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The Pan African Music Magazine
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Chico Cesar :  vêtu d’amour, têtu d’Afrique
© Ludovic Carême

Chico Cesar : vêtu d’amour, têtu d’Afrique

Inspiré depuis ses débuts par les artistes africains de sa génération, le chantre de la révolution par l’amour et la danse sort son dixième album studio, composé et enregistré dans l’hexagone. Portrait.

« Pourquoi les manifs au Brésil sont-elles si chiantes ? » s’interroge le chanteur Chico César, lorsqu’il évoque sa conception de la revendication. Ma révolution, c’est une révolution qui danse ! » Depuis ses débuts et sa célèbre Mama África au grand cœur, enchaînant les doubles journées de travail dans un pays dilapidé et abandonné, le chanteur a choisi sa voie, celle de la gaieté et du pouvoir de l’amour, pour lutter contre la tristesse, la douleur et la dureté du monde. « En Afrique du Sud, les gens dansaient pour exiger la libération de Nelson Mandela ! »

La révolution en dansant

L’influence de la terre africaine. Au départ une simple intuition pour ce tout petit bonhomme au look flower black power, né en 1964 dans la zone rurale de Catolé do Rocha, petite bourgade de l’état de Paraiba au Nordeste du Brésil, d’un père métis d’indien et de blanc, et d’une mère descendante d’esclaves, venus, pense-t-il, d’Angola. Ensuite il y a cette escale étouffante de deux heures à Dakar en 1991, et l’impossibilité -pour le chanteur alors en route pour l’Allemagne et sa première tournée européenne- de franchir les barrières à l’aéroport. Chico César en garde « le souvenir d’une expérience frustrante mais palpitante ». Et surtout, une cassette de Salif Keïta, écoutée en boucle sur une route en Espagne, alors qu’il allait avec un ami rendre visite à une fille qui était l’ex de l’un et de l’autre.

« Sa voix et sa musique m’ont beaucoup impressionné, se rappelle-t-il Si quelqu’un qui sort d’un village africain est capable de faire quelque chose d’aussi puissant qui parle au monde entier, je me suis dit que je pouvais en faire autant ». Fasciné par les arrangements pop du Malien, Francisco Cesar Gonçalves, alias Chico César, fonde le groupe A Cámara dos Camarados (la chambre des camarades) dès son retour au Brésil, le rebaptise peu après Cuscuz Clã (le clan du cuscuz, la semoule de maïs préférée des Nordestins) et se remet à composer. L’Afrique s’impose à lui tout naturellement : Tambores (les tambours), Dança O Povo Negro (danse le peuple noir) et A Primeira Vista (du premier coup), où Salif Keïta alterne avec Prince pour illustrer la bande son d’un intense coup de foudre : « C’était important pour moi de les placer sur le même plan. Ce sont deux représentants de la diaspora africaine comme moi, qui font partie du monde et qui le font bouger, plutôt que de l’observer et de s’en défendre. » Trois ans plus tard, le voilà qui pose enfin en photo sur son premier album, Aos Vivos (« aux vivants » en brésilien, jeu de mot avec ao vivo – « en live »), enregistré en public sur un petit label en compagnie d’une figure du Tropicalisme, le guitariste Lanny Gordin, et d’un certain Lenine. Le succès est immédiat. Séduites par sa sensibilité et son regard féminin, toutes les grandes stars de la Musique populaire brésilienne (MPB) de l’époque se disputent le droit d’interpréter ses compositions. C’est la chanteuse Maria Bethânia qui remportera la mise, faisant de A Primeira Vista un de ses plus grands succès. Aujourd’hui encore, il lui arrive fréquemment de solliciter Chico pour de nouvelles chansons.

Cette fascination qu’exerce l’artiste sur son public lors de la sortie d’un album, Chico César la découvre dès l’âge de 8 ans, lorsqu’il commence avec l’accord de ses parents à bosser avec le patron d’un magasin de disques et de livres proche de son école, dévorant Gabriel Garcia Marquez, Jorge Amado, José de Alencar et José Lins do Rego au milieu des pochettes d’Hendrix, des Stones, de Kraftwerk, de Luiz Gonzaga, de James Brown ou de la Banda de Pifanos de Caruaru. « Moi aussi je voulais être aimé par le public, être celui qui était sur la pochette, celle que les gens allaient tenir et regarder. Et je me suis rendu compte que c’était possible, grâce aux mots et à la musique. ». À 15 ans, quand il quitte définitivement Catolé do Rocha pour suivre sa famille à la capitale située sur le littoral, il a déjà plusieurs groupes à son actif et une furieuse envie de poésie.

© Ludovic Carême
Guerilla culturelle et Couscous clan 

À João Pessoa, Chico César rejoint à 18 ans le groupe des frères Pedro Osmar et Paulo Ró, Jaguaribe Carne, radicalement positionné à gauche et l’un des premiers à tenter la synthèse entre la musique folklorique locale et la musique expérimentale. Fondé sous le régime militaire, le groupe lance quelques cassettes alternatives sans aucune rigueur technique et pratique la guérilla culturelle. Une approche chère au chanteur, formé à la critique politique et sociale dès son plus âge par son frère ainé, membre du mouvement étudiant contre la dictature, emprisonné à plusieurs reprises et aujourd’hui militant du mouvement populaire pour le droit au logement. Prénommé Luiz Gonzaga comme l’inventeur du rythme baião, c’est un modèle pour l’artiste, tant sur le plan de l’engagement et de la confrontation, que pour son énergie et son esprit facétieux. Alors, quand Chico César déménage à São Paulo deux ans plus tard pour débuter une carrière de journaliste, c’est tout naturellement vers les musiciens de l’avant garde paulista qu’il se tourne, se liant d’amitié avec Itamar Assumpção et Arrigo Barnabé, les principales figures de ce mouvement culturel expérimentaliste qui a eu son heure de gloire au mitan des années 1980.

