« C’était la messe ! Une vraie folie, le public a adoré » se réjouit Jako Maron à propos de la reformation historique du collectif Force Indigène, qui a marqué les esprits à La Réunion en sortant le premier album de hip-hop électronique en 2004. Percussions péï, beats hip-hop, élans jungle, samples à 360° et textures électroniques… Z’Amalgame, produit et arrangé par un Jako Maron marqué par le son de Dead Prez, vient d’être remasterisé et réédité en vinyle pour célébrer les vingt ans du crew, invité à se produire en octobre dernier sur la scène des Électropicales, l’incontournable festival de musiques électroniques de l’île intense.
« Les gens connaissaient les textes de Franky Lauret et Babou B’Jalah par cœur. Z’Amalgame, c’est le son de leur jeunesse » confie Jako Maron, avec la fierté de celui qui semble avoir souffert d’un manque de reconnaissance. « Ça m’a vraiment ému de jouer ce répertoire sur un podium officiel, une vraie belle scène où, pour une fois, on connaissait mon travail. À l’époque et pendant longtemps, je suis resté un mec de l’underground. »
Tribu Nyege Nyege
Pionnier des musiques électroniques réunionnaises, près de trente ans après ses débuts au mitan des années 90, Jako Maron poursuit ses expérimentations, désormais porté par le label et collectif ougandais Nyege Nyege, dont les disques et les artistes à l’avant-garde sonique provoquent des turbulences sur les dancefloors, de Kampala à Paris, de Berlin à Budapest, depuis une dizaine d’années. Leur compagnonnage se concrétise en 2018, lorsque Nyege Nyege Tapes publie The electro Maloya experiments of Jako Maron, une compilation qui réunit dix ans de recherches et d’expérimentations. Dans son studio-laboratoire, le producteur s’attache à disséquer et reconstruire l’ADN rythmique du maloya, la musique emblématique de l’île de La Réunion.
Blues ternaire hérité des anciens esclaves, frère de luttes et totem identitaire de la créolité réunionnaise, entre les mains de Jako Maron, le maloya se retrouve propulsé dans le futur à grands renforts de synthés modulaires. Sati, pikèr, kayamb, roulèr… Sur ses machines, les percussions traditionnelles du maloya voient leur pulse incandescente réinventée, option rave et acid trance, avec deux objectifs : la danse et la transe. Ce n’est pas le premier, mais ce disque révèle l’audace du producteur qui, à cinquante ans, suscite enfin l’intérêt de la presse (inter)nationale et celui de ses pairs : en 2019, Jako Maron est adoubé par le génie britannique Aphex Twin, qui mixe un de ses titres en live.
« Avant de rencontrer Nyege Nyege, j’avais du mal à croire en moi, j’avais l’impression d’être un alien, seul dans sa soucoupe, avec mes bricolages et mes synthés modulaires » admet Jako Maron. « Mais ils m’ont fait confiance, ils m’ont pris au sérieux et grâce à eux, j’existe. Toute l’équipe du Nyege m’a poussé à aller plus loin dans mes expériences, à être qui je suis. Maintenant je sais que ce que je fais, c’est de la vraie musique. C’est énorme pour moi, ça change tout. En allant jouer au Nyege Nyege Festival en Ouganda, j’ai aussi rencontré tous les artistes du crew… Ça m’a ouvert les chakras (rires) et j’ai réalisé qu’on était plein d’aliens sur Terre. J’avais enfin trouvé ma tribu, ça m’a fait un bien fou ! »
La voix du bobre
Ces dernières années, le producteur s’est montré occupé. Lorsqu’il n’est pas en tournée avec la troupe extra-terrestre à travers le monde, Jako Maron garde son île en ligne de mire et compose également des répertoires moins technoïdes « plus accessibles pour le public réunionnais », en s’associant avec des artistes locaux. Aux côtés du poète Axel Sautron et du percussionniste Zan Amemoutou-Laope, le petit-fils du légendaire ségatier Maxime Laope, en 2022, Jako Maron dévoile Kabar Jako, un disque dans lequel le chant des machines côtoie le fonnkèr des complaintes et la puissance organique des percussions. Sur scène, le trio rend hommage à la liesse du kabar maloya, une célébration festive et publique qu’il faut distinguer du servis kabaré, la cérémonie de culte aux ancêtres, dont le rituel chanté et dansé est réservé aux initié.e.s. Et c’est précisément cette dimension spirituelle qu’explore Jako Maron dans son nouvel album, Mahavélouz, dévoilé début février sur le label Nyege Nyege Tapes.
