À l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, Amadou Bator Dieng — notre correspondant à Dakar — vous fait découvrir 8 chanteuses emblématiques, des divas (ou divines) comme on le dit des chanteuses d’opéra.
Photo : Coumba Gawlo Seck
Des indépendances à aujourd’hui, la musique sénégalaise a vu naître et s’épanouir de très belles voix féminines. Élégantes et gracieuses, elles ont su prendre toute leur place dans l’espace musical du pays, faisant montre d’une volonté de fer et d’une grande intelligence dans la direction de leur carrière. Des parcours d’autant plus méritoires dans une société sénégalaise dominée par les hommes, a fortiori pour celles d’entre elles qui ont débuté dans les années cinquante et soixante. À ce sujet, certaines d’entre elles, par leur exemple ou leurs chansons, ont d’ailleurs contribué à faire évoluer les mentalités de leurs concitoyens et concitoyennes.
Aminata Fall
Aminata Fall est la chanteuse la plus jazzy et la plus bluesy de l’histoire de la musique sénégalaise. Née en 1930 à Saint-Louis, elle est vendeuse de cacahuètes devant le lycée Faidherbe et devant le cinéma Rex. C’est là qu’elle découvre les voix de Mahalia Jackson, Louis Armstrong, Aretha Franklin, Tino Rossi… Voix rocailleuse, envoûtante, elle est rapidement surnommée la Mahalia Jackson sénégalaise et intègre en 1958 le Star Jazz de Saint-Louis où elle fait apprécier son talent.
Aminata Fall attira l’attention du président Léopold Sédar Senghor qui l’invite à prendre part au premier Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN), organisé en 1966 à Dakar. Elle y rejoindra l’Ensemble Lyrique Traditionnel dont elle fera les beaux jours durant près de vingt ans. On la verra même au cinéma : elle joue dans plusieurs films, notamment « Touki Bouki » de Djibril Diop Mambety en 1973 et « Bandits Cinéma » de Bouna Medoune Sèye en 1992. Voici ce que disait ce dernier de la chanteuse : « Aminata Fall, voilà une femme qui est pour moi une vraie Diva et qu’on n’a jamais utilisée. Voilà une femme qui a une voix en or, qui dans n’importe quel pays avancé du monde aurait fait une carrière internationale incroyable, et la voilà elle n’a jamais fait de disque, elle n’a jamais rien fait de solide, juste des petits trucs. Quand elle chante, moi, j’ai la chair de poule. »
Côté discographie, il faudra en effet attendre jusqu’en 1992 pour voir le nom d’Aminata Fall figurer dans un disque. Une compilation Mbalakh, Jazz et Rap. Son véritable premier album, elle l’enregistre en 1995 grâce au producteur Mamadou Konté d’Africa Fête et au groupe Keur-Gui qui l’accompagne et arrange ses six sublimes titres. Trois ans plus tard, elle devenait l’héroïne du documentaire que lui consacrait Moussa Sene Absa, intitulé Blues pour une Diva.
Kiné Lam
Kiné Lam est la première chanteuse sénégalaise à battre des records de vente de cassettes. Son premier album Dogo, du nom de son époux et manager, s’est vendue à près de 100 000 exemplaires. Voix haut-perchée, Kiné Lam est une diva au vrai sens du mot, dans le fond tout comme dans la forme, toujours magnifiquement parée. Elle commence sa carrière à l’âge de 14 ans et intègre en 1978 l’Ensemble Lyrique Traditionnel. En 1989, elle forme son groupe et sort Dogo… on connaît la suite. En 1991, Syllart sort une compilation intitulée Les Lionnes dans laquelle se trouvent ses chansons et celles d’une autre grande diva sénégalaise, Soda Mama Fall.
Accompagnée de musiciens d’exception comme Cheikh Tidiane Tall, Etu Dieng, Thio Mbaye, Dial Maye et plus tard Habib Faye, Kiné Lam va s’imposer comme une des plus belles voix du Sénégal. Pour beaucoup, elle est la Youssou Ndour faite femme (à moins que ce ne soit l’inverse, c’est une question de point de vue, NDLR). Disciple de la confrérie Mouride, elle doit son surnom Kiné Lam Mame Bamba aux nombreuses et belles chansons qu’elle adressa aux différents dignitaires du mouvement soufi dont le guide est Cheikh Ahmadou Bamba. Kiné Lam dépeint aussi dans ses chansons la société sénégalaise et ses travers. La jalousie dans le couple, la bravoure des femmes, l’éducation des enfants, la pauvreté ou encore la responsabilité des parents.
Diabou Seck
Diabou Seck, surnommée la Saint-Louisienne par le journaliste Alassane Ndiaye Alou, est la première femme à s’inscrire au Bureau Sénégalais des Droits d’Auteurs (BSDA). Diabou Seck est née en 1933 dans le quartier Santhiaba à Saint-Louis. Elle est élevée par la grande diva Adja Coumba Fall Léonie et fait partie de la lignée des grandes divas du Walo comme Marie Fall Diama Diop et Adja Mbana Diop. En 1953, à l’âge de 20 ans, c’est la révélation. Sa chanson en hommage à Mar Diop, ex-maire de Saint-Louis, la propulse au-devant de la scène et les mélomanes découvrent une chanteuse magique. En 1954, elle enregistre un disque de 78 tours sur le label Ndar Disk.
