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Electro shangaan : le “folklore” mutant d’Afrique du Sud 
Photography by Chris Saunders

Electro shangaan : le “folklore” mutant d’Afrique du Sud 

Originaire de la région sud-africaine du Limpopo, l'électro shangaan, connue localement sous le nom d'électro tsonga, a explosé vers la fin des années 2000 pour s'imposer dans le monde entier avec ses rythmes effrénés, ses mélodies hachées et ses voix ultra aiguës, avant de retomber dans une relative obscurité. Jonah Mociun, aka DJ 0.000001, nous raconte.

Sur des rythmes électroniques ultra-rapides, enchaînés avec des flûtes de pan et des marimbas synthétisés, planent des chants festifs en mode appels et réponses. Claquements de mains et bribes de voix suraiguës complètent ce tableau brûlant. Ca c’est pour l’audio. Pour le visuel : entourés d’une foule de badauds, des clowns aux fesses démesurées dansent comme des détraqués sur un terrain de terre battue, donnent des coups de pieds et frappent le sol au rythme de cette musique psychédélique et jubilatoire. On se croirait dans un cartoon. C’est (ou c’était) de l’électro shangaan.

C’est dans la région du Limpopo, en Afrique du Sud, que l’électro shangaan (localement connue sous le nom d’électro tsonga) a vu le jour vers 2005 et, en l’espace d’une demi-décennie, est devenue un phénomène mondial. Férocement unique, stimulant et indifférent aux normes, le genre a été accueilli avec enthousiasme par des auditeurs et diggers du monde entier. Mais une demi-décennie plus tard, avec seulement une poignée de sorties sur le marché international, l’électro shangaan semble avoir disparu.  
Son nom provient du peuple Shangaan, qui comprend une partie de la population Tsonga du sud du Mozambique et de l’Afrique du Sud. L’album Ku Tekiwa – Manana Mabasa Na Shigombe Sisters (1997) de MC Mabasa est reconnu comme le plus ancien disque d’électro shangaan enregistré, bien qu’il existe probablement des disques plus anciens.

Entre ses racines folkloriques indéterminées et son émergence au milieu des années 2000, l’électro shangaan trouve également ses origines dans une histoire, celle des grands changements socio-politiques du 20e siècle. Au début des années 60, la popularisation d’instruments occidentaux, en particulier de guitares, dans la musique rurale zouloue a fait évoluer le maskandi, et donnera naissance au “mbaqanga” et à son dérivé plus occidental, le “township jive”, tous deux éclipsés plus tard par le “Tsonga disco”, qui incorporait des lignes de basse R&B accélérées et d’autres éléments de la musique de danse alors très populaire à l’échelle internationale. Dans les années 90, le kwaito a permis aux boîtes à rythmes et aux synthétiseurs d’occuper le devant de la scène. Cependant, tout au long des décennies, les voix, qu’il s’agisse de groupes d’appel et réponse ou de solistes, sont restées extrêmement populaires. Le disco tsonga et le kwaito – davantage inspiré de la house, sont encore très présents aujourd’hui. Ils se sont transformés au fil des ans avec l’avènement de nouvelles technologies de production et les sons de la pop contemporaine, du R&B, du hip hop et d’autres musiques, donnant naissance à divers sous-genres tels que le gqom et l’amapiano.

Ce qui différencie l’électro shangaan des musiques populaires précédentes de la région, c’est sa vitesse (atteignant des tempos de 190 bpm) et l’absence de lignes de basse ou de grosses caisses. Cette accentuation des médiums et des aigus, ainsi que la complexité des motifs de batterie, confèrent à la musique une légèreté et une vivacité euphorisante, propice aux danses ultra-rapides centrées sur les jambes et les pieds.

Nozinja est l’un des piliers de l’électro shangaan. L’artiste originaire du Limpopo est crédité dans la grande majorité des sorties du genre en tant que compositeur, producteur, ingénieur et/ou propriétaire du label Nozinja Music ; on dit même qu’il a inventé le terme “électro shangaan”. Via son label ou en organisant des événements live, il a popularisé ce nouveau son dans tout Soweto. Puis, à partir de 2010, avec l’aide du label londonien Honest Jon’s Records, l’électro shangaan a été propulsée dans le monde entier, Nozinja se faisant le porte-parole de la musique et de la culture shangaan dans un torrent d’interviews et de documentaires tous sortis au mitan de la décennie.