Pour cela, Jako Maron fait appel cette fois-ci à l’unique instrument mélodique du maloya, le bobre, un arc musical cousin du jejy voatavo malgache et du berimbau brésilien. « Le bobre fait partie intégrante du rituel, ses vibrations hypnotiques unifient les énergies et préparent à l’arrivée des esprits. Le son du bobre est mystique, il m’a toujours envoûté. Pour moi, c’est l’âme du maloya » explique le producteur. Tout de suite, il précise : « Je ne crois en aucun dieu, je n’ai pas de religion, mais un profond respect pour ce culte et les gens qui le perpétuent. Ils honorent la mémoire de nos ancêtres. À La Réunion, ces cérémonies, cette transmission orale, c’est tout ce qu’il reste aux descendants d’esclaves. Mon vrai nom est Jackie Thiburce. Thiburce, c’est un nom d’esclaves, mais je ne sais rien de mes ancêtres. Notre histoire n’est pas écrite dans les livres. »

Échantillonné à partir d’une série de phrases mélodiques traditionnelles, distordu, porté par des riffs fiévreux, boosté aux filtres et aux effets, dans Mahavélouz, le bobre tient tête à la basse obstinée d’un kick électronique résolument techno. « Dans le maloya, à moins qu’il ne soit amplifié comme chez Zanmari Baré, le bobre est souvent noyé, enseveli, par les percussions » explique Jako. « Moi je voulais qu’on entende sa voix. Ma musique n’a pas besoin de mots mais la voix du bobre est puissante. Elle est ancestrale mais elle est d’actualité, et elle a beaucoup de choses à dire. C’est une parole d’union, de révolte, de révolution, de résistance contre l’oppression. Je pose le ton dès le premier morceau du disque avec “Paré pou saviré”. Il s’agit d’un appel à se soulever, à renverser collectivement ce qui nous semble injuste. Le maloya est un vaisseau qui unit les gens et qui élève les âmes. » Allant jusqu’à rendre hommage au drapeau réunionnais, le fameux mahaveli, avec le titre de son dernier opus, Jako Maron est pourtant loin d’avoir grandi dans l’univers politique, identitaire et contestataire du maloya.
Maloya clandestin
Né en 1968 à Saint-Denis de La Réunion, Jako Maron se construit d’abord avec la musique qu’écoutent ses grands-parents : Tino Rossi, le séga de la troupe Kalou Pilé ou les comptines de Jacqueline Farreyrol qu’adore sa tante institutrice. « Dans ma famille, nous n’avions pas du tout conscience du maloya » se souvient Jako Maron. Et pour cause : dénonciations, descentes de gendarmes, arrestations, instruments confisqués, rassemblements interdits, pressions et répressions… Jusqu’aux années quatre-vingt, le maloya est la bête noire des autorités réunionnaises – du député gaulliste Michel Debré surtout –, car s’il rappelle le passé esclavagiste et colonial de l’Île Bourbon, il fédère aussi des militants du Parti Communiste Réunionnais fondé par Paul Vergès en 1959. Dans un grand entretien (hors ligne désormais) publié en 2019 par la plateforme Qwest TV, le célèbre maloyèr Danyèl Waro raconte très bien cette histoire : « les autorités politiques et l’Église considéraient le maloya comme la musique des pauvres, des africains, des moins-que-rien. Pour eux, le tambour était le diable et les cérémonies d’hommage aux ancêtres étaient considérées comme de la sorcellerie, des fêtes archaïques. L’interdit du maloya, c’est un interdit d’humanité hérité de l’esclavage. Mais en réalité, ils réprimaient et stigmatisaient le maloya car ils en avaient peur. Caché car rejeté, le maloya appartenait au monde souterrain, il était hautement subversif. Je vous parle d’un temps où il fallait vraiment militer pour faire exister ce maloya. »
De nombreux témoignages s’accordent à dire que le maloya est rejeté au sein même de la communauté afrodescendante car, parfait exemple du racisme intériorisé, il rappelle trop leur africanité aux descendants d’esclaves. Dans ce contexte, pas étonnant que Jako Maron, comme de nombreux réunionnais à l’époque, soit alors étranger au maloya qui se transmet dans le secret des familles ou dans les meetings du Parti Communiste, souvent porté par l’extraordinaire Firmin Viry dont la voix et la troupe familiale électrisent les foules. D’ailleurs, Jako Maron se souvient bien de la première fois qu’il voit Danyèl Waro à la télévision. « Il n’y avait qu’une chaîne en noir et blanc, c’était aux actualités régionales. Danyèl Waro était tout jeune et nous, on était assis dans le divan avec mes grands-parents et on s’est dit, “mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?”. On a dû ricaner comme des gens méchants. À l’époque, je n’avais rien compris. » Mais cela ne durera pas.