Femme au leadership reconnu, elle s’investira dans la politique en participant avec Adja Mbana Diop aux luttes pour l’indépendance du Sénégal. Grande amatrice de football, elle sera une des plus grandes supportrices de La Saint-Louisienne (devenue La Linguère), l’équipe fanion de la vieille cité. La cantatrice, membre de l’Ensemble Lyrique Traditionnel est emblématique de la grande période où Radio Sénégal était le seul médium du pays. Elle symbolise aussi Saint-Louis, longtemps capitale du Sénégal au temps colonial. Diabou Seck est aussi la sœur du chanteur Abdou Guité Seck, Lauréat en 2000 du Prix RFI Découvertes avec le groupe Wock.
La cantatrice est décédée le 30 janvier 1988 à Saint-Louis après une longue maladie. Elle laisse en héritage un répertoire unique.
Yandé Codou Sène
Yandé Codou est la grande griotte de la région du Sine. Elle est avec Khady Diouf Diakhanor, la gardienne incontestée, des traditions et cultures sérères. Née en 1932 à Somb, dans le Sine-Saloum, Yandé Codou apprend le chant aux côtés de sa mère. Adulte, voix retentissante et mélancolique, facilement reconnaissable, Yandé Codou devient la référence du chant polyphonique sérère et la chanteuse officielle du président Léopold Sédar Senghor qu’elle accompagne lors de ses tournées dans le pays où lorsque ce dernier reçoit des homologues en visite officielle au Sénégal. La cantatrice sérère a d’ailleurs ému le monde en chantant aux obsèques du Président-poète en 2001.
Yandé Codou enregistre son premier album, Night Sky in Sine Saloum (1998) à l’âge de 65 ans Comme Aminata Fall, elle sort un album sur le tard. En 1995, Youssou Ndour, conscient du patrimoine que représente Yandé Codou, l’enrôle et décide de la faire connaître au monde. Ils enregistreront l’album Gaïndé et un autre, dénommé Youssou N’Dour Presents Yandé Codou Sène, tous deux très bien accueillis par la critique. S’en suivirent des tournées un peu partout en Europe. Yandé Codou a chanté pour des bande originales de film, mais sa vie même a fait l’objet de documentaires parmi lesquels Yandé Codou Sène, la Diva sérère, de Laurence Gavron en 2008 et Yandé Codou la griotte de Senghor d’Angèle Diabang. Le 15 juillet 2010, Yandé Codou, la grande diva a tiré sa révérence et repose désormais à Gandiaye.
Khar Mbaye Madiaga
Khar Mbaye Madiaga est une grande cantatrice originaire de Rufisque. Elle a chanté : « Khar Mbaye Madiaga, fu la ndanane di diar ? » qui veut littéralement dire « Comment une autre diva pourrait te surpasser toi Khar Mbaye Madiaga ? ». Elle est la « Reine Mère » de l’Ensemble Lyrique Traditionnel du Théâtre National Sorano. Khar Mbaye a une présence scénique remarquable, et sa voix grave et imposante se reconnaît entre toutes. Diva à la splendide noirceur d’ébène, elle ne se maquille presque jamais (comme une certaine Soda Mama Fall) et garde malgré l’âge une beauté certaine, toujours drapée dans de magnifiques boubous. Khar commence son parcours musical dans sa Rufisque natale. On lui pose un tabouret pour chanter lors des cérémonies familiales, politiques et sportives. Elle entre dans le club fermé des chanteuses les plus célèbres qui accompagnent la lutte sénégalaise avec feue Diabou Seck, feue Mbana Diop et feue Ndèye Ngom Bambilor…
Grâce au grand producteur Mass Diokhané, elle fait son entrée dans la musique moderne, notamment avec sa chanson Mbayo Mbaye qui fait un carton. On doit aussi à Khar Mbaye la fameuse chanson qui en 2002 accompagna les Lions de la Teranga (l’équipe nationale de football) au Mondial organisé en Asie. Khar Mbaye chante la jeunesse, la citoyenneté et le respect des valeurs traditionnelles. Chantre de la culture Lébou (habitants de la région de Dakar), Khar Mbaye est considérée comme une gardienne du temple.
Coumba Gawlo Seck
La Gawlo est la première chanteuse au Sénégal à obtenir un disque d’or avec la reprise en 1998 du succès de Miriam Makeba Pata Pata. Voix d’or du Sénégal à 14 ans avec Soweto en hommage à Nelson Mandela, écrite par son père (Laye Bamba Seck, lui-même chanteur réputé), Coumba Gawlo a toujours fait preuve d’une persévérance et d’une témérité sans faille. Elle ne lâche rien, bien épaulée à ses débuts par le musicien, arrangeur et producteur Robert Lahoud.
