À 24 ans, la rappeuse martiniquaise assume sa créolité comme ses ambitions et s’impose d’emblée sur la scène rap francophone avec Jour Avant Caviar, une mixtape très aboutie pour une première sortie.
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“Je me sens martiniquaise et créole à fond. Je ne peux pas fuir mon identité. Mais je suis ici pour conquérir le monde !” affirme Meryl en engloutissant un pain au chocolat. Ici, c’est Paris. Dès 2018, la rappeuse enjambe l’Atlantique “pour le business” et trouve très vite sa place en déployant ses talents de mélodiste pour des poids lourds du milieu tels que SCH (“Le Code”), Soprano (“Ninja”), Niska (“Du Lundi au Lundi”) ou encore Shay (“Liquide”). “Je me sens chez moi en studio, je suis très à l’aise. Être toplineuse, c’est une forme d’éducation : apprendre à écouter, à être efficace, ça alimente l’humilité et travaille l’orgueil”, remarque-t-elle.
Sans prétention, la rappeuse ne manque pas d’ambition. Car pendant ce temps-là, Meryl pose un feat. en or avec Timal et envoie au compte-gouttes sept titres dont les clips léchés — un moyen d’expression qu’elle adore, “pour être comme Chris Brown” — cumulent aujourd’hui près de 19 millions de vues et composent Jour Avant Caviar, sa première mixtape. À 24 ans, Meryl signale d’emblée sa position : en français comme en créole, le flow est insulaire et la trap caribéenne autant qu’urbaine, pour que le tout séduise en national. Son moteur ? Une rage de vaincre inépuisable. “On ne change le monde que si on charbonne/Pas diplomate, pas diplômée/À vrai dire je n’ai même pas de plan B” mitraille-t-elle sur “Comme à la maison”.
Riz blanc contre caviar
Avant Meryl, dreads, visage poupin, Cindy Elismar nourrit déjà ardemment le désir de briller sur le devant de la scène, imitant les vibes des chanteuses à voix telles que Whitney Houston ou Mariah Carey. Chez elle, on écoute Cabrel ou Johnny à la radio, et pas mal de zouk, soca, shatta, dancehall, de bouyon guadeloupéen et de musique orchestre, “qui sont partout de toute façon” et cadencent aujourd’hui les beats que ses producteurs, Le Motif, Pyroman et Junior Alaprod en tête, ont conçu pour elle. Née au Lamentin, la rappeuse grandit à Saint-Esprit puis au cœur de la cité Manikou à Rivière-Pilote. “Je viens d’un contexte vraiment vraiment modeste. Jour Avant Caviar, c’est l’expression de toutes ces années de manque et de frustration. Mais on mangeait tous les jours et je trouvais ça incroyable !” tempère-t-elle avec le recul. La raison d’être de punchlines comme “j’ai hâte de me plaindre de l’impôt sur la fortune” ou “poches remplies cœur léger” devient alors claire : adieu riz blanc, bonjour caviar — ou ce qu’il représente car elle n’en a jamais goûté. Le rap sera son ascenseur social.
Pour autant, pas question de déserter. Sur le sujet, Meryl est catégorique : “On n’est pas des misérables mais je déteste l’idée que les jeunes doivent partir à cause du manque de structures et de perspectives d’avenir sur l’île. Moi je suis partie pour acquérir de l’expérience et elle doit servir à ma communauté, je rentrerai pour entreprendre chez moi, en Martinique.” Même si Paris, son béton et son manque d’horizon pèsent lourd parfois, Meryl a le sens du devoir. En 2013, Specta — rappeur de l’underground martiniquais — prend Meryl sous son aile, devenant son mentor et sa rampe de lancement en l’invitant sur “Agression Textuelle” notamment. A son tour, Meryl emmène naturellement d’autres artistes dans son sillage à l’image d’une Planète Rap sur Skyrock en février dernier où la rappeuse a partagé son freestyle avec Jahyanai, Bamby ou Tiitof. “C’est le gratin des musiques urbaines ultra-marines, on est ensemble, c’est normal. Au pays comme en national, les radios nous soutiennent peu car notre musique a un effet direct sur la population et ça leur fait peur. Des mecs comme Evil Pichon sont des stars chez moi mais ils n’ont pas l’exposition qu’ils méritent” explique Meryl.
Petite révolution
“J’ai toujours cru en une force supérieure, qui me guide et me protège. Gamine j’étais très pratiquante, j’allais au catéchisme. Mais en grandissant, j’ai compris que toute cette histoire de christianisme est venue chez nous avec l’esclavage et j’ai commencé à remettre certaines choses en question”, raconte l’ancienne Spiritaine en tripotant la croix qu’elle porte autour du cou.
La Martinique est loin d’être le seul territoire aux prises avec son héritage colonial, mais comme la Guadeloupe, l’île aux fleurs a un autre grand défi à relever : l’empoisonnement de ses sols et de ses habitant.e.s au chlordécone, un pesticide ultra-toxique utilisé dans les bananeraies pendant près de trente ans. Explosion record du nombre de cancers, terres polluées pour au moins 500 ans… Une catastrophe écologique et sanitaire qui touche Meryl, surtout depuis que la jeunesse martiniquaise a ajouté sa voix aux mouvements contestataires tels que Zéro Chlordécone Zéro Poison.
“Quand je vois des gens de mon âge envoyer des gaz lacrymo sur le Palais de Justice, je me sens concernée. C’est une petite révolution ! Cette affaire révèle beaucoup de sujets enfouis : notre économie gérée par les békés (les descendants d’esclavagistes, NDLR), les inégalités sociales… Je suis consciente de tout ça aujourd’hui. Pourtant, je n’ai pas envie d’être cataloguée comme une artiste 100 % engagée, je ne m’en sens pas encore ni les épaules ni la maturité. Pour l’instant, je rappe pour nous faire exister, c’est ma façon de militer” poursuit-elle, honnête – d’autres se chargent de faire passer le message, tels que la rappeuse Casey ou DJ Noss et son future-bèlè-beat.
Cependant, Meryl ne se gêne pas pour s’exprimer sur les sujets qu’elle maîtrise, en témoigne “Coucou”, un titre où la rappeuse porte un discours féministe. “On a encore beaucoup de chemin à faire. De femme à femme pour commencer, nous devons être plus solidaires, les mecs suivront. Regarde, Shay et moi sommes très différentes côté canons de beauté. Pourtant nous sommes deux femmes qui rappent, c’est tout ce qu’on doit retenir.” Une chose est sûre, dans la bataille de la représentation des femmes dans le rap game, Meryl peut s’entraîner à faire “sonner les caisses claires pour annoncer les jours de victoire” (“Johnny”) car le vent tourne et il connaît son nom.
Retrouvez Meryl dans notre playlist One Dance sur Spotify et Deezer.