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The Pan African Music Magazine
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Faada Freddy : 30 ans de SOULitude

Vocaliste hors normes, Faada Freddy mêle depuis bientôt 30 ans soul, reggae, a capella et rap conscient, que ce soit avec le groupe dakarois Daara J ou en solo. Il revient avec Tables Will Turn : un cinq titres 100 % organique, 100% perso. Portrait.

Abdou Fatha Seck, costume cintré en velours et chapeau melon vissé sur ses dreads, est un Waalo-Waalo. Il est en effet né, au milieu des années 70, dans l’ancien royaume du Waalo et plus précisément à St Louis, sur la côte nord-ouest du pays, à l’embouchure du fleuve Sénégal. N’empêche, notre dandy à la mine réjouie est très attaché à la verte Casamance, tout au sud. La région des frères Touré Kunda, sans aucun doute le groupe le plus emblématique de cette world music qui vit le jour en France au tournant des années 1970-80 et sans qui, estime t-il, sa carrière n’aurait pu se déployer hors des frontières du continent.

Mais c’est bel et bien entre ces deux régions historiques, à Dakar, la capitale, que celui qui a choisi Faada Freddy pour nom de scène a grandi : du quartier HLM 4 (où siégeait la maison de son grand-père paternel) à celui de HLM angle Mouss (où il a reçu son initiation spirituelle soufie), en passant par les Allées du Centenaire, la Médina, Gibraltar et Colobane (où il s’est installé chez son meilleur ami, Ndongo D, quand il a commencé la musique). À bientôt 50 ans, celui qui vit aujourd’hui entre Dakar et Paris précise : « j’ai été nomade très jeune et cela a façonné l’homme que je suis devenu. Cela m’a conduit à entreprendre un voyage intérieur et à comprendre que nous sommes « un ». Puis à valoriser l’unité de l’humanité à travers ma musique ».

Dans le melting pot dakarois

Dans le Dakar de son enfance, la musique justement est omniprésente. À la maison, avec Nina Simone, Billie Holiday, Aretha Franklin, Otis Redding ou James Brown, les vinyles jazz et soul du patriarche. Mais aussi dans la rue. Car aux HLM 4, dans le centre-sud de la capitale, Faada Freddy a pour voisins le chanteur Ismaël Lô ainsi que le « couple royal » formé par Soundioulou Cissokho (kora) et Maa Hawa Kouyaté (chant) : «  j’avais 4 ans et je me disais : cette femme là je l’aime, elle est magnifique ! C’est plus tard que j’ai compris que j’étais un héritier de cette culture mandingue qui s’étend du Sénégal au Burkina Faso et des portes du désert malien aux côtes guinéennes.» Résultat : à 5 ans, Faada Freddy « tympanisait » tout le monde. A son père, il « tapait sur les tympans » à coup de « No Woman No Cry » de Bob Marley, mais dans sa propre version en wolof. Et à sa grand-mère, dont il était « amoureux fou », il déclamait une chanson d’Ismaël Lô qui dit : « belle dame, regardes comme tu marches, aïe, aïe, aïe, j’aime ta démarche », chante t-il dans un grand éclat de rire. Aujourd’hui loin de « tympaniser », sa voix unique, douce et rocailleuse, qu’il confie avoir « volée » à sa mère, est qualifiée par le chanteur américain Lenny Kravitz d’ « effortless ». Comprendre : naturelle, organique, qui coule de source.

Enfant, Faada Freddy dessine beaucoup, des bédés notamment : « on pensait que je ferais l’école des arts ». Et puis, il écrit: « je voulais que mon père qui était un intellectuel, un inspecteur d’académie, soit fier de moi. Alors j’écrivais des poèmes que je lui chantais ensuite. Ce qui a été une bonne introduction pour le rap. Parce que, pour nous, le rap ce n’était pas que du divertissement, c’était aussi la force de la poésie. Feu Ndiaga Mbaye, l’un des plus grands paroliers de l’histoire de la musique sénégalaise, nous a indiqué le chemin. C’était le maître des « punchlines » dans la musique traditionnelle. Il disait : il y a chanter et chantonner. Celui qui chante réellement est celui qui éveille la conscience collective. C’est lui qui nous a fait comprendre que le plus important est de porter un message et c’est dans cet état d’esprit que l’on a commencé à écrire avec Ndongo D et Lord Aladji Man pour former le groupe Daara J au début des années 90. » 

Entre-temps, comme toute sa génération, Faada Freddy est branché sur Radio Gambie, écoute et chante beaucoup de reggae, au point d’hériter du surnom de Freddy, en référence au chanteur jamaïcain Freddy McGregor.

Et puis, alors qu’il a à peine 10 ans, le hip hop débarque dans sa vie par le biais du film musical américain Breakin’ (1984), dont l’action se déroule dans l’univers du breakdance. « Mes oncles et moi, on voulait danser comme l’un des personnages, Turbo. Alors on s’est mis au popping (ou smurf) dont le principe de base est la contraction et la décontraction des muscles en rythme. Quand j’étais en vacances à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, je participais à des concours en cachette. J’étais tout jeune, on me faisait rentrer dans les clubs et je faisais des battle contre les adultes. Il m’arrivait parfois de gagner car je glissais entre leurs jambes et me relevais en faisait une phase de breakdance. Les gens criaient : « c’est le petit qui a gagné » !

