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The Pan African Music Magazine
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Felarmonie :  Le roi Fela s’expose à Paris
détail d'une des photos de Bruno Barbey présentées à l'exposition "Rébellion afrobeat" à la Philharmonie de Paris

Felarmonie : Le roi Fela s’expose à Paris

La Philharmonie de Paris consacre la première grande exposition européenne retraçant la vie et l’engagement du « Black President », inventeur de l’Afrobeat. PAM a visité l’expo « Rébellion Afrobeat » en compagnie de ceux qui l’ont faite, et de ceux que Fela a faits : ses deux aînés Yeni et Femi.

Vêtu d’une tunique bleu ciel, Yeni Kuti explose de rire. Son frère cadet, Femi, vient de confirmer : sur une grande photo prise à Kalakuta, demeure et territoire sur lequel régnait Fela, on la voit, 40 ans plus tôt. Elle n’en revient pas ! Sur le même cliché couleur, à deux pas d’elle il y a « ID », ancien comparse de Fela et responsable des Young African Pioneers, le mouvement de jeunesse initié par Fela. C’est à ce Parisien d’adoption, qui arpente lui aussi les couloirs de la Philharmonie, que l’on doit l’une des premières biographies (après celle de Carlos Moore) de l’inventeur de l’afrobeat , et nombre des photos issues de sa collection personnelle ont rejoint les murs de cette exposition réussie.

Yeni Kuti devant la photo où elle a fini par se reconnaître (elle est au centre du canapé). ID est assis tout à gauche.
Itinéraire d’un enfant (pas encore) fâché

Elle raconte la trajectoire de Fela, jeune homme de bonne famille qui, épris de musique, acquiert au fil des ans une conscience politique : auprès d’une mère en lutte, puis d’une muse américaine et militante, et finit par devenir « l’homme qui porte la mort dans sa poche » en réussissant une synthèse originale où se mêlent musiques du terroir et de l’Atlantique noir, critique lucide et pensée panafricaniste. Fela, pour qui la musique était tout sauf un divertissement, n’a pas seulement associé musique et politique, il les a rendues indissociables dans sa démarche. « La musique est l’arme du futur » résumait-il. Cette dimension, l’exposition ne l’oublie pas, restituant à grands traits le contexte historique indispensable pour comprendre la trajectoire, et les chansons de Fela.

Le parcours débute d’ailleurs par des vues de Lagos dans les années 70 et 80 projetées sur les murs, histoire de comprendre le visage surpeuplé et chaotique de cette ville majuscule qui, à sa manière, aura pétri la créativité de Fela, et dans laquelle il ouvrit ses différents clubs. Une carte de la mégapole détaille d’ailleurs l’implantation des lieux stratégiques liés à l’histoire du musicien : des clubs de highlife où officiaient les stars Bobby Benson ou Victor Uwaifo, mais aussi Alagbon Close où fut enfermé Fela, le premier Shrine du côté de Mushin, le second et le New Shrine d’aujourd’hui dans le quartier d’Ikeja, loin de Lagos Island et de ses riches demeures. C’est là que figurent, sur la carte, Dodan Barracks – les quartiers du général Obasanjo où Fela ira déposer une réplique du cercueil de sa mère, morte quelque temps après le saccage de la République de Kalakuta par la police et des « soldats inconnus » (Unknown Soldier, l’expression officielle donnera le titre d’un album de Fela). Dans cette même salle, les photos de Fela en costume parti étudier la trompette à Londres où il s’éprit de jazz, mais aussi les disques vinyles de highlife ghanéen et nigérian en vogue à cette époque. C’est le temps où Fela fonde les Koola Lobitos, son groupe de « higlife jazz » et rebaptise le club Kakadu « Afro-Spot ».  Ensuite, il part aux Etats-Unis (une partie peu documentée dans l’expo) et rencontre Sandra Izsadore qui lui ouvre les yeux sur la situation des Noirs – en Amérique comme en Afrique. Cette étape décisive transforme Fela, en fait un rebelle qui va forger son propre son, sa propre arme : elle s’apelle « afrobeat »

Sandra Izsadore, photo exposée à la Philharmonie, issue de la collection personnelle de Mabinuori Kayode Idowu / ID)

C’est là, à partir des années 1970, que l’expo devient la plus riche et intéressante, car les images, y compris les vidéos (quelques extraits bien choisis de lives et d’interviews) se font plus abondantes.
« Ça fait remonter des tas de souvenirs, dit Femi Kuti qui arpente les allées. C’est vraiment bien qu’il y ait cette expo, elle va permettre à plus de gens de comprendre qui était Fela, une nouvelle génération va découvrir cette histoire, et ça c’est important » assure le premier des fils Kuti, qui aujourd’hui gère le New Africa Shrine avec sa sœur aînée Yeni. « Je suis émue, dit-elle, car l’équipe a bossé dur, je suis très fière du boulot qu’ils ont abattu. Les Nigérians devraient imiter cela, on devrait pouvoir célébrer Fela au Nigéria même, ou bien que cette expo puisse voyager chez nous… il suffirait qu’on ait la bonne personne au gouvernement. » On croirait entendre le Black President, qui soutenait que, pour voir l’Afrique changer, « il suffirait d’un seul gouvernement honnête, déterminé, qui ne soit ni capitaliste ni socialiste mais… africaniste ». Et dans cet objectif, Fela de lancer son MOP : littéralement, « la serpillère » ou le Movement of the People. L’artiste avait déjà initié en 1976 un mouvement de jeunesse, baptisé YAP – pour Young African Pioneers, inspiré de celui que Kwame Nkrumah avait fondé au Ghana. 

