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MC Yallah & Debmaster, des frissons dans la nuit
Photo : Brontë Godden

MC Yallah & Debmaster, des frissons dans la nuit

Avant de les retrouver sur scène au Nyege Nyege Festival Paris le 14 juillet, PAM a rencontré MC Yallah et Debmaster à Lille, pour en savoir plus sur les origines de leur complicité et sur Yallah Beibe, un nouvel album de rap sombre et futuriste unique en son genre. Interview sur l’eau.

Bien qu’impliquée dans la scène rap ougandaise depuis 1999, MC Yallah ne fut révélée au reste du monde qu’en 2018 sous l’impulsion du crew Nyege Nyege, qui sortait alors Kubali sur son label Hakuna Kulala. Le Covid n’aidant pas à donner une suite à ce premier album hors du commun, la Kényane d’origine squatte à la villa Nyege pendant la pandémie et continue de s’imprégner du travail des beatmakers les plus déjantés de son écosystème, comme le Congolais Chrisman, le Japonais Scotch Rolex, ou son partenaire historique, le Français Debmaster. Conscient et aussi poétique que politique, le rap polyglotte de Yallah joue de nouveau au bras de fer avec ces instrumentaux alambiqués au parfum dancehall, trap ou même death-metal. C’est à Lille, sur une péniche transformée en scène de concert que MC Yallah et Debmaster défendaient l’intense Yallah Beibe, l’une hypnotisant la foule de son flow tranchant, pendant que l’autre malmenait le beat avec une manette de PlayStation customisée. Derrière cette musique sombre et parfois violente se cachent pourtant deux personnalités adorables que PAM retrouvait après le concert, le temps d’une interview.

Julien, pourquoi joues-tu aux jeux vidéo pendant le concert ?

Debmaster : (rires) Debmaster est en fait mon pseudo de gamer. Je m’appelle Julien Deblois et je jouais en réseau avec mon frère et des amis dans mon petit village de Picardie, dans le nord de la France. Tout le monde avait un surnom viril comme Zeus, ou Dark quelque chose. Ironiquement, j’ai choisi Debmaster, et c’est devenu le nom de mon compte dans Caramail, AOL, Soulseek… Un gars m’a contacté sur Soulseek parce qu’il avait trouvé ma musique sur mon compte. A cette époque, je faisais de la musique pour le fun avec mon ordinateur, ce n’était pas sérieux. Le mec dirigeait un label français, et m’a demandé de faire un album avec des MC américains que j’adorais ! Je ne comprenais pas pourquoi il me demandait de faire du hip-hop parce que je faisais juste des trucs bizarres sur un logiciel. Ensuite, j’étais actif avec ce nom et je ne pouvais plus le changer !

Alors que fais-tu avec cette manette PlayStation sur scène ?

Debmaster : Les jeux vidéo ont toujours été très importants pour moi. J’étais une sorte d’adolescent atteint de TDAH (troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, NDLR), je trouvais des excuses pour passer du temps sur mon ordinateur et la musique m’a sauvé la vie d’une certaine manière. Un mec cool a créé un appareil qui permettait d’utiliser n’importe quel type de contrôleur. Le contrôleur envoie des données et les transforme en langage midi, avant de les envoyer vers Ableton.

Yallah, tu rappes en plusieurs langues, de quoi parles-tu dans tes chansons ?

MC Yallah : Je rappe en 4 langues, mais surtout Luo et Swahili du Kenya et Luganda d’Ouganda. Par exemple, « Kubali » signifie « accepter » ou « être d’accord ». Dans la chanson, je me convaincs d’être d’accord avec ce que je fais, et d’avancer avec ça. La plupart des chansons sont basées sur des expériences personnelles et sur ce qui se passe dans ma communauté. J’ai une autre chanson qui s’appelle « Dunia », ça veut dire « le monde ». Je dis que les gens ne sont pas justes dans ce monde, et qu’il y a beaucoup de problèmes au Kenya, comme des vols. Nous appelons désormais Nairobi, « Nairobbery » (jeu de mots entre Nairoby et robbery, le vol) ! Les gens deviennent si intelligents qu’ils peuvent te détrousser en un clin d’œil, tu ne le sens même pas. Mais en définitive, je dis aussi qu’il y a plein de bonnes personnes dans ce monde.

