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Amazigh Kateb : le gnaoui et la constitution

Gnawa Diffusion est de retour. Ça fait dix ans que le mythique groupe grenoblois n’avait pas sillonné les routes de France. Son passage à Montpellier pour Arabesques, le plus signifiant des festivals de cultures orientales de l’Hexagone, a aussi été l’occasion pour son fondateur, Amazigh Kateb, d’annoncer à la presse le projet le plus ambitieux de sa carrière : une constitution transitoire pour préparer un futur citoyen à l’Algérie.

Photographie par Luc Jennepin


Pendant dix ans Gnawa Diffusion n’a donné que quelques concerts épars en Europe ou au Maghreb, mais là c’est le grand retour ?

Oui, on a commencé à tourner en mai et on va continuer jusqu’au début de l’année prochaine avec des coupures pour des répètes, de la préproduction. On a un album sur le feu, la matière est là, il faut que l’on prenne le temps de se poser, on a vraiment besoin de la faire, car sinon il va nous peser. Mais ça a pris du retard à cause des évènements en Algérie. 


Ça t’a inspiré des chansons ?

J’ai écrit un morceau qui s’appelle « Roho (Vas t’en !) » qui est sorti en mars sur YouTube. Cette fois c’est davantage sorti sous forme de prose qu’en poésie. Mais surtout, trois jours après le début de l’hirak, j’ai créé une page Facebook qui s’appelle « Écris ta constitution » et spontanément des gens sont venus collaborer et on a commencé à écrire une constitution en ligne.

Avec Hicham Rouibah, sociologue et économiste qui a fait un travail exceptionnel de vulgarisation économique, on voulait partager cette expérience avec les Algériens, pour qu’ils apportent leurs contributions. On a organisé des ateliers constituants un peu partout : en Algérie, dans une vingtaine de willayas (divisions administratives, 48 en Algérie), mais aussi en France, au Canada, en Allemagne, en Belgique et j’en oublie. Toutes sortes de personnes ont participé : des universitaires, des travailleurs, des chômeurs… Ceux qu’on met tout le temps de côté sont représentés. On ne peut pas écrire une loi fondamentale en négligeant les minorités, on est obligé d’avoir une vision d’ensemble, car on écrit pour la société tout entière. Ce n’est pas idéologique, c’est purement citoyen. 
 


La vraie urgence était de travailler sur les mécanismes politiques de désignation de la justice et des élus, et de réfléchir à la façon dont les citoyens peuvent révoquer, abroger. On a tenu à rester fidèles à ce qui a été dit en ateliers constituants citoyens. On a un échantillon d’idées : le droit révocatoire, la désignation directe des élus, de représentation semi-directe. Dans une vraie démocratie, le pouvoir doit être composite. Seul, je n’ai pas de pouvoir, mais moi plus toi et un autre, on en a plus. Il ne faut donc plus un président, mais un directoire, des présidences à plusieurs têtes. Ce mythe de l’homme qui tombe à pic, qu’en Algérie on appelle zaïmisme (lutte pour le leadership), n’existe pas. Machiavel dit de façon très juste
qu’un peuple est toujours plus pondéré et sage qu’un prince


Est-ce que le fonctionnement d’autres pays vous a inspirés ? 

On a potassé toutes sortes de constitutions plus ou moins démocratiques. En Scandinavie la rotation des charges citoyennes existe. C’est à dire la possibilité pour un simple citoyen d’être élu ou tiré au sort pour travailler pour le bien commun en se référant à la constitution et de retourner ensuite à la vie normale. Il y a des années j’ai joué au festival de Roskilde. Lors de mes recherches, je me suis aperçu que la commune de Roskilde, l’une des plus grandes du Danemark, fonctionne au tirage au sort. Il y a du référendum, de l’élection sans candidat, mais aucune élection classique. Chaque habitant peut désigner une personne qu’il considère honnête et compétente. Les choix sont soumis en ligne et les noms qui reviennent le plus sont désignés. Ensuite un représentant est tiré au sort parmi ce pool de 10 à 20 personnes et ceux qui ne sont pas désignés contrôlent le représentant. Il n’y a donc aucune corruption possible.



Qu’est ce que l’on trouve dans votre constitution ?

