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The Pan African Music Magazine
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Wau Wau collectif : un ovni qui plane et joue collectif

Né de la rencontre du musicien et producteur Karl Jonas Winqvist et de musiciens de Toubab Dialaw (Sénégal), ce disque collectif, conçu à partir de nuits de jam et d’échanges WhatsApp, est un ovni pour planer par-dessus la Méditerranée. Interview.

C’est l’un des disques surprenants de ce début d’année. « Yaral Sa Doom », un titre en hommage au Super Diamono de Dakar, est né de la rencontre spontanée entre des musiciens sénégalais (poètes, percussionnistes, beatmakers…) et le producteur musicien suédois Karl Jonas Winqvist, venu au Sénégal en résidence pour trois mois. Une suite de concours de circonstances a abouti à la création in situ du Wau Wau collectif qui s’est enrichi, une fois le producteur retourné chez lui, grâce à des partages de fichiers via WhatsApp et l’ajout de quelques musiciens suédois. Le résultat est un trip rétrofuturiste, une bande-son aussi étrange que captivante, qui emprunte les chemins de traverse. Ici, à mille lieues des manières de faire qu’affectionnaient les tenants de la world music, les compositions sont partagées, et signées par le bassiste-chanteur Aruna Kane, par ses comparses sénégalais embarqués dans l’aventure, par leur camarade suédois Winqvist, ou encore, et tout bonnement : par le Wau Wau Collectif. Manière de souligner la singularité de ce projet qui valorise avant tout le sens du groupe. Quitte à prendre de multiples voies, puisqu’on trouve aussi bien une ballade un brin bancale qu’un étrange riddim reggae, des échos du soufisme et une flûte onirique, des percussions en pointillés et de délicieux petits coups de beats, le souvenir d’une fanfare et de sages paroles à l’adresse du monde entier, un faux air de jazz éreinté interprété par un chanteur à la voix sans âge et une tournerie latin afrofunk dans le sillon des grands esthètes du genre. La liste est trop longue, mais ce qui frappe est l’imbrication naturelle entre ce qui ressort des instantanés captés dans le vif de la nuit et les ajouts postérieurs suffisamment discrets pour ne pas gâter l’affaire. Retour d’expériences sur le processus de fabrication de cet objet sonore non identifiable avec son principal maître d’œuvre.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours musical avant d’en arriver à ce projet ?

Un parcours très éclectique. Tout a commencé il y a 20 ans lorsque Jenny Wilson et moi avons sorti notre premier album There is Hope, avec notre groupe de pop expérimentale First Floor Power. Nous avons beaucoup joué en Europe et sorti quelques autres albums. Avance rapide jusqu’en 2015 lorsque j’ai commencé à élargir mes activités musicales. J’ai commencé à animer l’émission de 2 heures « Kaejdoskop » sur la radio nationale suédoise où nous jouons de la musique des quatre coins du monde, sans aucune publicité. J’anime toujours cette émission de temps en temps. J’ai également créé mon propre label : Sing a song fighter. Fondamentalement, je l’ai fait pour transformer un rêve en réalité, à savoir rééditer l’un de mes albums préférés : Idrissa Soumaoro & L’éclipse de l’IJA, les premiers enregistrements en studio avec le duo alors adolescent Amadou & Mariam et leur professeur de musique Idrissa. J’écoute depuis longtemps des MP3 délabrés de cet album rare et difficile à trouver. Puis j’ai commencé ma mission de localiser Idrissa, de trouver un master ou un album original non lu, etc. Quand j’y suis parvenu après un travail acharné, j’ai contacté mon ami Éric qui dirigeait le grand label américain Mississippi Records pour voir s’il voulait co-publier ce disque avec moi. Je voulais que l’album soit vraiment disponible et j’avais besoin de m’appuyer sur un collaborateur expérimenté. Ce fut le début de mon propre label. Depuis, j’ai sorti plus de 40 albums au cours des six dernières années, allant de la musique progressive suédoise à la musique africaine, en passant par des morceaux de piano solo ou des albums de jazz. Un grand mélange, comme souhaité. J’ai aussi un orchestre instrumental appelé The Second Hand Orchestra où je rassemble mes amis et musiciens préférés. C’est ainsi que sur le dernier disque de James Yorkstons, nous avons fini par être son groupe de soutien…

Comment et pourquoi êtes-vous allé au Sénégal ?

