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The Pan African Music Magazine
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Le Coronavirus s’attaque (aussi) à la musique

Alors que la pandémie du Covid-19 continue de s’étendre, nombre de pays africains ont pris des mesures pour essayer d’en freiner l’expansion. Les artistes, comme les autres, sont touchés. Mais certains s’organisent, et résistent en musique. Tour d’horizon avec nos correspondants en Afrique.

Photo : extrait du clip « Fagaru Ci Coronavirus » de Y’en a marre 


Le 19 mars, on apprenait que le géant du soukouss Aurlus Mabélé était emporté par le Coronavirus. Le natif de Poto-Poto à Brazzaville, immense star des années 80 et 90, avait disparu des scènes depuis le milieu des années 2000, déjà fragilisé par son état de santé. Deux jours plus tôt, le journaliste Jean-Michel Denis qui avait tant écrit sur les musiques africaines disparaissait lui aussi, frappé par le même fléau. Entre temps, on apprenait que le doyen Manu Dibango était soigné pour le même mal, mais les nouvelles de lui sont encourageantes : on souhaite à ce cher lion indomptable de vite se remettre*

Ces nouvelles, toutes venues de Paris, avaient de quoi assommer les passionnés de musiques africaines. Certes, dans un contexte où tout le monde est devenu une cible, les artistes ne font évidemment pas exception. Mais puisque la musique pour nous est un prisme pour regarder et raconter le monde, l’équipe de PAM s’est intéressée à la situation de la musique et des musiciens sur le continent africain, qui, s’il est à ce jour moins touché que d’autres, a pris lui aussi des mesures drastiques pour en freiner l’expansion, conscient des faiblesses de la plupart des systèmes de santé. 


Annulations en cascade

Comme dans la plupart des pays du monde qui voient la progression du virus s’étendre, nombre de pays du continent ont décidé de fermer les écoles et universités, d’interdire les rassemblements, fermé leurs frontières et parfois même décrété un couvre-feu. Dès lors, la plupart des artistes et organisateurs de spectacle n’avaient plus d’autre choix que d’annuler ou de reporter à une date pour l’heure inconnue les concerts et festivals prévus.

En Côte d’Ivoire, si le MASA (marché des Arts et du spectacle d’Abidjan) a pu se tenir in extremis du 7 au 14 mars, le gouvernement a annoncé le 16 mars au soir la fermeture des établissements scolaires, des boites de nuits et des bars pour au moins un mois, ainsi que tous les rassemblements de plus de 50 personnes. Quelques heures avant cette annonce du président de la République, A’Salfo, le leader des Magic System et commissaire général du FEMUA (le Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabo), décidait de reporter à une date ultérieure cet événement majeur, qui attire chaque année pas moins de 50 000 personnes. « Nous avons pris cette décision par solidarité et par conscience, dit le chanteur. Nous ne voulons pas que le FEMUA devienne un foyer de contamination. Tout le monde est concerné, tout le monde doit s’y mettre ».

Le Burkina Faso voisin a annulé la Semaine nationale de la culture, et les concerts solidaires de Tiken Jah Fakoly (le 13 mars à Bobo-Dioulasso pour financer un centre de dialyse, le 14 mars à Ouagadougou pour les veuves et orphelins des militaires burkinabé) ont eux aussi été reportés. 

Le Sénégal, qui a pris aussi des mesures drastiques, a du annuler les célébrations du soixantenaire de l’indépendance, suite à la décision du gouvernement d’interdire du 4 mars au 14 avril 2020 sur l’étendue du territoire national toutes les manifestations et les rassemblements de personnes dans des lieux ouverts ou clos’’

Au Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique tout comme au Ghana, les lieux de concert ont fermé et des artistes comme Davido ont du interrompre leur tournée américaine, ou Burna Boy reporter son concert prévue en Namibie dont c’est aujourd’hui 21 mars la fête d’indépendance.

En Afrique du Sud, où bon nombre de frontières ont été fermées et où les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits, le festival international de Jazz de Cape Town qui rassemble habituellement 40 000 personnes et devait se tenir les 27 et 28 mars prochain a lui aussi été reporté sine die. 

Au Maroc, le Festival Mawazine qui devait se tenir du 19 au 27 juin à Rabat a été annulé dès le 15 mars, le Festival de Fès des Musiques sacrées du monde (prévu du 12 au 20 juin) aussi… quant au Festival Gnaoua et Musiques du Monde, il n’a pour l’heure  pas encore pris position : « nous envisageons le report” confiait il y a peu sa direction, “mais l’annulation est impensable pour le moment, ses conséquences économiques seraient considérables. Nous sommes une structure privée qui produit l’un des festivals les plus importants du pays. Cela fait neuf mois qu’une équipe d’une dizaine de personnes est mobilisée pour rendre possible l’édition 2020. Les frais engagés sont massifs.” Evidemment, l’importance économique de ces grands évènements est capitale, non seulement pour l’économie de culture, mais aussi pour le tourisme, secteur crucial pour l’économie toute entière du pays.