L’épiphanie
Ado, Jako Maron écoute en boucle une cassette de Jean-Michel Jarre, Équinoxe, mais aussi l’électro pionnière du grec Vangelis et le new beat des belges Front 242. Son oncle a un orgue, un de ses potes un synthé. Les bidouilles électroniques le démangent et lorsqu’il passe une année scolaire à l’IUT de Dijon pour tenter de devenir informaticien, le futur producteur passe tout son temps à la FNAC. L’objet de sa convoitise ? Un synthé Yamaha DX7. « On était trois ou quatre geeks et on faisait la queue pour pouvoir jouer chacun son tour. J’étais new wave à mort à l’époque ! » raconte-t-il. « J’aimais la musique mais je n’avais encore pas le projet d’en faire et encore moins les moyens. » Pendant ce temps-là, l’élection de François Mitterrand en 1981, puis celle du communiste Paul Vergès au conseil régional de La Réunion deux ans plus tard, réhabilitent le maloya dans l’espace public et contribuent à l’évolution des mentalités. Firmin Viry, Lo Rwa Kaf, Gramoun Lélé, Gramoun Baba puis Danyèl Waro et les militant.e.s de Troupe Flamboyan, Françoise Guimbert et le groupe Voulvoul… Grâce à ces passeurs obstiné.e.s, le cœur battant du roulèr résonne dans toute l’île et le maloya continue de soutenir, d’amplifier les combats d’une partie du peuple réunionnais, qui demande l’autonomie de l’île et l’enseignement du créole dans les écoles. Chant de lutte et de rébellion dans l’âme, le maloya de ces années-là dénonce aussi les injustices post-coloniales, les dérives socio-environnementales de la monoculture de la canne et les scandales politiques. Notamment celui du Bumidom – pour Bureau pour le Développement des Migrations dans les Départements d’Outre-Mer – qui, sous l’impulsion de Michel Debré, mène des campagnes de stérilisation, d’avortements forcés et de déplacements d’enfants de 1963 à 1981. En 1980, le groupe Ziskakan dénonce la situation dans la chanson « Bumidom ». Progressivement, le maloya fait son entrée sur les ondes, marquant toute une nouvelle génération d’artistes et de militant.e.s.
Pour Jako Maron, l’épiphanie a lieu lorsqu’à son retour sur l’île de La Réunion, ce dernier part faire son service militaire. « J’avais 21 ans. En allant dans le nord de l’île, dans le camion de l’armée, les gars chantaient du maloya, celui de Danyèl Waro surtout et ça m’a vraiment impressionné. J’ai pris conscience de la puissance du maloya, de sa capacité à fédérer, à soulever. La force du maloya m’a profondément touchée. J’ai compris l’importance et la place qu’il occupait chez les Réunionnais. Et j’ai compris que chez moi, on était passé à côté. Après ça, je me suis plongé dedans. J’écoutais Danyèl Waro en boucle, j’allais à ses concerts. J’avais une cassette de Firmin Viry aussi, j’adorais le grain de voix de Simon Lagarrigue qui l’accompagnait. Ça allait avec tout ce que j’aimais dans le blues, le funk, le dub… Ces musiques dont l’impact repose sur le rythme. À ce moment-là, dans l’optique maloya, tout a commencé à s’aligner pour moi. J’ai voulu me mettre à en sampler. Mais au début, c’était difficile de trouver des vinyles de maloya dans les magasins à La Réunion. » Faute de quoi Jako Maron sample alors du séga, notamment celui du violoniste Luc Donat, pour les interludes de Nana 7 i M, l’unique album paru en 1996 de son tout premier groupe, Ragga Force Filament. En économisant, le producteur est parvenu à s’acheter un Casio SK1 et échantillonne tous les disques qu’il emprunte alors à la médiathèque : dub, dancehall, rock, punk, musique classique, jazz, jungle, trip-hop… Tout nourrit les oreilles de ce mélomane curieux qui, petit à petit, s’affirme en véritable musicien.