Je suis arrivé au Sénégal en 2018. Le département culturel et artistique suédois avait mis en place une nouvelle bourse d’échange de résidence musicale au Sénégal. Et comme je suis très amoureux de la musique et de la culture africaines depuis bien longtemps, j’ai postulé. Et j’ai été choisi pour y aller. Seul, sans n’avoir jamais été en Afrique et ne parlant ni français ni wolof. Alors, j’y suis arrivé comme un enfant sans rien savoir et je ne pouvais ni m’exprimer et ni comprendre grand-chose non plus. En fait j’étais préparé à tout ça. Je voulais que le défi et l’expérience soient ainsi, que j’ai besoin des gens… L’échange culturel entre la Suède et le Sénégal consistait en un séjour dans ce grand hôtel/centre culturel appelé Sobo Bade, dans une ville appelée Toubab Dialaw, non loin de Dakar. Et au final, il y a de quoi remplir un livre avec les moments et les scènes de ce voyage de trois mois. J’y ai trouvé des amis proches. Chaque soir, je finissais par jammer avec les musiciens locaux. J’ai écrit de la nouvelle musique et le temps est vite passé. Tant et si bien que je me suis retrouvé à l’aéroport au milieu de la nuit, prêt à rentrer chez moi en Suède, non sans tristesse. Tout à coup, une voix a retenti : les pilotes d’Air France s’étaient mis en grève et tous les vols étaient annulés. Je suis donc retourné à Sobo Bade. Et j’ai eu une semaine supplémentaire grâce aux pilotes. Et les musiciens là-bas et moi avons rapidement décidé que le moment était venu de faire autre chose que des jams… Nous sommes donc allés chez le musicien Arouna Kane, qui avait un peu de matériel de studio qui traînait. Nous avons rassemblé des musiciens et avons juste commencé à créer de la musique ensemble. Nous sommes restés éveillés toutes les nuits et avons vraiment trouvé quelque chose de spécial ensemble. Je n’avais apporté que cette harpe électrique qui ressemble à un jouet : l’omnichord. Grâce à elle, j’ai composé quelques chansons avec les musiciens, ce qui donne cette atmosphère surréaliste et charmante. Chaque nuit, nous étions cinq à six personnes tout le temps à jouer. Comme si c’était notre secret. Et quand je suis finalement parti pour la Suède, j’ai laissé les enregistrements à Toubab Dialaw, parce que le groupe voulait continuer puis m’envoyer le tout… Et le temps est passé. J’ai reçu des choses et d’autres par WhatsApp : de nouvelles chansons, des overdubs… Et nous avons décidé que nous allions faire cette musique à notre manière, où ma vision se confondait avec la leur. J’ai alors moi aussi commencé à enregistrer des overdubs en Suède… Le projet s’est peu à peu étoffé.

Quel a été le rôle d’Arouna Kane ?

Il était le technicien. C’est dans son studio que nous avons tout commencé. Il était également le bassiste, et il chante sur certains titres. Et s’il n’y avait pas eu le désir entre lui et moi de continuer à s’envoyer des trucs, cet album n’existerait pas. Nous savions que notre chimie était spéciale.

Aviez-vous déjà en tête l’idée de retravailler ces sessions en Suède ?

Nous n’avons pas retravaillé la musique, mais nous avons enregistré des choses et les avons ajoutées à des choses que j’ai faites au Sénégal. Dans certaines chansons, nous avons ajouté juste des détails, comme un clavier. Dans d’autres, nous en avons ajouté d’autres comme des cuivres. C’était tellement excitant d’assembler ces éléments les uns aux autres. Mais cela aurait pu aussi être chaotique. Je pense que j’avais du matériel pour 5 ou 6 albums au final. Mais tout s’est décidé dès le début et comme j’avais une totale liberté avec le matériau, ce fut un soulagement, car j’avais une vision claire de ce que je voulais…

Qui avez-vous ajouté en Suède ? Avez-vous édité des sessions enregistrées au Sénégal ?

Certains amis en Suède ont aidé en jouant de la flûte, du saxophone, de la clarinette et d’autre chose. Annarella Sörlin a par exemple fait de merveilleuses parties de flûte. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois au Sénégal, mais ce n’est que de retour chez nous en Suède que nous avons enregistré ensemble. Lars Fredrik Swahn et Andreas Söderström m’ont tous les deux aidé à mixer l’album et ils ont également ajouté de belles choses. J’ai même rencontré un chauffeur de taxi sénégalais à Stockholm qui connaissait les gens de Toubab Dialaw. Je l’ai invité avec ses enfants au studio, dont témoigne le morceau « Mouhamodou Lo » et ses enfants. Aucun sample n’a été utilisé sauf sur ce titre où nous avons utilisé un mellotron. Toutes les chansons ont pour base les premières sessions d’enregistrement au Sénégal. Et certaines sont pratiquement restées intactes.

