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Praktika, pèlerinage électronique en Afrique de l’Ouest
Avec Assaba Dramé sur le toit de la maison de Praktika à Bamako, quartier Hippodrome. © Morgane Le Cam

Praktika, pèlerinage électronique en Afrique de l’Ouest

Le petit bijou électronique Benkadi nous guide sur les traces du producteur français Praktika, qui s’est téléporté en Afrique de l’Ouest pendant cinq ans, le temps d’y absorber assez de tranches de vie pour accoucher de ce premier album. Une magnifique invitation au voyage.

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Il y a quelques années, l’Afrique ressemblait à un gros point d’interrogation pour Jérôme Fouqueray, encore vierge de connaissances à l’époque : « avant mon premier voyage, à part des artistes comme Fela Kuti, je n’y connaissais rien à la musique africaine ni aux instruments traditionnels », reconnaît-il. Paradoxalement, le continent a fait irruption dans sa vie par l’intermédiaire du Britannique James Holden, qui lui mit la puce à l’oreille. « C’est un artiste électronique que je suivais depuis ses débuts », nous dit-il, « il a tout arrêté en 2013 pour se consacrer à la recherche musicale, puis il a rencontré des Gnaouas au Maroc pour une résidence. C’est en écoutant la restitution que j’ai compris qu’il y avait sans doute quelque chose à faire en Afrique. » Praktika emballe ses machines dans son baluchon et s’envole alors pour deux mois au Burkina Faso, où il aide à organiser le festival Africa Bass Culture en 2016. De retour en France, l’envie de fouler plus fermement le sol africain devient une évidence, car plutôt que de chercher l’inspiration dans les livres ou les vieux disques, le novice est plutôt du genre à apprendre sur le tas. Il y retourne, cette fois pour une durée indéterminée, pour papillonner entre le Mali, le Bénin, le Tchad ou la Côte d’Ivoire. Cinq ans plus tard, ce sont des festivals, des concerts improvisés et surtout des rencontres qui ont imprégné cet artiste qui, transformé des pieds à la tête, dévoile aujourd’hui les pages de ce véritable carnet de voyage électronique qu’est Benkadi, un premier album chaleureux qui flaire bon la rue et la terre chaude.

Des scènes de vie…

L’album démarre en immersion totale dans le quotidien malien, au milieu d’une cour fermée de Bamako. Sur « Terre de Sienne », on entend les femmes, les enfants, le bruit des casseroles et du linge qu’on frotte, une manière pour Praktika de raconter « cinq ans de vie en Afrique sans forcément mettre des paroles ». Alors que le projet original devait ressembler à 14 titres enregistrés sur 14 jours dans 14 pays d’Afrique, Jérôme a répondu au confinement en se lançant dans ce disque intimiste dont la tracklist à elle seule sonne déjà comme un voyage en sac à dos. On se pose à Bobo-Dioulasso pour boire une bière (le fameux « Tchapalo »), puis on entend les ferronniers du marché de Bamako frapper le métal, avant d’attraper un bus qui nous mènera à Ségou. « On s’était arrêtés à Fana, et à chaque arrêt, il y a des femmes qui vendent des arachides et d’autres choses à manger et à boire », explique Praktika. « Elles parlent toutes en même temps, c’est une ambiance qu’on retrouve dans tous les voyages en bus. Ces morceaux, c’est comme si tu regardais le paysage à la fenêtre pendant un ou deux jours. »

Praktika aime aussi mélanger ses souvenirs pour leur donner un nouveau sens. C’est le cas sur « La Porte du non retour », pièce technoïde dans laquelle résonnent des voix de paysans. « Au Burkina, des amis m’ont emmené dans les champs pour me montrer comment les paysans récoltaient le riz », se souvient l’expatrié. « Ils chantent dans les champs pour se donner de l’énergie. J’en ai utilisé une partie que j’ai mélangée à des bruits de déflagrations de fusil, puis à des sonorités gnaouas, et le morceau parle de cette porte commémorative de l’esclavage, au Bénin. » Praktika justifie cette envie d’enregistrer sur le terrain par une demi-plaisanterie : « tout ça, c’est à cause des chauves-souris ! J’en ai enregistré il y a cinq ans à Banfora au Burkina. Je trouvais que ce son couvrait tout le spectre des aigus, c’est devenu un instrument que j’utilise dans mes morceaux, à la place des hi-hats des boîtes à rythmes qu’on connaît. »

