Pour fêter ses 20 ans, le groupe réunionnais Lindigo est de retour à la kaz et a choisi d’enregistrer une grande partie de son 7ème album, Kosa Néna, dans sa cuisine-feu-de-bois. Pour comprendre la recette de ce disque brut de maloya, PAM a demandé à Lauriane Marceline et Olivier Araste de se mettre aux fourneaux. Au menu : boukané pommes de terre et rougail Dakatine.
On ne savait pas ce que Lauriane et Olivier allaient nous mijoter mais, déjà, on salivait. L’écoute de titres comme « Kosa Néna » ou « Byin Bon » avait éveillé notre gourmandise à coup de plats aux noms aussi savoureux qu’évocateurs : carry de tangue (hérisson malgache), d’anguilles de rivières ou de pois-citrouille ; brèdes de moringa, etc. Et puis, quelque jours avant leur concert parisien, on avait rendez-vous chez leur complice et ami, le musicien et compositeur « Fixi l’accordéon » (surnom donné par leur fils ainé au réalisateur de l’album Maloya Power et resté depuis). Décidemment, la soirée s’annonçait bien. Elle sera tout simplement divine.
Bien décidés à nous régaler, Lauriane et Olivier ont tout prévu : avant de quitter leur « paradis », ils sont passés « Chez Barthélémy », leur boucher de Paniandy, un quartier malgache de Bras-Panon, dans l’Est de l’île. Il leur a mis sous vide saucisses créoles (dont ils ont rempli le congélateur de Fixi) et boukané (viande fumée au feu de bois) : « si on veut ramener le goût on est obligé d’amener les bons produits avec nous ! nous explique Lauriane. On a du boukané porc et là on va préparer un boucané poulet – pomme de terre. »
Dans leur valise aussi : du piment la pâte (en bocal) concoctée par la sœur de Lauriane et, à savourer en tisane, de la cannelle sauvage. Comme le manioc, la canne à sucre, le bilimbis (petit fruit amer qui a la particularité de pousser sur le tronc), le thym ou le persil, elle pousse dans la cour de leur kaz. Celle-là même qui a servi de studio d’enregistrement à leur nouvel album : « Ce que tu entends, c’est le son de notre kaz a nou, sans artifices ni effets, tient à préciser Olivier. Quand je me lève chez moi, c’est comme ça : il y a les chats, les chiens, les poules, les coqs, les moustiques qui piquent, le voisin qui écoute Mike Brant à fond, les voitures qui font la course le soir. Et pas loin, les champs de cannes et la rivière. Tout ça c’est notre univers, c’est nos racines et nos ancêtres. Avec, bien sûr, la cuisine- feu-de-bois, l’endroit le plus important de la kaz, là où se passe la vie. Là où on se raconte nos histoires avec les marmailles (enfants) le temps que le mangé cuise. »
Cœur intime de la kaz, la cuisine est aussi le lieu du partage et de l’ouverture au monde : « On a pas toujours parlé anglais et même aujourd’hui on est un peu timides, raconte Lauriane. Quand on reçoit des artistes dont on ne maîtrise pas la langue, c’est autour de la table que tout se passe : dans les yeux, dans la façon de manger. C’est un peu notre façon à nous de communiquer et de leur dire qu’ils sont les bienvenus et qu’on est super contents qu’ils soient là. Dans nos plats, c’est ce petit message qu’on essaye de faire passer. Et en général on se comprend très bien à la fin du repas ! »
On est loin de leur cuisine-feu-de-bois mais, chez Fixi, notre couple de cuisiniers n’est pas dépaysé. Leur hôte est paré : la marmite péi (en aluminium recyclé, comme en Afrique) trône sur la gazinière, le mortier et son pilon sont en bonne place sur le plan de travail à côté du rice-cooker : « Avant qu’ils arrivent, précise Fixi, j’ai acheté un énorme sac de riz (5kg), car à la Réunion on en mange beaucoup. J’ai aussi un stock de piment conséquent et des épices : du kaloupilé (feuilles de curry) pour faire le massalé et des feuilles de 4 épices pour mettre dans le carry volaille ou dans le civet. »
A la manette des albums Maloya Power (2012) et Milé Sek Milé (2014), Fixi a depuis longtemps déjà plongé dans la marmite Lindigo : « chaque membre de la famille a son style, sa spécialité. Madia (percussions, chant), par exemple, est très fort pour le carry crevette alors il m’a appris sa recette. Laurianne, elle, m’a appris les bases. Je l’appelle souvent pour avoir des petits conseils quand je me mets aux fourneaux. Avec Olivier, c’est plus, on se met tous les deux en cuisine et on improvise, on expérimente. »
Pendant que le poulet boukané bout dans la marmite (pour enlever le sel et les impuretés), Lauriane s’apprête à découper les oignons. Elle hésite : « j’aime bien les rouges, mais ceux d’ici noircissent pendant la cuisson donc c’est pas l’idéal parce qu’on mange aussi avec les yeux ! Les oignons blancs, il faut que je les sente. A l’odeur, je vais savoir si ça ne va pas dénaturer mon carry, le goût créole que je voudrais avoir ce soir. »
Lauriane qui, avec ses trois sœurs, a appris la cuisine en observant sa grand-mère le dimanche après le marché, dans le quartier du Chaudron à St Denis, se souvient : « Du haut de mes 8 ans je voyais bien qu’elle nous faisait marcher des kilomètres pour aller chercher telle épice à tel endroit plutôt qu’un autre et je ne comprenais pas. Mais maintenant que moi aussi je le fais, je la comprends ! »
Enfant, Olivier était souvent des les jupes de sa mère en cuisine : « je chantais et je dansais pour avoir des petits morceaux de viande avant tout le monde. » Présentement, il a la charge de faire griller les tomates dans du papier d’aluminium, direct sur le gaz : « normalement on utilise des tomates en boite ou des tomate à la marmite. Cette manière de faire, c’est ce qui s’en rapproche le plus. » Une fois pelées et écrasées, elles constitueront la base du rougail. Non pas le plat principal (qui comporte moins d’ingrédients que le carry), mais la petite sauce pimentée que l’on met à côté pour l’agrémenter. En l’occurrence, un « rougail dakatine », du nom de la marque de la pâte d’arachide utilisée que l’on retrouve dans le mafé malien ou sénégalais.
