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The Pan African Music Magazine
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Jean‑Baptiste Bonga : le vodou pour compas

Rencontre avec le maître de percussions qui publiait dernièrement Boula, un album solo librement inspiré des cérémonies vodou : magistral et mystique !

« Revenir jusqu’au début de ma vie ouah ! Ça peut prendre dix ans ! » C’est par un grand éclat de rire que Gaston Jean-Baptiste Bonga entame une heure de conversation dans un anglais du genre broken, histoire de refaire le destin de cet homme né voici 64 ans à Croix-des-Missions, un bourg de l’Ouest haïtien connu comme un centre historique de la culture locale. Son chemin est tout tracé : ses parents le baignent très tôt dans la spiritualité du pays. « Avant même que je naisse, j’étais connecté aux esprits du vodou. Enfant, c’était quelque chose de très naturel, qui faisait partie de notre quotidien. C’était notre manière de vivre. » Sa mère fermière et vendeuse de fruits et légumes est une fervente pratiquante, tandis que son père, « un sacré danseur et un chanteur très spirituel », est hougan, le maître de cérémonie par lequel communiquent les esprits. Adulte, Jean-Baptiste Bonga héritera de ce titre qui fera de lui un potomitan de cette culture, dont la bande-son était alors réservée aux seuls initiés. « Cela se jouait chez les particuliers, mon père n’est jamais monté sur scène ! »

Vodou child

Le gamin est haut comme trois mangues quand il commence à se faire remarquer. En ce début des années 1960, l’heure est au kompa, et c’est le saxophoniste Nemours Jean-Baptiste qui donne la cadence. « Il était une référence pour nous tous ! Comme les frères Dejean, qui jouaient une forme de compas jazz très populaire. » Et voilà comment à cinq, six ans, il va tâter direct du kompa. « Mais pour nous qui venions du sérail traditionnel, c’était la musique commerciale. Notre musique était beaucoup plus communautaire, représentant l’identité véritable du pays. Nos racines sont dans cette musique, pas dans le kompa qui n’en est qu’une branche. »  Tout comme la musique des troubadours, qu’il a aussi pratiquée plus d’une fois.

Très vite, suivant ses parents qui déménagent à Ti Guinée, il devient un adepte des rituels vodou. « Depuis que j’ai sept ans, je sens que je dois véhiculer un message en musique. Si tu ne connais pas ta culture, tu es perdu dans ce monde. » Le vodou sera son compas. « Quand j’étais gamin, j’étais très impressionné et j’avais peur d’aller dans les cérémonies avec tout ce que les gens pouvaient dire, ces clichés qui prétendent que c’est une religion sombre. Toutes ces légendes m’effrayaient. Et puis j’ai grandi, et j’ai compris la qualité de cette culture : le vodou n’est pas quelque chose de négatif, ce sont certains qui l’utilisent à de mauvaises fins. » Lui va désormais tout faire pour démontrer que c’est tout l’inverse des clichés qui prétendent que cette spiritualité cultivée en secret est associée aux mauvais côtés de la force. « Le vodou, c’est une manière de vivre, de voir le monde, cela signifie amour et unité, joie et culture. C’est quelque chose de très ancré dans notre terre, en lien avec la nature, où l’on sait la valeur des arbres, des animaux. Cela n’a rien à avoir avec ces histoires de sorcellerie qu’on a tendance à dire. Ça ce n’est pas le vodou, juste une version détournée. Le vodou, c’est aussi une manière de guérir l’âme et le corps. Il suffit de voir la situation actuelle pour mesurer combien on en a besoin ! »