Le nouvel album est-il politiquement chargé ?

MC Yallah : Oui clairement, surtout sur « No One Seems to Bother ». Il y a des problèmes énormes dans le monde, comme la xénophobie en Afrique du Sud, le génocide au Rwanda… En Afrique, il y a aussi beaucoup de vols et de meurtres. Quelqu’un peut simplement vous regarder et penser que vous avez de l’argent, et même si vous n’en avez pas, il vous agresse. J’ai perdu un cousin chez moi au Kenya en 2017. Il revenait du travail, des gars le suivaient et lui ont demandé son téléphone et son argent. Il n’avait rien et ils l’ont tué… C’est tellement banal, ils ne se posent pas de question, ils s’en foutent !

Parle-moi de ta collaboration avec Debmaster ? Imaginais-tu travailler avec un beatmaker français ?

MC Yallah : Il y a des producteurs avec qui j’avais l’habitude de travailler en Ouganda, mais en 2017, Arlen de Nyege Nyege l’a découvert et lui a demandé d’envoyer des beats pour les MC ougandais. J’ai écouté le premier beat qu’il a envoyé et c’était la folie ! Mais ! Parce qu’il y a un mais (rires). Je me demandais comment j’allais rapper dessus ! C’était un style frais et nouveau. J’avais l’habitude de rapper sur des beats old school ou sur de la trap… J’ai remarqué que le compte était différent, c’était dément. Son style n’a pas de règles. Au début j’avais peur, mais j’aime me challenger ! Alors, je l’ai fait. J’aime le fait que ça me pousse à expérimenter. Maintenant, nous faisons notre propre truc et cela nous rend heureux, ainsi que notre public.

Debmaster : Au début, je ne voulais forcer personne à faire quelque chose d’expérimental. Et c’était en fait la vision d’Arlen, ça tombait bien. On a fait un single, puis on a continué avec « Dunia » et « Kubali », qu’on a terminés en deux jours !

MC Yallah : Ce rythme rend aussi mon style plus haché. Je rappe différemment grâce à ces beats !

Comment travaillez-vous ensemble ?

MC Yallah : Parfois il m’envoie 30 beats, et j’en choisis un ou deux, mon choix peut être juste basé sur l’intro. 5 secondes suffisent parfois pour juger si ça sera de la balle !

Debmaster : Ensuite, elle écrit quelque chose que je n’imagine même pas. Je ne pense pas à ce qu’elle fera quand je travaille sur les beats. L’équipe Nyege Nyege nous encourage à nous exprimer, donc notre interprétation du rythme est parfois différente, mais nous pouvons aussi aller dans la même direction. La façon dont nous partageons les énergies est intense ! Nous n’avons pas le temps de réfléchir, donc nous travaillons très spontanément et nous sommes maintenant accros (rires).

Tu travailles également avec Chrisman et Scotch Rolex sur cet album. Pourquoi les as-tu choisis ?

MC Yallah : Ce sont de bons producteurs. Je me souviens pendant la pandémie :  Chrisman était un peu stressé et frustré. Nous ne voulions pas rester à la maison, nous voulions juste aller à la villa et parler avec les gens. Chrisman faisait des beats et je rappais dessus, nous avons fait au moins 8 morceaux ensemble. Scotch Rolex est fou. Je pense que c’est pour ça que je travaille avec eux tous, parce qu’ils sont fous ! (rires). Ils me rendent encore plus folle.

Julien, de ton côté, avais-tu une expérience des musiques africaines avant de travailler avec Yallah ?

Debmaster : Pas vraiment, juste inconsciemment peut-être… J’ai passé presque un an au Caire. J’ai rencontré Mohamed Abozekry, joueur de Oud. Nous avons fait un peu de musique, mais c’est le seul lien sérieux que j’ai eu avec l’Afrique avant cela. Depuis mon petit village, en tant qu’enfant, je n’avais pas vraiment de contact avec l’Afrique, en dehors des clichés répandus par les médias, comme Yannick Noah ou les trucs mainstream « world music ». Quand Nyege m’a contacté vers 2015, j’étais à Berlin, et j’étais surpris et excité en même temps, je ne savais même rien de la villa et du festival à Kampala…

Y es-tu allé immédiatement pour rencontrer et travailler avec les artistes de Nyege Nyege ?