Révolution modulaire
La deuxième révolution de Jako Maron a lieu en 2012, l’année où il achète son premier synthétiseur modulaire, lors d’un séjour à Paris. « J’ai acheté quelques modules, des rails, et je suis rentré à La Réunion où j’ai fabriqué la boîte à partir d’une vieille caisse à outils ! » se souvient le producteur, qui n’en était pas à ces premières bidouilles électro-artisanales. Quelque temps plus tôt, Jako Maron s’était déjà doté d’un keytar bon marché dont il avait ouvert le ventre façon Frankenstein pour extraire de ses circuits électriques des morceaux ultra expérimentaux qui allaient l’emmener à oser Saint Extension, son tout premier album solo dévoilé en 2009. Hasard ou pas, c’est l’année où l’Unesco épingle le maloya au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, accélérant la visibilité du genre à l’international. En tout cas, les oscillations mutantes quasi-surnaturelles du synthé modulaire marquent un virage définitif pour le visionnaire qui a désormais trouvé son son, sa signature.
Près de quinze ans plus tard, Jako Maron n’est plus l’alien esseulé qu’il a été. Boogzbrown, Do Moon, Cubenx, Agnesca, Sheitan Brothers, Labelle, Loya… En 2018, la compilation Digital Kabar témoigne déjà d’une scène très dynamique – largement dominée par les hommes, comme dans le maloya traditionnel – qui use de ses machines pour proposer des relectures innovantes du patrimoine musical réunionnais et notamment du maloya. Depuis, l’horizon des musiques électroniques réunionnaises s’est ouvert aux femmes, à l’image de Kaloune, Maya Kamaty ou encore Eat My Butterfly, qui s’invitent régulièrement sur les scènes hexagonales et dans la programmation des Électropicales. « À chaque fois qu’il y a une nouvelle tête dans le paysage électronique réunionnais, je suis très curieux, j’écoute tout le monde et j’espère toujours que je vais me prendre une claque. C’est comme ça qu’on avance, c’est une saine émulation » affirme Jako Maron. « Par exemple, j’admire et je respecte beaucoup le travail de Loya. Il est très fort et ça me donne envie de repartir tout de suite en studio pour me remettre à la musique, ça me motive, ça me donne envie de me dépasser. » Paru fin 2024, le nouvel album de Loya met, il est vrai, la barre très haut : conçu en collaboration avec la famille Remanindry du peuple Antandroy, une communauté chamanique du sud de Madagascar, Blakaz Antandroy invoque les esprits Kukulamp en mêlant transe électronique, cithare lokanga et chants de guérison.
Dans la tracklist de Digital Kabar se glisse aussi le son vintage d’un clavier Moog dans « Kom Lé Long », un morceau de Ti Fock, dont le maloya reggae-rock et militant marque les esprits au tournant des années 80 à La Réunion et au-delà. Comme ailleurs, les grandes (r)évolutions de la musique s’impriment sur les musiques locales. Gilbert Pounia avec Ziskakan, Alain Peters, René Lacaille et Loy Erlich avec Caméléon, Jean-Claude Viadère… Dans le courant des années 70 puis 80, l’avant-garde des musiciens réunionnais se met à explorer de nouveaux horizons, une période très créative qui voit une nouvelle génération d’artistes électrifier séga et maloya pour les réinventer à la sauce psychédélique. Les studios comme Piros ou Studio Royal à Saint-Joseph, qui jusqu’alors boudaient le maloya au profit du séga et de la variété, s’ouvrent petit à petit à ces jeunes musiciens aux cheveux longs. Publiée en 2017 chez Strut Records, l’incontournable compilation Oté Maloya (The Birth Of Electric Maloya On Reunion Island 1975-1986) offre une plongée au cœur de ce passionnant âge d’or. Et aujourd’hui ?