En la matière, les clichés ont la peau rude, et le sage haïtien qui vit désormais en Pennsylvanie ne manque jamais de rétablir certaines vérités. Voilà pourquoi il loue damballa, l’esprit vodou de la fécondité, de la bonté, et de la connaissance symbolisé par la couleuvre ou le boa. Un serpent figure ainsi au dos de son dernier disque. « Les serpents ont beaucoup de vertus, et pourtant dans la culture occidentale ils sont mal vus, mais quand je suis allé au Vietnam, j’ai vu qu’ils étaient utilisés dans les hôpitaux ! » De même, plutôt que de rester alité, il préfère danser pour soigner le corps. « Cela fait partie du processus de guérison. C’est une forme sagesse qui a des effets sur la tête, tout comme le son a aussi des valeurs thérapeutiques. »

Vodou global

Fort de ce savoir ancestral, cet autre Bonga va s’illustrer sur scène ou sur disque auprès de certaines stars de la musique. Il sera ainsi aux côtés des Rolling Stones lors de la première new-yorkaise du Voodoo Lounge Tour en 1994, pour citer sans doute les plus fameux qui ont bénéficié de sa science rythmique. Mais Jean-Baptiste Bonga accompagnera aussi Grace Jones pour certains périples à travers la planète, fera un disque avec l’extraodinaire guitariste d’origine haïtienne Jean-Paul Bourelly, « un super musicien pour un super moment de musique », et même Wyclef Jean, autre éminent membre de cette vaste diaspora. « Ce qu’ils font a pour origines notre musique. Le vodou est à la racine du jazz comme du blues. C’est pour ça qu’ils font appel aux tambours, mais aussi pour rétablir ce lien avec le continent africain que nous avons entretenu. » Lui-même a notamment dialogué avec Salif Keita.

Dans ce parcours musical qu’est sa vie, deux groupes auront compté plus que tout. « Foula a été mon premier groupe matrice, avec lequel j’ai pu tourner en Haïti et dans certaines îles alentours, puis me faire connaître à l’étranger. C’était vraiment un groupe exceptionnel, une expérience qui me manque : nous jouions nos rythmes traditionnels sur scène, et par là nous initions un nouveau public. Encore aujourd’hui, ce que je fais n’est pas si loin de la musique de Foula. » L’autre combo auquel il participa activement dans les années 1980 sera Boukman Eksperyans, véritable phare de la culture haïtienne au cours des années 1990. « J’ai intégré ce groupe quand Foula a fait une pause. A l’époque, je voulais pouvoir tout faire, ne pas restreindre mon envie de jouer. Avec Boukman j’ai pu voyager à travers le monde, croiser d’autres cultures. »

Avec Foula où il officie des doigts (sur le tambour) et de la voix, s’élançant dès que l’heur l’exige à deux pas de danse aussi, il va fouler le sol des Etats-Unis. « La première fois, c’était au Jazz Fest en Louisiane, en 1987. Et puis j’y suis revenu au plusieurs fois, toujours pour des concerts. En 1991, je m’y suis installé pour près d’un an parce que mon groupe traversait une phase un peu difficile. Haïti changeait et pas dans le bon sens. Quand je suis revenu au pays, la situation n’était pas bonne, et depuis je fais la navette entre ces deux pays. J’ai un pied en Haïti, l’autre aux Etats-Unis. J’ai ma famille ici, deux enfants, et j’en ai une autre partie là-bas. » Installé sur la côte Est, du côté de Newark, loin de son pays où « ta créativité doit composer avec la négativité de certains aux manettes », il va pouvoir enregistrer deux disques sous son nom. Kanzo, Vodou beats en 2000, un pas vers l’esprit jazz avec pléthore d’invités dont le trompettiste Frank London, le bassiste Fernando Saunders et le saxophoniste haïtien Thurgot Théoda. Et puis sept ans plus tard, Ayiti Afrika, en direction plutôt des racines africaines avec notamment le balafoniste Famoro Diabaté et le prophète de la house en version haïtienne Jephté Guillaume en qualité de choriste. « Ces deux albums étaient connectés à la musique racine, ils représentaient une autre facette de mon identité. » Sur ces recueils dont il signa l’intégralité du répertoire, le hougan jouait des percussions, de la kalimba, chantait bien entendu. 

