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The Pan African Music Magazine
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Yemi Alade : « Le Nigéria est comme une éponge, il absorbe tous les sons »

La très productive chanteuse nigériane, qui vient de signer chez Universal, était de passage à Paris. Elle a récemment sorti Woman of Steel, son 4ème album. Rencontre avec une femme de fer déterminée.

Depuis son premier album il y a cinq ans, l’étoile nigériane ne cesse de monter. 

De Lagos à Abidjan en passant par Nairobi, la tout juste trentenaire joue partout sur le continent, où elle a su se créer un public en reprenant notamment certains de ses titres en français ou en swahili, et en multipliant les collaborations (DJ Arafat, Angélique Kidjo, etc.) Sur la prolifique scène nigériane, qui fabrique des stars à la pelle, elle est la seule femme qui boxe désormais dans la catégorie « poids lourds ». À l’écouter raconter sa vision du métier, on n’est pas étonné. Dans un pays où la culture, et la musique en particulier, sont entièrement laissées au secteur privé, la qualité d’artiste ne suffit pas. Il faut avoir l’esprit d’entreprise. Et résolument, quand on est femme, être une « Woman of steel »


Ton dernier album s’appelle « Woman of Steel » (femme de fer), pourquoi ? 

Mon album s’appelle comme ça parce que quand j’étais petite j’admirais plein de super héros : Superman, Superwoman, Spiderman, Catwoman… Et en grandissant je me suis rendu compte que j’avais été ma propre super héroïne, et j’ai donc décidé de donner son nom à mon album, Woman of Steel. 


C’est donc toi, la femme de fer ? 

(en français) Oui, c’est moi ! 


Depuis tes débuts, tu as souvent choisi des noms de chanson ou d’album qui renvoient à la puissance des femmes

Oui, j’aime rappeler aux femmes et aussi aux hommes que c’est en nous que réside notre force. Mais je le dis davantage pour les femmes, parce qu’il y a beaucoup d’inégalités et ce sont malheureusement les femmes qui en sont les victimes. La plupart du temps, on doit faire nos preuves, et travailler deux fois plus pour gagner le soutien du public, que ce soit au Nigéria ou dans le reste du monde. C’est fou, puisque les femmes ont donné naissance au monde ! Alors j’aime rappeler aux femmes qu’elles doivent être fortes, car rien ne nous sera donné, il faudra qu’on le prenne à force de travail : inutile de pleurer sur notre sort. Et quant aux hommes, je leur rappelle à travers ma musique que faire preuve de caractère c’est d’abord montrer sa force d’âme : ce n’est ni à travers la violence ni à travers d’inutiles démonstrations de force. La force intérieure que nous avons tous est sans aucun doute le plus grand de tous nos pouvoirs, et nous devons faire en sorte qu’à tout moment, elle brille. Je sais que la musique a ce pouvoir de changer la mentalité des gens, et moi j’utilise la musique plus spécialement pour mettre l’accent sur les choses positives de la vie. C’est important de se rappeler de ces choses positives, car il y en a tellement de négatives : les catastrophes, les choses affreuses qu’on voit tous les jours sur nos écrans de télé, qu’on entend à la radio… moi j’aime promouvoir l’amour, la joie, et le bonheur ! 


C’est ton quatrième album en 5 ans : quel rythme !

Oui ça fait cinq ans, et j’ai fait quatre albums et un EP. Je crois que ce qui m’a poussée et encouragée à sortir tous ces albums c’est la direction que m’a donnée le patron d’Effyzie Music Group (le label de Yemi depuis ses débuts, NDLR), Mr Taiye Aliyu. Il essaie tout le temps de me faire rentrer dans un studio pour produire, et si je lui fais part de mon état d’esprit, le voilà qui me dit : « tu vois ce que tu ressens là, vas-y et mets-le en chanson ». Et je crois que cette technique a marché avec moi, parcequ’au lieu de tweeter tout le temps mes pensées, je peux les mettre dans une chanson et c’est ce que je fais depuis. Mais ce n’était pas si facile de finaliser tous ces disques, car j’ai des concerts un peu partout dans le monde, une vie personnelle, une famille… 
 


Le digital oblige à produire plus, à être toujours plus présent ?

Oui c’est vrai, parce qu’avec l’ère du digital, le temps file à toute vitesse. Il y a douze mois dans le calendrier, mais sur le marché digital ces douze mois peuvent se comprimer en trois. Tout se passe à toute allure : les gens prennent et absorbent la musique très vite, puis la jettent tout aussi rapidement. Et bien sûr en termes de ventes de disques ce n’est plus ce que c’était avant, donc tu dois faire en sorte d’être toujours en vue, d’être disponible pour les spectacles, pour pouvoir gagner ta vie et équilibrer l’activité. 

Aujourd’hui, ça va plus vite que l’an dernier, et ça ne va pas s’arrêter de changer. 

Dans cette ère digitale, vous sortez votre musique aujourd’hui et avant la fin de la journée, il y aura des gens dans le monde entier qui l’auront écoutée. Le monde est devenu tout petit, depuis qu’il est « online ». Tu sais, je suis physiquement dans un pays différent tous les quatre jours, et ça, je le dois au digital. Je crois que Beyonce (qui a invité Yeme Alade sur un des titres de son album « The Lion King ») n’aurait jamais entendu ma musique ni contacté mon manager si ce n’était grâce au monde digital. 


