’est la musique, cet aspect de la spiritualité. Elle comble les vides à l’intérieur de vous. Elle ramène l’âme. Elle apporte cette magie puissante d’être en temps réel et d’être conscient de ce qui vous entoure. » En attendant que le prochain album de HHY vienne combler l’insatiable vide spirituel…

« C’est magique. C’est au-delà de la chair et de l’électricité. C’est au-delà de ce que vous connaissez comme la société ou la technique. C’est au-delà de tout ça. » Au sortir du concert, on a envie d’ajouter : c’est dans les tripes et les trips.

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