 A l’école de la vie

10 ans après être entré en hip hop par la danse, Faada Freddy sort, à 19 ans, avec Ndongo D et Lord Aladji Man (mais dans le dos de son père), la 1ère cassette éponyme du groupe Daara J, « l’école de la vie » en wolof. Nous sommes en 1994 et avec le succès du groupe Positive Black Soul (PBS), formé par Didier Awadi et Doug E Tee en 1989, la scène rap de Dakar est en pleine ébullition. « II y avait aussi Mc Lida, Mbacké Dioum, le groupe Pee Froiss, on était très nombreux ! Chaque coin avait son rappeur vedette ou un groupe qui représentait sa rue, son quartier. Il y avait aussi Mc Claver en Côte d’Ivoire, Benny B en Belgique, Mc Solaar en France (dont le PBS a fait la 1ère partie en 92 à Dakar), on avait l’impression d’appartenir à un seul et même mouvement ! Nous, dans la foulée du PBS, on a cultivé le rap wolof et c’est comme ça qu’on s’est distingué des autres qui rappaient en français ou en anglais. C’était aussi une manière de faire adhérer les anciens qui nous reprochaient de vouloir copier les Américains. »

Mêlant soul, reggae, chant a capella et raps engagés, le groupe de Dakar triomphe au pays par l’éloquence de ses textes, sa spiritualité et musicalité. Exit alors les études de comptabilité entamées par Faada Freddy et Ndongo D. Avec cette fois la bénédiction de son père, Faada Freddy part à la conquête du public international, à la faveur du premier contrat d’enregistrement et du premier concert du groupe Daara J en France, en 1996, au Hot Brass (Paris). Depuis, l’élan n’est guère retombé. Le groupe a joué sous toutes les latitudes aux côtés de Zebda, Wyclef Jean, MosDef ou Peter Gabriel et a livré six albums : trois sous le nom de Daara J, dont Boomerang (prix du meilleur album aux BBC World Awards en 2003), et trois autres, dont School of life (2010), sous le nom de Daara J Family, choisi par Faada Freddy et N’Dongo D après le départ de Lord Aladji Man.

Et si le nom a changé, leur vision, elle, n’a pas bougée : elle est restée profondément humaniste et panafricaine. Plus de 25 ans après leurs débuts, sur l’album Yaamatele (2020), Faada Freddy et Ndongo s’adressent à une jeunesse africaine en proie à la pauvreté et au chômage (« What’s up »), l’encouragent à être fière de son identité, à rester elle-même et à s’unir, évoquent le fléau de l’immigration clandestine (« Jamono »), ou encore leur souci de l’environnement (« ADN »). Et leur engagement se traduit par des actes : « Au Sénégal, il commence à y avoir une fragile prise de conscience, mais les défis environnementaux sont titanesques (…) Nous, on est sur le terrain avec SOS Rufisque etSénégal Ney Set, on organise des journées de nettoyage. On participe à des forums aussi. Car le plus important est d’aller vers les gens. C’est une éducation permanente qui doit être faite. Elle devrait d’ailleurs commencer à l’école en réinstaurant l’éducation civique », nous confiait Ndongo D en 2020.

Faada Freddy en solo ? Bonne nouvelle !

En parallèle, Faada Freddy sort en 2015, à 40 ans, son premier album solo, Gospel Journey, sur le label défricheur Think Zik! (Ayo, Imany). Son défi : n’utiliser aucun instrument et créer tous les sons et les rythmes à base de percussions corporelles et de voix. Une démarche qui rappelle celle de l’américain Bobby McFerrin (qui l’a invité sur scène lors d’un concert au Théâtre du Châtelet en 2014), mais dans une dynamique autre, plus pop. Une démarche en forme de retour aux sources. Celle des cours de son enfance, où il se fabriquait des guitares avec des boîtes de sardines et du fil à pêche et s’accompagnait de presque rien. Battements de pied ou claquements de doigts. Les cuisses pour faire de l’effet, et la poitrine comme caisse de résonance.

Un retour aux sources aussi parce qu’avec cet album de reprises aux ancrages divers (gospel, soul et même punk-rock avec une cover de Generation Lost de Rise Against), Faada Freddy avait « envie de rétablir le lien entre les Africains du continent et ceux de la diaspora, grâce à une musique unificatrice qui, à la base, est africaine et a influencé le monde entier. Gospel Journey c’est un voyage à travers le negro-spiritual, le blues, toutes ces musiques qui ont façonné le gospel d’aujourd’hui. Beaucoup m’ont demandé : « mais toi tu es musulman, pourquoi tu fais du gospel ? » Tout simplement parce que, si on retourne à la base, le mot gospel vient du vieil anglais « godspell » qui signifie « évangile ». Un mot d’origine grecque pouvant se traduire par « bonne nouvelle » et qui nous rappelle que le gospel fait référence au Nouveau Testament, symbole d’une nouvelle naissance et de la grâce qui libère en lien avec l’émancipation des esclaves. C’est d’ailleurs pour cette raison que je reprends « Borom Bi », un titre qui figure sur Xalima, le 2ème album de Daara J. Le morceau dit « je n’ai pas peur, je ne suis pas seul, tant que je marche avec toi ». C’est un appel à la foi. Je ne pouvais pas faire un album qui s’appelle « Gospel Journey » sans faire une exaltation spirituelle avec mes mots. »

Une nomination aux Victoires de la musique en France dans la catégorie « Révélation scène » (2016), trois cent concerts à travers le monde et une « pause spirituelle » au Sénégal plus tard, Faada Freddy revient avec Tables Will Turn : un cinq titres qui annonce un album une nouvelle fois 100 % organique, tout entier brodé de percussions corporelles et de beatboxing mais dont, à la différence de Gospel Journey, Faada Freddy signe, en anglais, tous les morceaux.

De foi en la vie, il est aussi question ici avec le titre « Tables Will Turn », qui donne son nom au projet : un chant d’espoir et d’optimisme dans lequel Faada Freddy après avoir été soulman dans un groupe de rap, entend rester libre de rapper dans un répertoire soul. On est d’accord !

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