Apparemment, on ne peut pas être artiste au Nigéria sans être aussi entrepreneur.

Oui c’est vrai. Il y a plein de facteurs qui incitent à faire du business en Afrique, mais il y en a trois fois plus qui découragent tout individu d’entreprendre. Au Nigéria par exemple, on se débat avec les problèmes d’électricité, qui n’est pas aussi régulière qu’elle devrait l’être. Il y a du courant, mais pas de manière continue : il y’en a maintenant, la minute d’après n’y en a plus, et du coup les gens doivent utiliser des groupes électrogènes. Forcément, ça attaque le portefeuille de n’importe quel entrepreneur parce que ses bénéfices se perdent à renflouer son activité. Il y a ce genre de problèmes, mais aussi celui des droits d’auteurs, des systèmes de protection par exemple de la propriété intellectuelle : je crois que l’Afrique devrait apporter plus de soin à protéger ceux qui inventent et déposent leurs idées. Il faut qu’ils soient protégés par la loi. Donc oui, pour survivre au Nigéria, on doit être un entrepreneur, car sinon qui va vous financer ? Les offres d’emploi ne sont pas si nombreuses, même si l’industrie du spectacle et du divertissement (entertainement) a pu fournir pas mal de boulot aux jeunes, ce qui explique que la musique nigériane s’exporte en masse. Moi je dis toujours à mes amis : « je crois que nous avons trouvé le moyen de nous employer les uns les autres, et c’est grâce à cela que nous prospérons ». C’est comme ça, je crois, qu’on peut s’en sortir au Nigéria.

Et quant à moi, pour devenir entrepreneuse, l’apprentissage a été dur : je n’avais pas de mécène quand j’ai commencé dans la musique, mais j’avais avec moi quelques personnes qui croyaient en mon rêve et qui pensaient que je pourrais réussir. Mais je devais faire mes preuves. J’ai gagné un concours à la télé (Peak Talent Show, une émission de télé-réalité en 2009), mais l’argent que j’ai remporté est reparti aussi vite qu’il est venu puisque j’ai dû le dépenser entièrement pour la production, le tournage de clips, les collaborations. À la fin, je n’avais plus rien et je me suis dit que je devrais repartir de zéro. Et puis j’ai eu la chance de rencontrer Mr Taiye Aliyu qui m’a signé sur son label. Mais la manière dont j’ai traité avec la direction du label n’était pas tout à fait conventionnelle : j’ai dû apprendre le métier, apprendre à dégager de l’argent en faisant mes concerts pour le réinvestir dans la production, dans les vidéos, et aussi dans la construction de mon nom. Franchement, faire ça pendant plusieurs années était loin d’être drôle et en même temps, ça m’a permis de comprendre que c’était la seule manière de faire, surtout quand tu n’as pas de mécène ou sponsor. 


Une des chansons de l’album s’appelle C.IA. (Criminal in Agbada), ça sonne presque comme un titre de chanson de Fela (I.T.T., V.I.P…).

Elle a été produite par mon ami V-Tek. Encore un piège que m’a tendu Mr Taiye Aliyu (rires…). On avait terminé l’album et j’étais déjà en train de penser aux concerts, d’imaginer les costumes de scène (car je les dessine moi-même). Et Taiye Aliyu me dit « Yemi, tu sais que tu n’as mis dans l’album aucune chanson consciente, et pourtant tu te plains tout le temps du pays et de notre environnement, pourquoi tu n’en fais pas une chanson ? Aucune femme ne l’a fait jusqu’ici au Nigéria, etc. » Je dis OK. 

– V-Tek t’attend au studio.

– Quoi ? Mais tu ne m’as même pas dit qu’il était là ! Je les ai fait un peu attendre, et puis je suis finalement allée en studio. Je n’ai pas pris de stylo ni de papier, j’ai juste fait ouvrir le micro, tamisé les lumières, et j’ai chanté ce qui mes peines, mes pensées, mes frustrations… et c’est ainsi que Criminal in Agbada est née.


Et qui est ce Criminal in Agbada ? 

Un criminel c’est quelqu’un qui enfreint les lois, le plus souvent un voleur, quelqu’un qui prend à d’autres ce qui ne lui appartient pas. Et en général, on pense que le voleur a une cagoule sur la tête, des gants, comme dans les films de James Bond. Mais il y a d’autres genres de criminels, et j’ai voulu décrire ceux qui portent l’Agbada, un habit de chez nous porté par les hommes le plus souvent (même si certaines femmes en portent de nos jours aussi). C’est un vêtement très ample, et si quelqu’un entrait dans cette pièce vêtu d’un Agbada, alors tu saurais que c’est l’enfant d’un riche qui est arrivé. Mais qui nous dit que ce gars n’a pas volé son Agbada (et sa richesse) à quelqu’un ? Je parle donc des combats de l’Afrique, de mon peuple, et c’est aussi une adresse aux gens du gouvernement pour qu’ils consacrent l’argent du peuple au peuple, qu’ils partagent les richesses de notre terre avec le peuple au lieu de les considérer comme si c’était leur propre sang.

Woman of Steel, maintenant disponible chez Universal.

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