Nozinja sitting with group. Photography by Chris Saunders

Outre Nozinja, un autre contributeur et pionnier du genre est DJ Khwaya. Bien qu’il n’ait pas surfé sur la vague médiatique ni publié d’œuvres sur Nozinja Music ou Honest Jon’s – et qu’il soit donc resté pratiquement inconnu du public international -, sa musique était extrêmement populaire en Afrique du Sud. 

À la fin des années 2000 et au début des années 2010, alors que les clubs européens se branchaient sur les courants de danse électronique africains et sud-américains et que la “global bass” était adoptée comme terme générique pour désigner les croisements complexes de tendances africaines, latino-américaines et caribéennes, Nozinja et ses acolytes ont connu une ascension fulgurante. Ancien réparateur de téléphones portables, l’artiste s’est vu propulsé en tête d’affiche de festivals internationaux et son premier album solo, Nozinja Lodge, paru sur Warp Records, a été salué par la critique. Mais fin 2015, Nozinja et la plupart de ses homologues se sont apparemment arrêtés. La raison de ce silence abrupt ? Il n’y en a pas d’officielle. Les nombreux artistes et labels contactés pour cette interview n’ont pas souhaité y répondre.

Pourtant, au cours des années suivantes, l’Europe et le monde occidental ont continué à s’intéresser aux musiques tribales futuristes telles que le moombahton, l’électro-cumbia et d’autres variantes techno-tropicales, mais les journalistes ont cessé d’écrire sur la musique shangaan. Peut-être que les auditeurs se sont tout simplement désintéressés, ou que la recette musicale était trop spécifique pour être adoptée et transformée par des producteurs étrangers. Les Nyege Nyege Tapes ont également vu le jour, popularisant de nouvelles souches africaines mutantes en provenance d’Ouganda, de Tanzanie et d’ailleurs, dont beaucoup présentent des rythmes tout aussi percutants et complexes que l’électro shangaan. En 2017, la tendance semblait donc avoir perdu toute pertinence et ses artistes avoir tout simplement démissionné. Et pourtant…

En réalité, bien que Nozinja, Honest Jon’s, Warp, The Fader, Rolling Stone et le reste du monde aient semblé oublier son existence, l’électro shangaan s’est perpétuée, mais de manière beaucoup moins visible. En ligne, il est difficile de trouver des musiciens d’électro shangaan actifs, à quelques exceptions près (comme GT Sikiza). Mais de rares et brèves extraits sur TikTok et YouTube semblent prouver que cette musique est bel et bien vivante dans son pays d’origine, indépendamment de l’attention des médias et du grand public. DJ Khwaya, par exemple, malgré une absence de présence sur Internet, peut toujours être vu en train de se produire à Johannesburg aux côtés d’une myriade d’artistes travaillant dans la veine de l’électro shangaan et de ses cousins musicaux. L’influence du genre est également perceptible dans le gqom, l’amapiano, le xigaza et d’autres musiques populaires de la région. 

Même le chanteur et guitariste Thomas Chauke, peut-être le musicien traditionnel sud-africain le plus célèbre, qui avait pourtant déclaré que l’électro shangaan et d’autres formes de musique électroniques n’étaient “pas de la musique”, joue actuellement à une vitesse drôlement familière et et inclut même un claviériste électronique dans son groupe.

Au-delà du continent africain, le bref passage de l’électro shangaan sous les projecteurs du monde entier a imprimé ses signatures dans le lexique musical général. Bien que ces influences soient difficiles à discerner, on peut en trouver des exemples clairs dans d’obscures expériences Soundcloud comme le “Shangaan Singeli Chiptune” du producteur japonais Tobokegao, ou le “Shangaan hardstyle” du producteur britannique Charge. Et il y a aussi… ahem – mon propre album, Recombinant Shangaan, que j’ai sorti sous le nom de DJ 0.000001.

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