Homme studio

En 2021, c’est seul qu’on le retrouve pour son nouvel album, Boula. « J’aime jouer avec les autres, mais j’avais besoin d’en passer par ce défi seul : me retrouver face à ma musique, mes responsabilités. » Le titre de ce recueil fait référence au plus petit des trois tambours rituels ; « celui qui est chargé d’appeler les gens, d’introduire la musique. Le boula, c’est le son de l’initiation, avec lui je joue tellement de choses, tant de variations. » Même la peinture qui fait office de couverture est de sa main. Chez lui, il a d’ailleurs créé son propre dispositif scénique, à partir de ses peintures. « L’aspect visuel de toute performance est essentiel. Quand je peins, c’est comme lorsque je chante. Je crois que ce sont deux expressions qui disent la même chose. En tout cas, mon message est le même. Rester intègre, fidèle à soi-même, essaimer des paroles positives, rendre les gens heureux contrairement à ce que font trop de médias… »

Seul aux manettes, assurant les chœurs répondant comme la voix qui donne le la, il parvient en ce dédale de multiples pistes de 45 minutes à retranscrire la luxuriance rythmique et métaphorique du culte vodou, puisant dans les méandres de sa vie personnelle comme dans la culture traditionnelle. « Le répertoire s’appuie sur le déroulé d’une cérémonie, avec mon propre feeling. La musique parle d’où nous venons, où nous allons, elle porte nos savoirs, notre pensée. Le tambour dit beaucoup de choses. Il faut savoir l’écouter. Chaque rythme a sa capacité à soigner. Il faut savoir les utiliser à bon escient, c’était aussi l’un des challenges de ce disque, retranscrire cette diversité tout seul. » Qui plus est, endossant tous les rôles, il parvient à surmonter la difficulté de capter en studio l’énergie de rituels qui se jouent en direct, live. « C’était très excitant de réaliser ce défi. La session était forcément très intense, car ce n’est pas facile de parvenir à capter ce son connecté à la vie pour le faire entrer dans un petit bout de plastique. Ce n’est pas juste un enregistrement, c’est quelque chose de plus puissant, et pour cela, il faut savoir utiliser le son, l’ambiance, du studio. » Tambours, chacha, cloches, voix… toutes les prises s’ajoutent et s’entremêlent naturellement, pour accoucher d’une bande-son qu’on croirait 100% organique.

Photo Everheart Museum / DR

Si la guérison est le maître mot qui rythme la conversation, l’autre est la transmission. « Je n’ai voulu non plus rendre compte de la complexité d’une cérémonie, ni a contrario trop la simplifier. Je voulais qu’on puisse toucher du monde, au-delà de nos seuls initiés. Je suis un hougan, ce qui signifie la bonté. J’ai la charge d’aller vers les gens, de leur révéler leur beauté, de prendre soin d’eux. J’ai beaucoup appris auprès de mon père : il faut savoir regarder les autres, les écouter, pour leur parler. » Voici onze ans, alors qu’il était à Banlieues Bleues aux côtés du saxophoniste guadeloupéen Jacques Schwarz-Bart et du chanteur haïtien Erol Josué pour invoquer la puissance de la musique racine, celui qui a toujours entendu son rôle comme une médiation avait ainsi participé aux actions musicales pour de jeunes scolaires. « Une expérience forte ! La jeunesse doit bénéficier de nos savoirs ancestraux. » D’ailleurs, au moment de se quitter, il insiste pour délivrer un dernier mot. « Mon rêve pour cet album, si je dois le jouer sur scène, c’est de venir avec mes enfants qui vivent en Haïti. Parce qu’ils jouent très bien, et parce que j’insiste, toute cette histoire est une affaire de transmission.»

Boula de Jean-Baptiste Bonga, disponible sur Buda Musique

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