Wau Wau Collectif – Mouhamodou Lo and His Children

Avez-vous en revanche associé des musiciens sénégalais qui n’avaient pas enregistré ensemble ?

Oui, et je suis toujours en contact étroit avec eux tous. Nous rêvons de partir en tournée. Mais ce sera difficile sur le plan logistique. Et comme il y avait tellement de matériel en cours d’enregistrement, j’ai déjà mixé le prochain album. J’espère que ce ne sera pas trop long avant qu’il puisse sortir aussi. C’est tout aussi bien, un peu plus sauvage et de partout.

Qu’entendez-vous par là ? Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce prochain disque ?

Nous avons enregistré tellement de matériel. Et moi comme Aruna nous nous sommes envoyé des overdubs, des idées et de nouvelles chansons jusqu’à la semaine dernière. Les chansons de Yaral Sa Doom se sont retrouvées sur cet album parce qu’elles étaient prêtes en premier. Mais il y avait autant d’autres chansons en attente, presque finies aussi. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à finaliser la pochette de l’album et le deuxième album sera prêt. Je veux que le jeune peintre/artiste sénégalais Babacar Pouye fasse le graphisme de cet album. Nous ne nous sommes jamais rencontrés dans la vraie vie – il habite Thiès –, mais nous nous envoyons beaucoup d’idées et de messages. Le prochain album sera aussi bon que Yaral Sa Doom, mais je crois que je ne devrais pas en dire beaucoup plus pour le moment.

L’un des succès de l’album est que vous parvenez à réunir des musiciens d’esthétiques souvent différents, du plus mystique au plus profane. Comment qualifier le résultat ? Un voyage entre le Sénégal et la Suède ? Une rêverie post-analogique ?

Oui, un voyage entre le Sénégal et la Suède. Mais aussi un voyage musical où les choses se fondent en une nouvelle belle chose.

Comment définiriez-vous votre rôle : arrangeur ? Magicien du son ? Catalyseur de vibrations ?

Pas certain. J’ai imaginé comment cet album prendrait forme. Et j’ai pris toutes les décisions de mixage. Donc, toutes vos trois suggestions sont bonnes. Mais je ne suis que l’un des nombreux membres du Wau Wau Collectif.

Pourquoi avoir choisi « Yaral Sa Doom » comme titre ?

Cela s’est décidé dès le premier soir lorsque nous avons commencé à enregistrer. C’était l’une des raisons pour lesquelles j’avais envie d’aller au Sénégal en premier lieu. Admirateur de longue date de la grande musique de Super Jamono De Dakar (plus tard appelé Super Diamono de Dakar). Sur leur plus grand album Ndaxami, il y a ce morceau fantastique appelé « Yaral Sa Doom ». Je n’ai pas arrêté d’interroger les gens sur ce groupe et cette chanson quand j’étais là-bas. Un peu obsédé par ça, j’espérais trouver quelqu’un qui pourrait m’aider à rééditer cet album. Puis la nuit avant de commencer à enregistrer, j’ai entendu ce titre sur un téléphone portable quelque part dans la nuit noire. Les musiciens m’ont dit que les paroles de cette chanson étaient importantes. Et que le titre signifiait « éduquer les jeunes »… Tout cela avait du sens. Nous étions entourés d’enfants tout le temps, et je venais d’enregistrer une session avec une petite classe d’école – ce morceau sera présenté sur le prochain album –, et donc, je savais juste que nous devions avoir « Yara Sa Doom » comme titre.

Pensez-vous que l’éducation reste l’un des enjeux majeurs de l’ouverture aux autres ?

Je le crois, oui. Mais surtout, je pense simplement que l’éducation devrait être offerte à tous les jeunes enfants. Et de manière égale. Mais ce ne sont pas (seulement) les jeunes enfants qui apprennent des personnes âgées. C’est aussi l’inverse. C’est magique et important d’avoir des liens entre un enfant de 7 ans et une personne de 97 ans. Ce qui est important pour le Wau Wau collectif, c’est que nous apprenons tous les uns des autres, il est donc fondamental pour nous d’avoir à la fois des jeunes, des moins jeunes et des plus âgés dans le collectif.

Yaral Sa dom, un disque Sahel Sounds/Sing A Song Fighter disponible ici.

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