Issue d’une famille griotte, elle a hérité d’un patrimoine solide. Sa maman était déjà une des plus belles voix du Sénégal. Elle ne s’est pas contentée toutefois de cet héritage. Elle a exploré et exploité d’autres horizons. Son album Gawlo & Diego en 2003, en duo avec l’énorme artiste Souleymane Faye, a participé à asseoir davantage sa stature de diva.
Coumba Gawlo Seck, femme d’affaires ambitieuse, s’est engagée aussi en faveur de plusieurs causes humanitaires et met à profit sa notoriété pour soutenir des combats tels que l’autonomisation des femmes, la scolarisation des filles et l’excision. Il faut dire que l’auteure de Yomale a la tête bien faite. Brillante élève, elle est sans doute parmi ses consœurs la chanteuse qui est allée le plus loin dans les études. Ses chansons témoignent toujours de sa volonté farouche d’être perçue comme un exemple pour les autres femmes. Son dernier album en 2018 Terrou Waar (Label Sabar) est un condensé de rythmes traditionnels rendant hommage aux terroirs, aux cultures et civilisations du Sénégal.
Ma Hawa Kouyaté
Guinéenne de naissance, Ma Hawa Kouyaté est aujourd’hui une Sénégalaise d’adoption. Son histoire avec le Sénégal commence en 1967, lorsque le roi de la Kora Soundioulou Cissokho, invité à l’inauguration du Palais du Peuple à Conakry (Guinée) rencontre la jeune Ma Hawa (18 ans), une voix en or. Soundioulou ramène la jeune chanteuse dans ses bagages. Ils ne se quitteront plus puisqu’ils se marieront et feront une carrière commune digne des plus grands duos de l’histoire. Ma Hawa Kouyaté, née en 1949 est la fille de El Hadj Djali Kandara Kouyaté et de la cantatrice Mariama Dianké Kouyaté, deux grands « djélis » (griots) Guinéens, spécialistes de l’histoire et de la culture mandingue. Ses deux parents l’initient à l’art et lui enseignent l’histoire et la culture du peuple mandingue. Durant toute sa vie artistique, elle en sera la digne ambassadrice. Gracieuse, belle, douée de la voie douce qui sied aux plus belles berceuses, Ma Hawa Kouyaté tient le rang et seconde merveilleusement le roi de la Kora au chant. Le duo sera même récompensé par la SACEM. Elle accompagnera son mari sur toutes les scènes du monde et interpréta de véritables tubes. Ceddo (sur la fierté des guerriers gabunkés), Sory (chant des Touré et hommage aux religieux mandingues) et surtout l’imprenable Mariama pour ne citer que ceux-là. À la mort en 1994 de Soundioulou, Ma Hawa perdit non seulement son mari, mais aussi son compagnon et mentor. Membre à l’époque de l’Ensemble Lyrique Traditionnel, la cantatrice consacra le reste de sa riche carrière à la troupe du Théâtre National Sorano.
Viviane Chidid
La reine du Jolof Band est née à Mbour d’un père Libano-syrien et d’une mère aux origines maliennes et mauritaniennes. L’histoire de Viviane Chidid commence dans les cabarets et hôtels du pays où elle se produit. Repérée par Youssou Ndour, elle en devient la choriste en 1993 et participe au fameux album The Guid (Seven Seconds, Chimes Freedom…) Viviane participe aux tournées qui suivent et se fait rapidement une réputation. Son duo avec Ndeye Marie Ndiaye Gawlo – une chanteuse qui était partie pour être l’une des plus grandes diva de la scène musicale sénégalaise malheureusement vite disparue en 2011 — aux chœurs du Super Etoile fut extrêmement complémentaire.
Viviane lance sa carrière solo en 1999 avec Entre Nous, son premier album. Le public apprécie. Le titre Sama Néné cartonne. Encouragée par cette belle entame, la chanteuse s’essaye à un Mbalakh épuré et teinté de R’N’B. Ses années de cabaret et son passage au Super Etoile contribuent à des productions solides. Ses textes tournent autour des questions sociales, par exemple la vie de couple et la place de la femme dans la société sénégalaise. Femme glamour douée d’une voix captivante, Viviane ne laisse rien au hasard pour être en haut des charts. En 2004, elle signe un album d’anthologie nommé Esprit, dans un style purement hip-hop. Awadi, Fou Malade, Pacotille… tous des rappeurs célèbres participent à l’opus. C’est, dit-on, l’album hip-hop le plus vendu dans l’histoire du rap sénégalais. Elle est d’ailleurs la chanteuse sénégalaise la plus demandée en duo. Mokobe, Busta Rhymes ou encore Sarkodie récemment, l’ont conviée sur leurs chansons. La mbouroise continue son chemin, évolue avec son temps et enchaîne les hits, notamment avec Wuyuma et No stress, deux titres de son album Wuyuma, en mode Afro-Trap, paru en 2017.