Mais en 1996, fini les articles et les concerts intimistes dans les théâtres alternatifs, Chico César est une star. Mama Africa version Cuscuz Clã, le deuxième album produit en grande pompe par Mazzola, alors vedette de chez Polygram, cartonne un peu partout. Chico, qui pose en roi africain couronné le sceptre à la main, a intégré le bassiste et chanteur sud africain Bakithi Kumalo à la pléiade de musiciens prestigieux recrutés pour l’occasion. Cuscuz Clã est un enchaînement de tubes iconoclastes, mélange de poésie ludique et savoureuse sur fond de revendication sociale et d’anti-racisme, dans une fusion de rythmes pop et traditionnels particulièrement réussie : reggae, funk, carimbó, coco, forró, vaquejada, jongo et bien sûr musiques africaines.

Chico Céasar – Mama África/Brilho de Beleza/Pra Não Dizer que Não Falei das Flores (Ao Vivo)

L’année suivante, c’est au tour de Lokua Kanza d’être invité sur Beleza Mano (super, frère), son troisième album, qui reprend avec bonheur  les mêmes ingrédients. Tous les deux ont démarré dans le style guitare voix et s’étaient rencontrés grâce au succès d’Aos Vivos. À l’immense surprise de Chico César, le musicien congolais lui avait demandé très sérieusement où donc il avait pu apprendre à jouer de la guitare dans un style typiquement africain. Lui qui avait toujours étudié seul ! « Cette façon que j’ai de jouer, de chanter et de me comporter a fait que les musiciens africains m’ont toujours vu comme un frère », dit-il fièrement. C’est aussi ce qu’affirmera par la suite Ray Lema, qui considère Chico César comme l’artiste le plus africain du Brésil… après Luiz Gonzaga, dont il possède une vingtaine d’albums et dont il sait jouer tous les morceaux ; un musicien noir, né dans l’intérieur du Brésil, comme tous les grands compositeurs de forró, de Jackson do Pandeiro à João do Vale en passant par les musiciens du Trio Nordestino ou du combo Os Três do Nordeste. « Grâce à un Africain, je me suis rendu compte que la musique noire est à la base de la musique nordestine, s’exclame-t-il. Pour le coup, j’ai arrêté de différencier musique nordestine et musique africaine, puisque c’est la même. Cela m’a rendu plus modeste par rapport à celle que je fais. » Illustration parfaite de ces ressemblances, Francisco, Forró Y Frevo, sorti en 2008 sur Chita Discos, son propre label, est un véritable concentré de rythmes du Nordeste et une évocation endiablée des carnavals de son enfance.

L’amour en révolutions 

Après les superbes Estado de Poesia (état de poésie) en 2015 et O Amor É Um Ato Revolucionário (l’amour est un acte révolutionnaire) en 2019, plus engagés et inspirés que jamais, Chico se dit qu’il est temps de refaire parler de lui dans un pays qui l’a encensé à l’époque de la sono mondiale : la France. Composé et enregistré entre  Carpentras et Paris avec des Brésiliens de l’hexagone, Vestido de Amor (vêtu d’amour), produit par Jean Lamoot (Les Valentins, Noir Désir, Bashung, Blick Bassy, Bonbon Vaudou, etc.) est une ardente déclaration d’amour à ses frères africains qui l’ont tant inspiré : Salif Keita et Ray Lema, invités de prestige sur cet opus touchant à souhait, jusque dans sa pochette rose bonbon et petites fleurs dans les cheveux, exception faite du titre Bolsominions, où l’artiste tire à boulets rouges sur l’électorat de son président honni. « C’est très enrichissant de créer loin de chez soi, ça change la perspective, ça vous oblige à avoir un regard différent et à prendre d’autres attitudes. » Une provocation insupportable pour les députés de son état qui ont carrément voté une résolution désavouant le chanteur et secrétaire à la culture. 

Joyeux assemblages de culture populaire, d’affirmation de la négritude, de romantisme exacerbé et de critiques politico sociales, les albums afro brésiliens de Chico César, militant de la cause noire et grand défenseur des minorités et des identités sont avant tout ceux d’un amoureux des mots et de la poésie, heureux d’avoir publié plusieurs recueils, dont un livre à l’intention des enfants. Ce talent pour l’écriture lui a valu de présider la Fondation culturelle João Pessoa avant d’être nommé fin 2011 pour deux ans Secrétaire à la culture de l’état de Paraiba, afin de créer ce secrétariat qui n’existait pas. Une expérience qui a marqué l’artiste malgré des difficultés dues au manque de moyens financiers : « si le pays consacrait 3% du budget fédéral pour la culture, 2 % du budget de chaque état et 1% des collectivités locales, on aurait beaucoup d’argent pour renforcer une industrie créative, reconnue dans le monde entier », regrette-t-il, avant d’aborder, confiant, le douloureux sujet d’un changement de gouvernants. Oui, on va virer Bolsonaro cette année (les élections générales ont lieu au Brésil les 2 et 30 octobre prochains, NDLR), pas seulement par la poésie et la danse, mais en mobilisant l’ensemble de la société, qui va devoir se réorganiser. Le Brésil n’est plus un pays républicain. On doit retrouver la démocratie, la représentativité, les bases de n’importe quel endroit civilisé. »

Auê César, ceux qui t’habillent d’amour te saluent.

Vestido de Amor , sortie le 23 septembre 2022

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