C’est une constitution de transition, un cadre pour aller vers une constitution définitive réellement algérienne. On effrite le pouvoir. Il y a une assemblée de quartier et une autre de commune. Il n’y a pas de parlement et l’Assemblée constituante nationale comprend des représentants des 1541 communes algériennes. Dans notre constitution il y a une lutte permanente contre tous les mécanismes corruptifs : l’élection, la campagne électorale. On a baissé les salaires des hommes politiques. Il y a tout un chapitre sur l’environnement avec une autre vision de l’économie. C’est plein de contrepieds à des éléments qu’on nous a inculqués, avec lesquels on nous a tarabustés, comme l’économie hydrocarbure. Des choses qui en vérité tiennent de la pure farce, car quand on regarde les potentiels de l’Algérie, avec ses réserves hydriques, son patrimoine agricole, ses terres arables, on pourrait vraiment arrêter les hydrocarbures. Cette politique a été poursuivie à cause d’accords signés sans l’aval du peuple. Avec cette constitution le peuple a des leviers pour que ça ne se reproduise plus. Notre démarche est de montrer des outils, de les amener dans un langage le plus simple possible pour donner des idées aux représentants.


C’est l’Hirak qui a donné le tempo de ce projet ?

Au début j’étais impatient, je n’arrêtais pas de mettre des posts pour que cette constitution avance, je trouvais ça long à démarrer. Mais un peuple ce sont des millions de personnes qu’on ne peut pas faire démarrer en même temps. En fait c’est bien que ce soit long. Je suis content que ce mouvement continue. J’avais peur que l’on se fatigue, mais malgré le ramadan, la chaleur et les vacances, il y a toujours des millions de personnes. L’entêtement de ce pouvoir est une arme qui est en train de se retourner contre lui. Celui du peuple est autrement plus sympathique et vivant. Il y a plein d’humour, de chansons et des images incroyables. Il y a des problèmes qui se règlent. Ce mouvement est d’une combativité surprenante, tous les vendredis je suis surpris. C’est impressionnant. 


Comment as-tu vu évoluer ce mouvement ?

Le premier mois j’avais les larmes aux yeux tout le temps. Ça fait tellement longtemps que j’attendais ça. L’hirak, qui a démarré avec l’annonce de la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat était une surprise et ce mouvement est une école permanente. Tous les jours il fabrique des révolutionnaires. Dans l’histoire on attribue les révolutions à des leaders, mais en vérité ce sont les révolutions qui façonnent les idéologues, ce n’est pas l’inverse. Et plus l’hirak façonne des révolutionnaires et plus ils sont incisifs. La clairvoyance que l’on pouvait entendre dans les premières manifestations et les premiers slogans est aujourd’hui multipliée par dix mille c’est un truc de fou, un débat permanent. 


Il n’y a pas de scissions ?

En face ils nous balancent des sujets pour essayer de nous diviser. Dans un premier temps c’est ce qui se produit, car ils orchestrent bien le match. Mais par enchantement révolutionnaire, ils finissent toujours par se griller eux-mêmes. Leurs contradictions nous font grandir. Par exemple, le vendredi 20 septembre, le chef d’État major, Cheikh Gaïd Salah, a menacé les gens qui viendraient en voiture à Alger des autres willayas, se feraient verbaliser et confisquer leur véhicule. Malgré cette interdiction les gens sont venus à pied. Ma belle famille a fait 25 kms pour manifester. Dans le Code de la route, aucune loi n’indique qu’il est interdit de venir le vendredi en voiture à Alger. Le gars invente une loi en direct. Il improvise très mal. Toutes les semaines il balance un nouveau discours avec un nouveau conflit. En fait ce sont des exercices de mathématiques. Il nous prend pour des sous doués et ces exercices sont trop faciles.


Gnawa Diffusion au festival arabesques, une vidéo du courrier de l’Atlas


Aujourd’hui où en est cette constitution ?

On a fini l’écriture, il y a une centaine d’articles, écrits par environ 350 personnes. Ça reprend les points essentiels de l’exercice politique dans la nouvelle Algérie dont on rêve, où rien ne puisse se passer en dehors de la décision citoyenne de tout le pays. On attend la fin de la relecture technique avec impatience. On voudrait faire des vidéos explicatives, car aujourd’hui tout passe par la vidéo. J’espère que l’on va pouvoir commencer à diffuser dès le début octobre.

Lire ensuite : Libérer l’Algérie, libérer ses musiques

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