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The Pan African Music Magazine
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Deena Abdelwahed : « J’ai besoin de tordre les rythmes »

Quelques jours avant sa venue à notre soirée au Petit Bain le 21 décembre dernier, PAM a attrapé au vol Deena Abdelwahed, le temps de parler de ses sources d’inspiration et de son tout nouvel EP, Dhakar.

Photos de Judas Companion

Au climax d’une Concrete (Paris), au Berghain (Berlin), au Sonar (Barcelone) ou sur le dancefloor du Yüka, le plus grand club de la banlieue tunisoise, à l’occasion de la première Boiler Room Tunis, organisée à la rentrée 2019… Deena Abdelwahed tisse un fil rouge incassable entre les scènes expérimentales, les gros synthés et les musiques de transes, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs.

Sœur d’arme de collectifs exemplaires comme World Full Of Bass ou Arabstazy, la musicienne s’apprête à libérer un nouvel EP ultra-percussif et cérébral, toujours signé chez sa maison-mère, InFiné Music. Après être passée par le Qatar puis la Tunisie, Deena vit désormais à Toulouse, ainsi que dans son aéroport : alors qu’elle vient tout juste de fêter à Berlin les cinq ans du collectif Room 4 Resistance et qu’elle prépare son sac pour s’envoler en direction du Magnetic Field Festival au Rajasthan, on a attrapé Deena au vol, afin qu’elle nous parle de son nouveau quatre titres, Dhakar. 


Deena, tu sembles attachée à la séquence : un EP, album, un EP… Tu envisages déjà ton second album ?

Oula non pas du tout (rires) ! Enfin si, j’envisage de m’y mettre pour une sortie vers la fin d’année prochaine. Mais pas avant. Il faut que je fasse redescendre le rythme avant d’envisager un projet au long cours. Actuellement, je vis dans les aéroports, je joue pas mal, je vois beaucoup, beaucoup de musique live, de performances… Mais ce ne sont pas les conditions propices à la composition. Pour réfléchir à un album, il faut que je puisse m’ennuyer à nouveau.



L’ennui comme source d’inspiration ?

Oui absolument, moi j’en ai besoin en tout cas. Dans l’ennui, tu peux laisser aller ton esprit, tu peux divaguer sur internet, lâcher prise sur ton imaginaire. À ce jour, j’ai quelques brouillons dans un coin de ma tête, mais je ne dispose pas du tout du temps nécessaire pour les développer. Sortir ce quatre titres, finalement, c’est mon maximum créatif à ce moment de ma vie. Mais il s’agit d’un format très intéressant aussi. Penser un EP, c’est plus simple. Tu t’engages moins. On est loin du casse-tête que peut représenter un album. Un EP, en gros, c’est une mise en son rapide, de plein d’idées sonores courtes. Les titres peuvent y fonctionner indépendamment les uns des autres. C’est plus léger en termes d’histoire, de narration, qu’un long format. 


Dhakar (en arabe, « mâle » ou « masculin ») suit pourtant une symbolique, une thématique qui innerve fortement les quatre morceaux…

Oui, celle de la masculinité. Cela fait longtemps que j’avais envie d’explorer ce monde. Le second morceau du projet, « Ah’na Hakkeka », signifie « c’est ainsi », dans le sens de « on est comme ça », « rien ne change ». Il s’agit des paroles d’une chanson. En fait, ces voix que tu entends sont celles d’une bande d’hommes ivres qui chantaient du Tarab** un soir, à proximité de Tunis… Ils étaient là, en bas de la rue, et ils chantaient. Moi j’étais au balcon chez une amie, au-dessus, et je les ai enregistrés discrètement avec mon téléphone. Ils se retrouvent ainsi dans le morceau. En tant que femme, ça me captive cette capacité qu’ont les hommes, entre eux, à pouvoir s’exprimer librement, sans la moindre timidité, dans l’espace public. Je crois que toutes les femmes sont un peu jalouses de ce côté expansif, à la limite de la bravade. En Tunisie, comme dans beaucoup d’autres pays, s’approprier l’espace public de la sorte, sans peur du jugement, nécessiterait pour une femme un très très long processus d’affirmation. Les mecs, eux, ils vivent librement dans la rue avec quelque chose de tellement naturel que ça en devient presque fascinant. 
 


Fascinant, et… inspirant du coup ?

Écoute, où que tu sois, toute la musique qui est composée est liée à l’amour. Je résume, mais c’est l’idée depuis toujours. Il se trouve que moi, ça ne m’inspire pas. Ou peu. Par contre, j’aime tout ce qui se trame en dehors, tout ce qui satellise autour des histoires d’amour. Tout ce qui se joue au bord de ces histoires. Et en tant que femme, la masculinité m’inspire beaucoup plus que la féminité. J’observe le monde des hommes avec beaucoup de curiosité. Et même une forme d’empathie. Et parfois de la pitié, en fait. Je compte, parmi mes proches, de vrais déçus de la masculinité. La société promet tellement de choses aux hommes virils ! Or ces promesses sont intenables. Position sociale, argent, pouvoir, travail… Aujourd’hui, beaucoup d’hommes sont déçus des rêves associés à cette prétendue masculinité. Une masculinité qui leur serait offerte comme ça, sans conséquence. Je crois qu’il faut accompagner les mecs dans leur abandon du virilisme. En tout cas, je pense, le changement ne se fera pas sans eux. « Dhakar », ça dit aussi ça, c’est du côté des mecs que tout ça se joue ! Bon après, je ne suis pas naïve la route est encore longue, surtout en Tunisie, où le patriarcat est ancré, calcifié dans toutes les couches de la société, de la religion jusqu’au langage.


Tu peux nous parler de ta façon de composer ? Ça se passe toujours dans ta chambre, à Toulouse ?

Oui c’est à Toulouse que je mets en musique mes idées. Je clappe dans mes mains, j’enregistre, je double ces prises qui deviennent des structures rythmiques. J’aime quand les pistes s’entrechoquent, j’ai besoin de tordre les rythmes, de donner une dimension progressive aux morceaux. Pour Khonnar, mon premier album, je suis partie enregistrer à Barcelone. Pour Dhakar, j’ai également finalisé chez un musicien, mais à Toulouse cette fois-ci. C’est lui qui rejoue les parties sur de gros synthés, avec un gros son. Mes morceaux prennent vie à nouveau au studio, c’est comme un second souffle. C’est hyper satisfaisant d’assister à ça. J’ai opéré en solo pendant longtemps, mais désormais, j’écoute et je me confronte à l’avis des autres. Je n’avance plus seule face à la création, je suis entourée !

** musique née en Égypte, devenue très populaire dans le monde arabe, notamment dans la voix d’Oum Kalthoum

Dhakar EP disponible sur toutes les plateformes dès maintenant chez InFiné Music. 

Deena Abdelwahed

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