Comme dans leur musique, l’Afrique (« Afrika Nou ») n’est donc jamais loin de la marmite. Avec l’île cousine, Madagascar (« Malagasy Anou ») et la nécessité de préserver l’héritage des ancêtres (« Koman Na Fé »), la terre mère constitue même l’un des ingrédients de base de leur maloya festif et aventureux.
D’ailleurs, sur ce nouvel album, aux traditionnels roulèr, kayamb et autres piker viennent s’ajouter la kabosy malgache ou le ngoni et le balafon ouest-africain. Mais aussi des instruments inattendus (boîte aux lettres et à cigares, bac de peinture) ou méconnu comme le météorythme : « Cet instrument, il y en pas beaucoup, c’est récent. C’est un ami du batteur Cyril Atef (avec lequel Olivier a notamment collaboré sur le projet Pachibada, NDLR) qui fabrique ça. C’est multi-fonction : on le frappe et il produit du son et du rythme. On peut l’amplifier aussi. Moi ça m’intriguait et Cyril, lui, voulait un roulèr. Alors, en bons camarades, on a troqué ! Quand je l’ai ramené à la maison, mon fils Xavier a pris ça pour un jouet et il a commencé à faire une mélodie. C’est la mélodie de « Lao » (Là-haut), ce titre où je parle de l’au-delà et des proches qui y sont partis trop tôt. Parler des ancêtres, de la mort, je le fais tout le temps. Mais évoquer la disparition de proches comme ça, je n’osais pas. La mélodie de Xavier m’a ouvert le chemin. »
Sans même que l’on s’en aperçoive, l’eau a été retirée de la marmite et Lauriane a découpé le boukané. Une fois la viande saisie (pour libérer le suc et donner le goût), elle rajoutera les pommes de terre coupées en gros dés. Le temps de cuisson ? « Il dépend de la variété de pommes de terre, du feu et du goût de chacun, nous explique Lauriane. Certains les aiment fermes mais Olivier les préfère fondantes, alors on va les faire fondantes (rires) ! »
Pendant ce temps, notre gourmet « maloya man » a préparé les épices : gingembre (le « fait lever » comme disait sa grand-mère), ail, poivre en grains et thym. Son astuce : « ajouter une pincée de gros sel dans le mortier. Ça permet de faire fondre les épices ensemble. » Une fois versées dans la marmite, on laissera cuire l’ensemble à feu doux et, avant de servir, on rajoutera du persil frais.
A la Réunion aussi Lauriane et Olivier se partagent les tâches et préparent tous les deux à manger : « en fonction des envies et du temps. La semaine, ça va être plus rapide (saucisse-frites ou brèdes), confie Lauriane. Mais le week-end, on prend le temps, en famille. On va acheter les petites tomates, la salade et les oignons et on passe chez le papa d’Olivier prendre, par exemple, un coq à la cour. Ensuite, on met le feu de bois et on y va ! »
Et Olivier d’ajouter : « D’ailleurs, normalement, ce sont les enfants qui s’occupe des épices et du feu de bois. Ils kiffent cuisiner. Entre deux passes de foot, ils viennent goûter, donnent leur avis. Ensuite, on met les feuilles de bananes (qui tiennent lieu de nappe et de plat NDLR), on mange et ils sont contents. Le repas du dimanche, au feu de bois, c’est sacré! »
Avant de passer à table et de déguster ce qui vient, l’air de rien, d’être concocté avec passion et générosité, on aura compris la recette de leur succès : Lauriane et Olivier jouent comme ils cuisinent, avec le ker.
Le résultat est là : un album acoustique et intime qui tire son goût de la marmite. La fumée pique les yeux à l’écoute du poignant Lao et les épices poikent (« chauffent ») tous les sens pour nous mettre en transe. Savourez, il n’y a plus qu’à danser !
Lindigo sera en concert demain au Pan Piper à Paris. Leur nouvel album Kosa Néna est sorti le 29 février dernier.