Praktika – Fôli Folle (feat. Ko Saba)
…Un synthétiseur emblématique…

Avant son pèlerinage, Praktika était avant tout DJ. Le déclic lui est venu de cette culture du live et de l’improvisation qui règne en Afrique : « je me souviens d’un moment où deux balafonistes ont commencé à jouer devant moi. Je ne savais même pas ce qu’était un balafon à l’époque. L’un faisait “le maître” et l’autre “l’esclave”, puis ils échangeaient les rôles. Ils ont joué pendant une demi-heure et m’ont amené dans une espèce d’état de transe, le temps s’est arrêté. J’ai pris une claque, c’est à ce moment que j’ai ressenti ce besoin de revenir aux choses essentielles. » C’est ce même balafon qui vibre sur le premier single « Fôli Folle », en plus du ngoni et du tamani joués par le groupe Ko Saba. Si l’identité instrumentale de l’Afrique de l’Ouest est bien là, Praktika souhaitait vivement avoir sa propre carte de visite en trouvant « un son spécial, différent de celui des musiciens ». C’est alors qu’il étudia le synthétiseur Buchla des années 60, cousin ouest-américain du Moog et du Korg. « Il est proche des sons organiques du ngoni par exemple, il est possible de le régler pour qu’il se marie parfaitement avec les cordes ». Son jouet donne ainsi la réplique au ngoni de Simon Winsé sur le morceau « Rencontre », qui illustre parfaitement le rendez-vous nord/sud et ce dialogue permanent entre le Buchla et les instruments d’Afrique.

Si le label Blanc Manioc est essentiellement né pour accueillir des artistes africains, Praktika y a néanmoins trouvé sa place depuis le début, grâce à ce métissage intelligent qu’il a déjà montré sous forme d’EPs plus dancefloors, et qui sonne aujourd’hui plus authentique que jamais. Le patron du label Dom Peter approuve : « il n’y a pas de fusion ou de collage un peu douteux, on a ici une musique qui s’est faite de la manière la plus simple possible, à travers le temps, les rencontres, les répétitions, les concerts improvisés ou bossés. Tout ça se ressent sur un disque sincère, une musique lucide et directe, un peu comme un bon vin. »

© Marcus Le Blanc

D’après son géniteur, ce qui a façonné Benkadi est avant tout « la rencontre avec les musiciens, les relations humaines et cette vie qui est complètement différente de la nôtre. » Parmi ses collaborateurs, on retrouve à trois reprises le multi-instrumentiste burkinabé Simon Winsé, avec qui il a été sélectionné pour les Inouïs du Printemps de Bourges autour d’un live qui ne « va pas forcément retracer l’album » et qui ressemblera plutôt à de « l’improvisation contrôlée ». Praktika est partisan des sessions « one shot » pour en tirer l’essence et le côté brut, à l’image du morceau « Kounima » où Simon improvise de saisissantes envolées de flûte peule. Néanmoins, difficile de satisfaire toutes ses envies dans une période où les interdictions de se déplacer ont parfois freiné ses ardeurs : « j’ai rencontré Pulo NDJ au Tchad, on a essayé de bosser ensemble, mais c’est surtout à cause du manque de matériel et de la distance que je n’ai pas pu faire ce que je voulais. »

Pour collaborer, Praktika n’a donc pas eu d’autre choix que de s’adapter à ce manque de libertés, engageant par exemple un ping-pong créatif à distance avec Fatim Kouyaté — chanteuse des Midnight Ravers — qui a posé sa voix dans le studio de Gaspa, autre artiste du label. Process différent pour son ami Ivoirien Tusty N’Zoré qui a laissé parler son jeu de batterie, maracas et udu sur une mélodie synthétique fraîchement envoyée par Jérôme. En fin d’album, on retrouve également Kouroudwé, premier groupe traditionnel africain qu’il a rencontré sur place et auprès duquel il a appris le terme « Benkadi » qui fait littéralement référence à la « bonne entente » qui règne entre les deux musiques. Sur « Farafina Love », Praktika s’est amusé à jouer par-dessus une répétition live qu’il a enregistrée dans leur cour, avant leur résidence du vendredi dans le lieu du même nom.

En marge de la genèse de ce disque manifestement humain, l’artiste se découvre une nouvelle vocation et profite de ses voyages pour transmettre son savoir à des jeunes qui n’ont pas accès à des cours de MAO (musique assistée par ordinateur), une envie qui lui est venue naturellement se souvient-il : « quand je suis arrivé avec mes boîtes à rythmes, laptops et contrôleurs, les musiciens traditionnels me demandaient ce que je faisais avec ça. J’ai ramené des logiciels craqués, et ça a commencé en Côte d’Ivoire, au Bushman, avec le collectif Africa DJ. En novembre, on est reparti avec Blanc Manioc pour travailler à l’institut français d’Abidjan, qui a acheté du matériel. » De rencontres en découvertes et de surprises en révélations, Praktika a définitivement réussi à retranscrire sur disque les douces sensations empreintes de folie dont il a été l’heureuse victime sur le continent.

L’album Benkadi est disponible via Blanc Manioc depuis le 2 avril.

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