En Côte d’Ivoire, où les élections ont trop souvent rimé avec conflits meurtriers, le reggaeman donne une série de concerts en faveur d’un scrutin apaisé.
Le chanteur de reggae, qui vit à Bamako et se définit comme un « panafricain d’origine ivoirienne », n’oublie jamais de suivre l’actualité du pays où il a grandi et qui l’a révélé, la Côte d’Ivoire.
Or, dans ce pays que les politiciens ont transformé en arène depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, le mot élection a fini par rimer avec danger. Celles de 2000 d’abord, puis – une guerre plus tard – celles de 2010, qui débouchèrent là encore sur un conflit meurtrier (pas moins de 3000 morts recensés).
Peut-on en finir avec les démons qui ressurgissent à chaque élection ? En tout cas, Fakoly compte faire sa part. Déjà, en 2017, il annonçait à PAM vouloir fonder un comité « élection zéro mort » quand viendrait le scrutin. Mais il débute dès aujourd’hui une tournée de concerts en Côte d’Ivoire baptisée « élections sans gbangban » : entendez « élections sans conflits ».
Cette « campagne » musicale pour un scrutin apaisé débute par une série de trois concerts dans des localités qui, lors de la dernière crise électorale, étaient réputées favorables à l’ancien président Laurent Gbagbo. On pourrait y voir un symbole.
Car à l’élection présidentielle de 2010, le reggaeman avait clairement indiqué qu’il ne soutenait pas Laurent Gbagbo, fidèle à la position qui avait été la sienne depuis le début des années 2000. Dans un pays qui alors s’était retrouvé coupé en deux, les crispations identitaires (nord-sud) qu’avaient attisées les politiciens allaient durer.
En parlant de ces responsables, Tiken Jah avait pourtant prévenu dans Mangercratie (1997) : « Ils allument le feu, ils l’activent, et après, ils viennent jouer aux pompiers ». Mais les politiciens ivoiriens, l’histoire l’a montré, se sont avérés bien meilleurs pyromanes que pompiers.
Retour à Yop City
« T’as brûlé ma maison d’Abidjan, parce que je ne suis pas de ton clan » chantait-il encore en 2004. Sa maison de Yopougon (la plus grande commune d’Abidjan) avait en effet été brûlée, parce qu’il ne ménageait pas le pouvoir et qu’il était originaire du Nord, ce qui dans ces années-là faisait de vous un présumé rebelle, ou un supposé militant du RDR (le parti d’Alassane Ouattara, autrefois empêché de se présenter aux élections de 2000). Même s’il vit depuis ces années de braise à Bamako, Tiken Jah n’a cessé depuis 2007 de revenir au pays, et y a rebâti sa maison, devenue une « Ambassade de Rastafari » à Yopougon. Studio d’enregistrement et de répétition, radio, bibliothèque panafricaine, c’est là que le chanteur nous recevait en 2017 et qu’il a depuis lors enregistré son dernier album, Le monde est chaud (2019). A « Yop City », berceau du zouglou, Fakoly se produira le 14 février sur la place Ficgayo, où se tenaient autrefois les meetings des jeunes patriotes qui soutenaient Laurent Gbagbo. Le lendemain, c’est toujours sur la place Laurent Gbagbo de Gagnoa, dans la région d’origine de l’ancien président, qu’il donnera son concert, avant de conclure dimanche 16 février par San Pedro, le grand port du Sud-Ouest ivoirien.
Le chanteur, joint par téléphone, n’y voit pas de symbole particulier :
« pour moi, je dois aller dans toutes les villes de Côte d’Ivoire donc j’ai pas pensé que c’était le fief de Gbagbo ou le fief de qui que ce soit, d’ailleurs il y a deux mois j’ai joué à Abobo puis à Bouaké… Pour moi Gagnoa c’est une ville de Côte d’Ivoire, il y a des Ivoiriens la bas, je dois aller leur parler ! Yopougon c’est une commune d’Abidjan, et je veux parler à ses habitants, San Pedro c’est la même chose et cette tournée va nous amener la semaine prochaine à Duékoué, à Daloa et à Man »
L’idée est simple: les Ivoiriens ne doivent plus se taper dessus pour régler les conflits de leur leaders. « J’aimerais que les gens comprennent qu’on peut avoir des opinions politiques différentes et se respecter. » aime rappeler le chanteur, et c’est là le sens de sa tournée « élection sans gbangban ».
Ni Ni Ni
En 2017, fidèle à son rôle de chroniqueur de l’actualité, Tiken Jah sortait le titre « 3e dose » (feat Lexxus Legal), qui fustigeait les chefs d’Etat en exercice tentés par un troisième mandat, prêts à « tripatouiller »la constitution de leur pays pour se représenter aux élections. Une situation alors commune à plusieurs pays, où, de la RDC à la Guinée Conakry en passant par la Côte d’Ivoire, des doutes subsistaient (et subsistent parfois encore) sur les intentions des présidents en exercice. La chanson présentait ces derniers comme des drogués, en quête éperdue d’une « troisième dose » de présidence.
Pour ce qui est de son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, le chanteur natif d’Odienné a été on ne peut plus clair. Pour lui, comme il le déclarait en 2018 à la BBC, le président Ouattara ne doit pas se représenter, au risque de mettre la Côte d’Ivoire en danger. Il va plus loin, en demandant à Henri Konan Bédié et à Laurent Gbagbo (toujours retenu par l’appel de son procès devant la CPI) de ne pas se présenter aux élections de 2020. C’est la stratégie du « ni ni ni », mettant à l’écart les anciens caciques qui tous ont leur part de responsabilité dans les crises que le pays a traversées ces vingt dernières années.
En attendant, Fakoly fera le tour du pays pour sensibiliser ses compatriotes à l’importance d’être unis, même quand leurs leaders politiques ne le sont pas. Il conclut « La Côte d’Ivoire c’est notre bien commun, c’est notre héritage commun, il ne doit plus être touché. C’est le sens de la tournée, c’est anticiper pour qu’il n’y ait pas de violences, tout en espérant, et je le dis modestement, qu’on va m’écouter« .