Debmaster : Je devais me rendre au festival en 2016. En fait j’ai une sclérose en plaques et j’ai eu une poussée en début d’été qui m’empêchait de marcher quelques centaines de mètres… On a annulé mon avion, mais j’ai commencé à courir en septembre… Ensuite, au lieu d’aller au festival en 2017, je courrais le marathon d’Amsterdam après m’être entraîné pendant un an parce que je suis un peu fou… Je m’entraînais toute l’année donc je disais aux gars que je viendrais l’année d’après. En 2018, j’ai passé un examen à Berlin parce que j’apprenais l’allemand pour pouvoir travailler dans une crèche. En 2019, j’ai fait une autre rechute, mais j’ai récupéré et nous avons enfin pu tourner avec Yallah en Europe ! Mais je ne suis allé à Kampala pour la première fois qu’en septembre de l’année dernière… C’était après 6 ans de communication quotidienne ! Mais je suis un nerd, donc je pense que c’était très constructif de cette façon, nous avons facilement réussi à sortir un album très cool ensemble. Quand j’ai rencontré Yallah, nous nous sommes vite sentis très à l’aise l’un avec l’autre.

MC Yallah : Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Venise, seulement deux semaines avant notre premier show !

Sur l’album, vous repoussez également les limites en travaillant avec Lord Spikeheart. Comment saviez-vous que la fusion entre hip-hop, métal et musique électronique expérimentale fonctionnerait ?

MC Yallah : Je connaissais déjà Martin Khanja alias Lord Spikeheart. Je voulais travailler avec lui, et quand Deb m’a envoyé ce beat, j’ai su que c’était le moment. On a écrit la chanson pendant un jam en répétant, peut-être en 10 minutes ! Et le lendemain, on l’a joué sur scène et on a assuré ! (rires)

Depuis que tu tournes en Europe, te sens-tu plus reconnue dans ton pays ?

MC Yallah : Ça commence. Je ne suis pas célèbre, mais je vais commencer à tourner en Afrique, donc ils devront s’y mettre ! C’est pareil dans les autres pays. Par exemple, quand Slikback joue au Kenya, les gens ne comprennent pas, car son style est nouveau !

Photo : Brontë Godden
Selon beaucoup de gens, ton flow est unique, il n’y a pas de comparaison. Qu’en penses-tu ?

MC Yallah : Quand j’étais jeune, j’écoutais Timbaland & Magoo, Busta Rhymes, les Fugees, Missy Elliott… J’adorais leur façon de rapper, je suis tombée amoureuse du hip-hop grâce à ces artistes. À cette époque, le premier groupe de hip-hop en Ouganda s’appelait Young Vibes, et il s’en inspirait. J’imitais les chansons, mais comme je t’expliquais, quand Deb m’envoie ses beats, à chaque fois je découvre un nouveau flow en moi. Cela dépend aussi de la langue que j’utilise. En fait, je n’écoute pas beaucoup de musique hip-hop actuelle, parce que j’ai peur de ressembler aux artistes, si je les écoute trop. Je m’écoute davantage, j’essaie de m’approprier le hip-hop à ma façon et de me lancer des défis, de faire quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant. Je pense que ça m’a aidé car j’ai même parfois la chair de poule en m’écoutant ! Je sais que je dois essayer autre chose pour le morceau suivant, c’est pourquoi rien ne se ressemble : il y a des chansons trap, drill, lentes et rapides… J’essaie d’être amie avec le beat, de ne former qu’un.

Puisque tu aimes te lancer des défis, rapperas-tu un jour en français ?

(rires)

Debmaster : Elle l’a déjà fait en italien lors d’un show ! Elle répétait dans les coulisses, et elle l’a fait sur scène. C’était fou !

MC Yallah : L’italien est plus facile que le français. Le français est difficile à apprendre, j’ai des problèmes avec ma langue quand j’essaye (elle rit et commence à rapper en italien)

MC Yallah jouera au Nyege Nyege Festival à Aubervilliers le 14 juillet. Prenez vos places dès maintenant ici.

Yallah Beibe est disponible ici.

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