Maloya is not dead
« Aujourd’hui, on retrouve le maloya dans le mainstream réunionnais, dans le rap et même dans la trap ! » s’exclame Jako Maron. « Après tout, pourquoi pas ? Au fond, c’est bien que le maloya résonne partout sur l’île et qu’il touche tout le monde. Seulement, je ne voudrais pas que le maloya y perde son âme non plus, qu’il finisse dévitalisé à des fins seulement commerciales. Attention, les gars font ça bien hein, leur trap emboîte le pas du roulèr, les charleys sont en ternaires… Mais leur musique n’est pas revendicative. Cependant, cela montre au moins que ces jeunes artistes ont conscience du maloya et donc, d’une partie de leur histoire. »
En 2014, le créole réunionnais acquiert officiellement le statut de langue régionale ce qui lui permet d’être enseigné dans les écoles et étudié à l’université de La Réunion. Peut-on faire le lien avec la façon dont le maloya et son histoire semblent devenir, plus largement qu’avant, un fier levier identitaire de la communauté créole à La Réunion ? Peut-être. Achem, Jahiro, Nairod, Alex Sorres, Di Panda… Les rappeurs de l’île sont nombreux en tout cas à s’emparer des couleurs du maloya. En 2023, un album fait date : M.I.N.D (Maloya Is Not Dead), imaginé et conçu par le producteur réunionnais Nicolas M’Tima alias Nikooo Prod, qui s’est déjà illustré en métropole en composant des tracks pour Vitaa, Black M ou Maître Gim’s. À La Réunion, le concept de M.I.N.D est une première ! Le disque réunit des voix importantes des musiques urbaines réunionnaises et des piliers de la scène maloya contemporaine tels que Simangavole, Votia, Les Tambours Sacrés, Davy Sicard, Zanmari Baré ou encore Lindigo. D’un titre à l’autre, alcoolisme, violences conjugales et autres questions d’actualité croisent en créole les sujets historiques des chants maloya, notamment dans le morceau « Ten’ Fénwar » où le groupe Kiltir et le rappeur H Magnum (français d’origine ivoirienne) reviennent sur l’histoire du marronnage réunionnais — c’est-à-dire la rébellion des esclaves qui ont fui les plantations pour s’établir en communautés autonomes dans les sommets difficilement accessibles des hauts de l’île.
Rituel live
« Jako Maron, c’est mon nom choisi, identitaire, revendicatif. C’est ma façon d’habiter mon histoire et ma créolité » explique le producteur qui a collé, sur la porte de son studio, une affiche de la Fèt Kaf de 1992, un jour d’hommage aux ancêtres autant qu’une fête populaire qui célèbre chaque année l’abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848. Pivotant sur son fauteuil, Jako Maron braque sa webcam sur ses machines qu’il évoque avec la tendresse des geeks. « J’attends de recevoir une nouvelle distorsion, un truc géant, magnifique. Pour moi, chaque nouvel outil correspond à une nouvelle voie d’exploration sonique. Qui sait ce que j’en ferai ? » s’enthousiasme-t-il au moment d’évoquer ses futurs projets. Souvent sollicité pour produire des remix, Jako Maron s’offre désormais le luxe de choisir ce qui lui plaît vraiment.

Bientôt, ses machines reprendront le chemin des clubs pour faire rayonner le répertoire de Mahavélouz à l’international. « Le live, c’est mon rituel électronique, c’est comme une cérémonie que je commence toujours par un grand moment de purification avec un morceau tout en distorsion très violent et très lent, qui débouche ensuite sur des morceaux pour danser. Quand je joue en Allemagne par exemple, les gens sont embarqués par l’énergie rave même s’ils ne connaissent pas le maloya. Quand je joue au Brésil, au Mozambique, en Ouganda, les gens reconnaissent les cousinages rythmiques, identitaires et spirituels. Mais dans tous les cas, les gens sont touchés car ils entendent le sacré. » Pas étonnant pour celui qui s’est choisi pour avatar le nom du Jako Malbar, un personnage mystique de la culture tamoule, chargé d’éloigner les mauvais esprits et de porter chance. Avec tous les (bons) augures de son côté, l’avenir de Jako Maron est appelé à briller.
Mahavélouz, Jako Maron, Nyege Nyege Tapes (fév. 2025)
