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The Pan African Music Magazine
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Angélique Kidjo chante Celia Cruz : hommage de la diva du Bénin à la diva de Cuba

Dans son dernier album, paru en avril dernier, et sur scène depuis lors, la chanteuse béninoise installée à New York rend hommage à la diva cubaine qui l’a tant inspirée. Elle nous raconte sa passion pour « Celia ». Azuca !

Te souviens-tu des premières fois où tu as entendu Celia Cruz ?

C’était au Bénin, quand la chanson « Quimbara » est arrivée sur les platines. 

Ça a été une claque pour moi, mais aussi pour ce monde macho de la salsa. Pendant longtemps, en dehors des groupes cubains qui venaient au Bénin, tout le monde en Afrique faisait de la salsa : Youssou Ndour, Salif Keita, Gnonnas Pedro, le Bembeya Jazz etc. pour moi en tant que gamine, la salsa c’était donc un truc de mec. Et Celia arrive et dit : « eh les gars, y’a une autre façon de faire de la salsa, je vais vous la montrer ». Et vlan ! C’est pour moi le jour où je me suis dit que la peur de faire les choses, c’est en nous, les freins c’est nous qui les créons. Nous les femmes, nous sommes nos propres ennemies parce qu’on a été formatées pour être mères, femmes au foyer, mais pas des aventurières. Pourquoi ne ferions-nous pas les mêmes choses que les hommes ? Le cerveau n’a pas de sexe. 

Pour moi, quand elle est venue au Bénin et qu’elle est arrivée sur scène, c’était comme une lumière dans un endroit obscur. Et alors quand elle commence à chanter, bonjour ! Elle est en rythme, elle swingue, elle virevolte, elle fait ce qu’elle veut avec sa voix. Quand elle monte sur scène, on a l’impression qu’elle tient le monde dans sa main. Elle est libre sur scène, et elle partage cette liberté. On voit une femme avec un groupe de mecs excellents musiciens et chanteurs, mais c’est elle qui est locomotive devant. Et quand tu as 14/15 ans et que tu vois ça, tu n’as plus peur de rien. C’était dans les années 70, avant que la dictature communiste ne s’installe chez nous (en 1975, le pays devient la République populaire du Bénin).

Quand ils sont arrivés, ils ont banni les musiques étrangères… la radio nationale jouait tout avant, les Béninois les Africains les Américains, et du jour au lendemain ça devient une radio de propagande. Tu te lèves le matin, et tu n’as plus que des chants révolutionnaires à la radio : « prêts pour la révolution, la lutte continue ». Tu ne t’aventures pas à appeler ton père « papa », tu dois l’appeler « camarade » sinon tu risques des problèmes. 


D’ailleurs c’est un de vos points communs : toi tu as quitté le pays quand il est devenu révolutionnaire, et Celia Cruz a quitté Cuba peu après la révolution elle aussi… 

Absolument, et elle est arrivée là ou y’avait des Cubains à New York, ville ségrégationniste : les blancs vivent dans leur coin, les noirs ailleurs, etc. Ça n’a pas été facile pour elle au départ, on l’appelait « café au lait » parce qu’elle n’était ni noire ni blanche, on se moquait de son physique… Dans ces cas-là, on peut soit rester aigrie soit, comme elle l’a fait, s’imposer comme la reine de la salsa, et faire des ponts avec les chanteurs de soul, de rnb, etc. elle a réussi à ne pas être seulement cubano-cubaine. Sa musique plaisait à tout le monde. Quand j’ai commencé à travailler sur son très vaste répertoire, je me suis aperçue combien elle est consensuelle, et c’est rare. Et elle a répondu au racisme avec un seul mot : Azucar, le sucre ! Ca voulait en même temps dire « vous êtes libre de danser », et c’était aussi pour rappeler l’histoire de l’esclavage, qui s’est fondé sur l’exploitation de la canne à sucre… donc c’était une manière de répondre aux racistes, et de les renvoyer à cette histoire… une manière de dire m… avec un grand M. 
 


