Retrouvez Dj Travella au Nyege Nyege Festival à Bordeaux le 12 et 13 juillet 2025. Pour prendre vos places, suivez le lien ici.
Aujourd’hui, synthétiser l’air du temps revient à astiquer les cuivres du Titanic : piégés entre les reflux gastriques de l’IA, les attaques du neuromarketing et les messages d’amitiés de Taylor Swift, l’époque, illisible, fleure bon l’apocalypse. La lumière filtre néanmoins, parfois, à travers l’obscurité. Actuellement, en la personne de DJ Travella. Le DJ tanzanien propose quelque chose de différent. Pas un énième miroir défraîchi de notre chaos. Ni une alternative. Il offre un remède. Extatique, contagieuse, enivrante et chimiquement débarrassée de la moindre once de cynisme, le jeune Travella a synthétisé l’une des musiques les plus pures et les plus joyeuses qui soient. Un remède aux maux de notre époque. Je fais évidemment référence au singeli, dont le jeune producteur est devenu un taulier absolu, de ses quartiers généraux de Dar Es Salam, aux meilleures programmations internationales.
Au fil des années, Hamadi Travella Hassani est devenu une figure incontournable de mon univers musical. De sa première performance au Guess Who ? à Utrecht en 2022, aux rives du Nil au Nyege Nyege Festival en 2024, je suis resté sous le charme des ses productions. Sans discontinuité. Hamadi s’est installé sur mon canapé à Paris. Et je lui ai rendu visite dans sa ville natale, Dar es Salaam : « tu sais, j’ai commencé à faire de la musique à l’âge de 15 ans » m’a confié Travella en swahili, sa langue maternelle. « J’aime le fait que le singeli soit une musique, une création entièrement tanzanienne. Ici, notre musique est numéro un », explique Travella avec un sourire en coin.

Il n’en n’a pas toujours été ainsi : crossover singulier entre taarab, mchiriku et mdundiko, le singeli est né dans les quartiers populaires de Tandale et Manzese. La scène singeli a longtemps tenu le pavé underground en Tanzanie, éclipsée de nombreuses années par le sirupeux Bongo Flava, indigeste dérivé – il faut bien en convenir –, d’import rap et rnb américain.
Finalement, le singeli va sortir de l’ombre, porté par l’énergie les têtes chercheuses du label ougandais Nyege Nyege, mais également la puissance créative des studios locaux de Sisso ainsi que Pamoja, l’antre de l’illustre DJ Duke. Des blockparties des quartiers ouvriers de Dar Es Salaam, le genre s’est démocratisé et a atteint les voitures comme les foyers de la classe moyenne tanzanienne. Boucles de Yamaha, effets sonores complètement décentrés, mélodies taarab, avalanche de kicks et de percussions sous-produites… Le son brut du singeli a conquis le cœur des Tanzaniens. Aujourd’hui, le genre fait même office de bande originale à certains rassemblements politiques. Mainstream en Tanzanie, le singeli accouche de sous-genres. Les micro-célébrités nées de cet impossible biotope sonore pullulent désormais en ville.
Les planches des soirées singeli fument : imaginez des centaines de participant•e•s dans un nuage de poussière, un niveau de twerking quasi-interdit, des morceaux à 200 bpm, sans oublier les soirées marathon kigodoro, surnommées ainsi en raison des matelas placés sur les bords de la piste de danse, où les participants peuvent s’effondrer d’épuisement. La transe, en toute simplicité.

Le singeli est aujourd’hui un genre incontournable des mariages comme des fêtes populaires, où il a parfois même remplacé les orchestres traditionnels. C’est d’ailleurs là que Travella a débuté : « j’ai débuté dans mon quartier, Mbagala Charambe, j’y faisais du singeli, dans de petits événements, des cérémonies ou des mariages », explique le musicien.
Le Tanzanien apporte une touche tout à fait différente au style. Hamadi n’est pas ses pairs : il n’a pas grandi dans le foyer hardcore de Tandale avec Sisso, Duke ou Bamba Pana. Il ne s’est pas non plus conformé au son générique et populaire du singeli, un taarabu composé d’abord pour le chant, qui laisse une grande place au MC. À l’instar des autres purs producteurs, le geste de Travella se concentre uniquement sur l’instrumental : le jeune prodige promène des synthétiseurs tendance électro soukous 2.0 entre des samples tout droit sortis d’un jouet d’enfant défectueux et des voix hyper éthérées et aériennes, qui sont d’ailleurs parfois les siennes, le garçon me l’a admis lors d’une conversation sur mon canapé.
En live, Travella fusionne avec ordinateur, hypnotisé par l’écran : dans FL Studio, il introduit et retire sans cesse une sélection de huit pistes, ou plutôt une combinaison de mélodies, d’effets sonores, de boucles de batterie et de voix. Il fait ainsi glisser ces fichiers audio des dossiers de son ordinateur vers le logiciel, choisissant soigneusement les pistes à supprimer ou à ajouter à l’aide de sa souris et de son trackpad. Il s’agit d’une musique 100 % live et 100 % originale. Travella « joue » de son logiciel comme d’un instrument, à la manière dont Lee Perry « jouait » de son studio de musique à Kingston : « tu vois ? C’est une musique hyper simple à créer. Et pas chère non plus », dit humblement Travella. « Un ordinateur portable, un clavier et tu peux le faire. »
Armé de ces outils, Travella tourne aux quatre coins de la planète depuis l’âge de dix-neuf ans – il en a vingt-deux aujourd’hui. Maestro absolu des montées et des regains de tension, le producteur joue avec des contrôleurs midi faits-maison, des claviers d’ordinateur sur lesquels il joue comme une guitare ou des contrôleurs PS4 adaptés, qu’il utilise pour couper et faire tomber les rythmes. Résultat ? Une expérience scénique éreintante mais spectaculaire, dont la déflagration a laissé des traces lors de tous ses passages, mention spéciale à sa prestation à Barcelone, dans la Primavera Boiler Room, en 2022.

Ici, il n’est pas uniquement question de ses aptitudes techniques, bien qu’elles soient complètement XXL. Car c’est toute la personnalité d’Hamadi qui se dessine en filigrane de sa musique : « j’ai d’abord connu Travella en tant que personne, puis en tant qu’artiste » explique Rosa Pistola, légendaire DJ et productrice colombienne, qui met en pièce reggaeton, merengue ou house. « Travella sur scène, c’est une colonne de lumière qui illumine l’univers. Sa musique est hyper-salvatrice, en particulier durant ces âges sombres, où la création a du mal à sortir des esthétiques apocalyptiques et post-industrielles. Le son de Travella est, à l’inverse, innovant, authentique, super frais. Pour moi, actuellement, il brille plus que tous les autres artistes ! »Rosa Pistola et Travella ont récemment signé l’imparable « Wave It », tube dont les percussions sont signées Freebot.
Alors que la culture club n’en finit plus de s’enliser dans la noirceur, Travella, lumière dans l’obscurité, lévite au-dessus d’un dancefloor cynique et trop souvent destructeur. Arrêtez-tout et jetez-vous sur l’album Mr Mixondo de 2022, mais aussi et surtout sur son tout dernier EP Twende sorti sur le label Nyege Nyege, pour qui « c’est désormais l’heure de Travella et que le mieux que nous puissions faire, c’est de la suivre ».
DJ Travella est programmé au Nyege Nyege Festival à Bordeaux du 12 au 13 juillet. Pour prendre vos places c’est ici.
Et on vous recommande vivement d’écouter le tout nouvel EP de Travella, Twende, qui signifie évidemment En route ! en swahili.
