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The Pan African Music Magazine
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De.Ville : suivre le cours de sable qui glisse

À Montréal un duo repense les contours d’une musique trait d’union entre le Québec, l’Afrique et le Moyen-Orient. Loin des genres établis, à la recherche d’une universalité.

Crédit photos : Lian Benoit

Une belle rencontre : Ziad a grandi à Rabat avant de venir s’installer au Canada pour ses études. Simon vient de Montréal, il a vécu un temps à Marrakech, au Maroc.

Été 2017, ces deux musiciens accros aux jams sessions se retrouvent pour leur tout premier morceau, « The Love We Lost ». Un appel à la transe, enregistré en une seule prise, dans le home studio de Simon avec un micro de scène où se découvre la voix puissante de Ziad.

Elle appelle les amours passées dans la pénombre. Elle raconte le manque, la perte, la distance et convoque avec intensité l’émotion de la musique classique arabe, le tarab. Et dans ce premier mouvement de Sables se dessine les débuts d’une nouvelle histoire pour Ziad et Simon : celle de leur groupe, De.Ville. 
 


Vous êtes des musiciens autodidactes ?

Simon : Enfant, je prenais des cours de clarinette. C’est ma seule formation musicale. Après, il y a eu la guitare vers l’âge de 14 ans. Je jouais en reprenant ce que j’aimais entendre. Ensuite, à force de traîner dans les studios et les jams, je me suis mis à la batterie et à la basse. Sur Sables, je joue et programme tous les instruments — sauf la trompette. Je suis beaucoup plus accès sur les synthétiseurs aussi. C’est un truc que j’ai développé sur la dernière année et demie.

Ziad : Ça fait 12 ans que je fais de la musique. J’ai commencé vers l’âge 16 ans en jouant dans des bars de moustachus à Rabat avec des groupes inconnus. Je faisais des covers de chansons rock, pop… Je chantais en anglais, mais on arabisait un peu tout ça. C’était plein de projets en même temps, mais sans avenir. Ça a changé aujourd’hui, mais à cette époque, j’étais vraiment en mode rockeur.

Plus jeune, je collectionnais déjà les disques vinyle et un jour en allant au Souk, je suis tombé sur des vinyles de Joe Cocker et de Janis Joplin. Ensuite j’ai découvert Nina Hagen. Ça a complètement façonné ma vision du monde. À partir de là, le chant, c’est devenu une superpuissance. Je chantais tout ce que j’entendais, “chaque jour moi j’écoute l’appel à la prière, je peux reprendre ça ». J’avais tout le temps mal à la gorge, mais c’est comme ça que j’ai développé une certaine résistance. En arrivant au Canada, j’ai commencé à chanter en arabe. 
 

Ziad


Tu avais le mal du pays Ziad ?

Z : Dans ma tête, il fallait que Montréal devienne comme Rabat. Je voulais que les murs et les rues de cette ville me parlent. Alors je demandais aux gens dans la rue, aux musiciens dans le métro : “ils sont où les jams ? Ils sont où les rockeurs ? Ils sont où les punks ? » Et puis un jour, j’ai rencontré cette fille qui portait des bijoux marocains à L’Oratoire Saint‐Joseph du Mont‐Royal. J’allais souvent là-bas voir le coucher de soleil quand le bled me manquait. On a sympathisé et de là, j’ai atterri dans un jam à Hochelaga.

C’est un quartier très québécois de Montréal, ce n’est pas très métissé et j’étais le seul étranger ce soir-là. Les gars jouaient du punk et j’étais super content ! J’avais trop envie de prendre le micro pour les impressionner. Je me suis donc lancé en anglais avec mon accent de blédard. À un moment un gars est venu me parler : “t’as une belle voix, mais on aimerait bien écouter un truc de chez toi. » Ç’a été comme une gifle, un virage à 360 qui a complètement changé ma vie. J’espère le retrouver un jour pour lui dire merci.

S : Moi aussi, il faut que je lui dise merci.

Z : De là, j’ai commencé à creuser dans mes racines. Je me suis intéressé aux musiques du Moyen-Orient et de l’Afrique de l’Ouest, tous les chants tribaux qui viennent de ces régions. J’essayais d’imiter des voix aux aigus magnifiques comme celles de Baaba Maal ou Dimi Mint Abba. Je suis un grand fan de la musique éthiopienne aussi. C’est vraiment très mélancolique, tout comme la musique classique arabe.

À Montréal, il y a des scènes un peu partout et cette ville est incroyable pour lancer des nouveaux projets. Alors j’ai joué avec plein de formations : du bruitage, du jazz, du reggae, du rock expérimental jusqu’à ce que je découvre Simon en 2017. 
 




Cet étranger, il représentait quoi pour toi Ziad à ton arrivée à Montréal ?