Le secteur de la culture fragilisé

Les métiers de la culture, souvent précaires, le sont encore davantage en Afrique où bien peu de pays les soutiennent. A fortiori en période de crise. C’est le cas même en Afrique du Sud, poids lourd économique du continent et second pays (après l’Egypte) où l’on compte le plus de cas, même si on n’y enregistre pour l’heure aucun décès.

Le chanteur sénégalais Moh Dediouf, dont le retour sur scène était attendu pour le 27 mars, va droit au but : «  D’abord je réfute le mot  ‘’industrie culturelle’’, car il n’en existe pas réellement au Sénégal. Le coronavirus montre à souhait la fragilité de certains métiers en Afrique. C’est le moment de tout repenser » déclare-t-il avant d’insister sur la capacité de résilience du peuple sénégalais, qui tous les jours fait face à toutes sortes de crises. « Il nous faut une introspection qui va au-delà des dates de concerts reportées. Il est difficile de dire à un peuple qui vit dans la résilience permanente, même si cela est nécessaire et important, de l’être encore plus en cette période de coronavirus. La résilience, c’est son quotidien » martèle-t-il amer.

La culture ne fait pas exception, et la crise actuelle met à nu les fragilités des systèmes économiques et questionne le rôle de l’Etat, sur un continent où ils ont été considérablement affaiblis.

En Tunisie, qui connaît désormais un couvre-feu, Mehdi Hamouda ; entrepreneur et activiste historique de la nuit tunisienne, est sur le point d’inaugurer un nouveau lieu de fête et de musique en juin, aux alentours de la capitale : “on est tous dans l’expectative pour l’instant.” Mais au-delà de la dimension musicale, il rappelle avec lucidité que “cette épidémie vient fragiliser une économie précaire, ainsi qu’un Etat dont les caisses sont vides. Il ne faut pas que la crise sanitaire soit suivie d’une crise alimentaire. Nous savons que nous ne sommes pas égaux face au ralentissement qui frappe la société tunisienne. Dans beaucoup de quartiers, les tunisiens doivent descendre quotidiennement dans la rue pour trouver un moyen de subsistance”. Pour sûr, il est bien difficile pour tous ceux là de rester chez eux, comme le veut la consigne devenue globale. 


Résistances en musique 

Il y aura certainement un avant et un après Covid-19. En attendant, puisque nous sommes dedans, nombre d’artistes se mobilisent. Au Sénégal, Youssou Ndour a offert pour 10 millions de francs CFA de matériel médical à des structures de santé, suivi par les chanteurs Wally Seck et Pape Diouf qui ont eux aussi fait des dons importants. Le collectif Y’en a marre, qui depuis 2011 demeure la mauvaise conscience des dirigeants de son pays, a décidé lui aussi de peser de son poids dans la prévention, avec un clip pour sensibiliser les Sénégalais aux comportements à adopter. 

En Afrique du Sud, le Ndlovu Youth Choir y est aussi allé d’une vidéo de sensibilisation, sur un mode chorégraphié et plus joyeux. 

Au Ghana, le rappeur M.anifest a pris la parole sur les réseaux sociaux dans une vidéo pour sensibiliser le public, l’incitant à être prudent, sans paniquer, tout comme le congolais Lokua Kanza, invitant tout le monde à rester chez lui et remerciant au passage les personnels soignants, comme les commerçants et les éboueurs qui tous continuent à assurer leur mission. En Tunisie, l’activiste musical Skander Besbes, membre du groupe Speed Caravan et instigateur du désormais culte E-Fest, poste depuis le 17 mars chaque jour sur son Soundcloud un morceau inédit : “il s’agit ici d’un journal de bord musical, composé de dizaines et de dizaines de morceaux archivés depuis toujours. J’aime l’idée qu’ils sortent finalement en cette période nouvelle.

D’autres réfléchissent à donner des concerts intimistes en live stream, comme le fait à destination des enfants confinés le plus ivoiriens des chanteurs français, Toma Sidibé. Et bien sûr, signe des temps, les danseurs ivoiriens, comme ils l’avaient fait au temps de la grippe aviaire, ont inventé une danse de circonstance tournant le fléau en dérision. C’était juste avant la fermeture des boîtes de nuit. 


*Même vœux pour Sebastien Lagrave, patron du festival Africolor et pour Nils Constant, stagiaire à la rédaction de PAM, malades et confinés chez eux.

Article rédigé avec les contributions de :  Vladimir Cagnolari (France),  (Nigeria), Amadou Dieng (Senegal) et Théophile Pillaut (Tunisie et Maroc) 

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