Comment tu te retrouves un jour à Paris avec elle sur scène ? 

Ça, c’est RKK (Rémy Kolpa Kopoul, pilier de la station Radio Nova, NDLR) qui malheureusement n’est plus avec nous. Un soir je suis à la maison et il m’appelle, et il me dit « quand tu viens à la radio tu choisis toujours des disques de Celia Cruz, et bien elle est à Paris ce soir au Méridien Montparnasse. Habille-toi, sinon tu ne la verras pas… » Je me suis levée, je me suis habillée à toute vitesse, et avec mon mari on est partis. Arrivés là-bas, RKK m’amène dans sa loge. On me présente, et elle : « Ah mi hermana africana (ma sœur africaine) », et comme je ne parlais pas un mot d’espagnol je me suis mise à chanter « Quimbara« . Elle dit : « c’est bon ça, garde-le et rejoins-moi sur scène ». 

Et quand je monte, son mari qui était son chef d’orchestre lui lance des regards inquiets, mais elle, elle lui dit un truc en espagnol et l’autre n’a plus qu’à dire OK… 

J’ai chanté : elle était derrière moi, morte de rire. Je ne savais même pas si ce que je chantais était espagnol. J’ouvre les yeux et je vois le public qui se dit « mais c’est qui celle-là ? ». Je lui ai rendu le micro et je suis sortie. 
 


Quand je me suis installée aux États-Unis en 1997, on s’est revues plusieurs fois, notamment au Grammy Awards. Elle m’a reconnue et je m’asseyais avec elle, on se marrait ! Elle me rappelait toujours l’histoire de « Quimbara »… moi je ne la connais pas beaucoup, mais le peu de temps que j’ai passé avec elle, elle avait cette capacité de vous faire ressentir que vous êtes spécial, comme Nelson Mandela d’ailleurs… pour moi c’est quelqu’un qui n’avait pas un ego surdimensionné, bien qu’elle soit arrivée tout en haut… 


Finalement, pourquoi était-ce important pour toi de lui rendre un tel hommage ?

Je rends toujours hommage à ceux qui m’ont permis d’être qui je suis aujourd’hui, surtout quand il s’agit des femmes. Car le monde de la musique est aussi dominé par les hommes. Il y a peu de disciplines dans ce monde où les hommes ne sont pas dominants… grandissant en Afrique, avec toutes les complications ou les insultes après les concerts (on me disait « t’es une pute » juste parce que je chantais sur scène), quand on est à un moment de sa vie, on a besoin de décider ce qu’on va faire demain. Mais il faut des exemples. Et moi, je voulais chanter ou devenir avocate des droits de l’homme, et il fallait que je trouve dans la musique des exemples, des hommes et des femmes qui m’aident à prendre la décision de vivre de cette passion que j’avais. James Brown a été l’une des figures masculines qui m‘a fait comprendre que la musique peut swinguer, qu’on peut dire beaucoup de choses et même crier en chantant, Otis Redding c’était l’urgence que je sentais dans sa voix à dire les choses, la période yéyé avec les F. Hardy qui disaient des choses qui paraissent simples aujourd’hui, mais qui de leur temps était importantes à dire : « ce soir je serai la plus belle pour aller danser », pour moi c’était du second degré… il fallait que la femme soit belle, même si le mec était avec les cheveux pas lavés, des habits dégueulasses…  Bref, il me fallait des femmes fortes : Miriam Makeba, Celia Cruz, Aretha Franklin, Bela Below, Ella Fitzgerald, Nina Simone… Et surtout, les chanteuses traditionnelles qui étaient mon centre de gravité, il fallait que je parle avec elles pour me recentrer et pouvoir ramener ce que j’écoutais à ma culture. C’est très important d’avoir ça quand on grandit : je dis toujours aux jeunes musiciens d’aujourd’hui « n’oubliez pas d’où vous venez, parce que tout ce que vous écoutez dehors ça vient de là. »

Lire ensuite : De Palenque à Matongé, de San Basilio au Congo
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