Z : Quand on quitte le bled, c’est comme ils disent au Maroc : “sauvetage ». C’est la survie ! Le rêve de la plupart des gamins à l’école c’est d’aller vivre ailleurs. On a grandi dans un pays où rêver c’est haram (interdit). Je suis venu pour mes études. Ensuite, je suis resté un petit moment en mode “clandestino » avant d’avoir ma résidence permanente. Je voulais aller à l’étranger pour vivre mes rêves. 


Ces rêves passent notamment par la musique. Une musique que vous faites à l’instinct depuis ce premier titre « The Love We Lost ».

Z : Oui, on a passé tout un hiver à bosser sur l’EP dans le sous-sol de Simon !

S : Qui est chauffé à présent ! Mais oui, c’est le résultat d’une année d’expérimentation. On a fait beaucoup de chansons, essayé des trucs très différents. Récemment, on était au studio et j’ai ressorti nos vieilles démos. On a des morceaux vraiment cool qui ne sont pas sur l’EP.

Z : On a une vision très universelle de la musique et on touche un peu à tout. Du coup les gens nous associent à la scène world, rap, funk. On a même été classé 15e meilleur projet rap au Québec aux côtés de grands rappeurs.

S : C’est assez incroyable ça ! Après on s’est retrouvés sur une compilation de rap montréalais parce qu’on a ce titre « Oublie-moi » avec Jah Maaz au rap. Donc ça nous a vraiment positionnés sur l’urbain aussi. Une bonne chose parce que cette scène a une plus grande visibilité. 
 

Simon


Ça doit être marrant de faire un morceau qui s’appelle « 37 degrés » dans un sous-sol, en plein hiver, à Montréal !

S : En fait ça s’appelle « 37 degrés » parce que c’est la température du corps.

Z : Je raconte une histoire assez profonde. « 37 degrés » c’est un appel à l’espoir, celui d’un gars déprimé et anxieux. Il est traversé par le doute, cette idée d’avoir tout perdu, mais il essaye d’aider son peuple à dépasser tout son malheur. Ce titre c’est aussi mon histoire en fait. Je l’ai écrit en arabe classique avec une petite dose de surréalisme dans les paroles.


En parlant d’espoir, votre projet commence par l’interlude « Sables » et se termine sur le très solaire « Africa ». C’est comme si ce sable s’était déplacé d’une zone d’ombre à la lumière entre les silences et les espaces.

Z : C’est vraiment comme un passage du noir au blanc. On est sur des dégradés de gris avec au début, comme une absence de lumière. Elle débarque, un peu subtilement sur le chemin et on la sent vraiment quand on écoute « Africa » à la fin. 
 


Sur ce chemin, Ziad tu chantes notamment l’amour sur un titre aux influences raï.

Z : Oui sur le morceau « Mon Amour ». J’ai fait découvrir le raï à Simon d’ailleurs. Maintenant c’est un pro ! Il écoute du Bilal, Khaled, Mami, Cheba Fadela, Cheba Nouria, Houari Dauphin…

S : Au début pour une oreille qui n’est pas habituée à ce son, c’est assez complexe. Ça s’est modernisé depuis, mais au début ils faisaient ça à l’arrière d’une boutique à Oran avec les sons d’un petit clavier Yamaha ou Casio. J’ai fini par comprendre et apprécier, ça fait partie de l’esthétique de cette musique et c’est tellement magnifique.

Z : L’histoire du raï, c’est comme l’histoire du rap. Dans le raï, t’as un emcee avec le gars qui joue du synthé. Dans le rap, un emcee avec un DJ. On lance l’instrumental et c’est parti.

S : Il y aussi cette productivité assez incroyable dans le raï. Cheb Hasni a sorti combien d’albums Ziad déjà ?

Z : 113 albums en 4 ans de carrière. 
 


Cheb Hasni, le chantre du raï sentimental qui a marqué toute une génération de Maghrébins.

Z : Ouais, Hasni c’était l’aspirine du Maghreb. Moi j’ai grandi entre Rabat et Casablanca avec ses sons dans les oreilles. À la salle d’arcade, il y avait des photos de Hasni et du Raja de Casablanca (club de foot) partout. Les gars que tu regardais comme les pires voyous, quand ils écoutaient du Hasni, ils devenaient doux et gentils. J’ai grandi avec cette image, voir des gros durs se calmer sous Hasni.


Une dernière chose, pourquoi ce nom « 
Sables »
 ?

S : C’est une idée de Josh, notre Directeur de création. On parle beaucoup de la perte dans notre musique. La perte d’un territoire, de ses repères, de l’amour… Le sable, tu peux le tenir dans tes mains, mais il finit toujours par glisser.
 

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Narjes Bahhar est sur Twitter.

crédit photo : Julien Laperriere

 Lire ensuite : La jungle de Malca
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