Mabinuori Kayode Idowu devant un numéro de YAP News dont il était le rédacteur en chef. Photo PAM

Mabinuori Kayode Idowu aka « ID » co-commissaire de l’expo parisienne, se tient justement devant une des vitrines où trône un numéro du journal YAP News dont il était l’une des têtes pensantes. « Moi j’allais lire des livres dans la bibliothèque de Fela, et à l’époque je travaillais dans une boîte qui vendait des cosmétiques donc je devais porter costume et une cravate et quand Fela a sorti l’album Gentleman, où il habillait son singe avec un costard, alors j’ai décidé d’arrêter de porter le costume, ce qui m’a mis en délicatesse avec les patrons qui m’ont viré. À ce moment-là, on a commencé à réfléchir sérieusement au YAP, et Fela a déboursé 40 000 dollars pour une machine à imprimer. On voulait vraiment, avec ce journal gratuit, réveiller les consciences des jeunes, on le distribuait à 80.000 exemplaires au départ, et on voulait en imprimer 500 000 mais avec les persécutions etc… on n’a pas pu aller aussi loin. Après que Kalakuta a été détruit (1977), le YAP a été interdit et on a décidé de fonder le MOP ». À partir de là, les ennuis de Fela avec les autorités militaires ne feront que s’accentuer, sans jamais le décourager ni adoucir sa cinglante ironie (l’âne qui vivait dans la cour de Kalakuta s’appelait Yakubu, le même prénom que le général Yakubu Gowon, au pouvoir dans ces années-là).

Le clou du spectacle, si l’on peut dire, c’est certainement la quinzaine de costumes de scène que les commissaires de l’expo ont pu choisir parmi les tenues de scène conservées par la famille. Et en bonus, un lot des dix plus beaux slips de Fela est exposé. Rares, en effet, sont les personnages historiques qui ont vu leur slip mis en vitrine comme des biens précieux, mais c’était bien là la tenue préférée du Black President, qui aimait recevoir ainsi à Kalakuta. Ce fameux slip aura en son temps fait couler beaucoup de salive et d’encre.

Certains rois avaient un sceptre, Fela avait un slip. Photo PAM.
La France des Kuti

Le 19 octobre en fin de journée, c’est le président français- en costume quant à lui – qui a rendu visite à l’exposition « Rébellion afrobeat », quatre ans après sa venue au New Africa Shrine à Lagos. À ce propos, Femi Kuti répondait encore aux critiques : « Quand Macron a voulu venir, les autorités nigérianes ont voulu l’en dissuader, mais il a insisté. Il y était venu quand il était étudiant, et il y tenait. Des gens ont protesté, en criant à la récupération, mais moi je l’ai vu autrement : si le président de la France vient au Shrine, le gouvernement nigérian doit la boucler et nous laisser en paix, car le gouvernement respecte la France. Oui, le fait qu’il vienne nous a renforcés : on craint moins un raid de la police parce que le gouvernement aura peur des répercussions, car les journalistes français vont demander pourquoi on attaque encore le Shrine. Je crois que Biden devrait venir aussi.»

Femi Kuti lors de sa visite de l’expo le 19 octobre. Photo PAM.

Femi, décoré hier soir par la ministre de la culture Rima Abdul Malak, insistait lui aussi sur l’importance qu’avait eu la France dans l’émergence d’artistes africains, son père et lui compris, sur la scène internationale. D’ailleurs, le premier concert de Fela en France (1981), au chapiteau de Pantin, se tenait non loin de l’actuelle Philharmonie. À l’époque, Sodi Marciszwer s’exerçait déjà sans doute au saxophone en imitant les solos de Fela. Quelques années plus tard, il allait en devenir l’ingénieur du son, travaillant sur les 6 derniers albums du roi de l’afrobeat. Le producteur, qui est toujours l’ingé son et le manager de Femi, a aussi été conseiller musical de l’expo qu’il était heureux d’inaugurer, juste avant son ouverture au public. « Je trouve que c’est très émouvant, confiait-il. C’est très important que cette expo – qui va certainement voyager – débute ici à Paris car c’est dans la continuité de la vieille histoire entre Fela et la France. L’histoire (internationale) de Fela aurait dû se passer en Angleterre, mais cette histoire s’est faite en France, qui a été une terre d’accueil pour le jazz et les musiques alternatives, puis pour la world music ». C’était l’époque où « Paris, c’est l’Afrique » pour reprendre le titre de la série documentaire de Philippe Conrath diffusée sur PAM.

On regrettera sans doute que l’espace dédié à cette exposition ne soit pas plus vaste (mais le catalogue y remédie) tant il y a de choses à dire sur Fela, et sur l’actualité de ses combats : sur les multinationales, les gouvernements prédateurs, les régimes militaires, les dégats causés par les religions importées… Alors que le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, est en proie à de terribles inondations dont les conséquences tiennent autant aux intempéries qu’à l’incurie des gouvernants, la saine colère et les sarcasmes de Fela manquent cruellement.

Rébellion Afrobeat : du 20 octobre au 11 juin 2023 à la Philharmonie de Paris, une exposition en partenariat avec PAM.


Chaque lundi, à partir du 24/10, PAM publie sur son site sa Felagraphie, un grand récit biographique signé par François Bensignor. Ne la manquez pas.

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