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The Pan African Music Magazine
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Graphisme par @claude.joyeux

Les 50 meilleurs albums de 2021

Revivez l’année avec notre sélection panafricaine, passant du Caire à Pretoria et de Lagos à Nairobi, en compagnie d’artistes tels que Ayra Starr, Mdou Moctar, Focalistic, Nahawa Doumbia, et Kasai Allstars.

Une année de plus s’est écoulée et encore une fois, nous avons découvert plus de musique de qualité que nous ne pourrons jamais en énumérer ici. Notre sélection est panafricaine, au sens où elle embrasse toute l’Afrique (ou presque), et rassemble les meilleurs musiques du Continent (que nous n’avons pas voulu classer par ordre de préférence). Chacune d’entre elle offre un échantillon du talent et de la créativité qui, du Caire à de Pretoria en passant par Lagos et Nairobi, a fait la richesse musicale de 2021. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons préféré valoriser la diversité plutôt que la popularité et les incontournables grands succès. De quoi, pour nous, creuser un peu plus profondément dans les nombreuses scènes affiliées à l’Afrique. Cependant, cette sélection sera complété par d’autres plus spécifiques: top nigérian, électronique, amapiano et rap ; n’hésitez donc pas à explorer vos genres préférés! Notre équipe et notre réseau de contributeurs ont fait de leur mieux pour donner le qui, le quoi, le comment et le pourquoi de chaque album, en respectant le goût personnel de chacun et sa vision de la musique qui aura secoué 2021. Nous aurons évidemment aimé pouvoir inclure tous les singles qui nous ont fait danser et tous les albums qui ont titillé nos oreilles, mais pour l’instant, veuillez accepter notre humble sélection des 50 albums qui racontent 2021.

Retrouvez la sélection en playlist sur Spotify et Deezer.

50. At Pioneer Works
Les Filles de Illighadad

Le quatrième album des Filles de Illighadad, At Pioneer Works, a été enregistré en live au Pioneer Works Studio de Brooklyn lors de la première tournée nord-américaine du groupe. L’ambiance hypnotique et lancinante du projet retranscrit le sentiment d’urgence d’un spectacle en direct : on entend les applaudissements, les claps rythmés et les acclamations entre les morceaux, un heureux rappel des racines provinciales de Gahli (guitare), Akirwini, Ahmadelher et le frère de Gahli, Abdoulaye Madassane (guitare rythmique). De fait, Illighadad est un petit village nigérien du désert du Sahara, dans lequel le groupe s’est formé ; pour rappel, Gahli est connue comme étant l’une des premières femmes touaregs à jouer de la guitare, préférant la six-cordes au tambour tende traditionnellement féminin. Cette même guitare est au cœur du blues touareg (parfois appelé aussi « rock saharien »), et Gahli joue son instrument avec précision et dextérité, ce qui transparaît nettement sur ce live. L’album alterne entre une musique enivrante et rêveuse, comme sur le morceau d’ouverture « Surbajo », ou excitante et énergique comme sur « Chakalan », mais mon ambiance préférée est certainement la joie qui se dégage du morceau final « Irriganan ». At Pioneer Works n’a peut-être pas la touche croustillante et polie de l’album Eghass Malan, acclamé par la critique, mais ce qui lui manque est compensé par son intimité et son énergie, rapprochant les auditeurs des réalités de l’expérience touareg. —Christian Askin

49. Bon Vent
Ktyb, 4lfa et Mahdi Machfar

Véritable All-star band née d’une scène bouillonnante et particulièrement unie, Bon Vent réunit – selon nous – les deux meilleurs rappeurs de Tunisie, sur un L.P. huit titres sorti cette année. D’un côté, Saif 4lfa Amri, qui, en une poignée de singles, un album et deux EPs, s’est installé comme le lyriciste majeur du pays. De l’autre, Ktyb, kicker tout-terrain, capable de rapper sur des samples d’Aphex Twin comme des instrumentales électroniques hyper acides. Les deux garçons sont réunis en studios par le beatmaker Mahdi Machfar, qui signe ici toutes les prods de Bon Vent. Et, c’est ici un vent d’ouest inspirant qui souffle sur le projet tunisien : dans la plus pure tradition boom bap new-yorkaise, les deux MC’s s’adonnent en huit titres à un agile exercice de kickage en arabe, régulièrement flanqué d’anglais sur les refrains. Le flow est ultra-souple, les productions chaudes, finement taillées dans une matière première nu jazz et soul : Tunis dessine ici un groove qu’on ne lui avait pas connu jusqu’ici. Un side-project lumineux, pour fans des sorties Griselda, du regretté MF Doom ou du early Ghosface Killah. —Théophile Pillault

48. Mansa
MHD

L’épisode 11 de la série « Afro Trap » avait marqué le grand retour de MHD après deux ans d’absence. Dans le clip, le rappeur parisien semblait tout-puissant, gigantesque, se faufilant entre les immeubles et en profitait pour mettre les points sur les i : « J’suis jamais parti, sale fou, c’est l’retour du petit prince qui baise tout. J’encaisse tout et rends coup pour coup, sur la télé de ma cellule, j’vois ma tête partout. » Avant d’ajouter : « L’Afro trap a son padre, j’ai vu des mini-moi mais ça s’voit qu’c’est du calqué. » De fait, difficile de nier l’influence qu’a eu le jeune artiste sur toute la génération de rappeurs qui a suivi ses débuts en 2015, et ses plans séquences iconiques avec gestuelle et humour à volonté. Les sonorités « afros » (terme particulièrement généraliste qui renvoie le plus souvent à l’afrobeats du Nigéria) sont désormais omniprésentes dans le rap français, et ses deux années d’incarcération n’ont pas bâillonné MHD sur le sujet. Pour son troisième album (Mansa, « roi » en malinké), le rappeur se confie beaucoup plus, évoquant à la fois son succès, sa vie au quartier, mais aussi la prison. Toujours fidèle à sa trap si singulière, il s’entoure d’artistes qui lui ressemblent, à savoir le parisien Tiakola, mais aussi les superstars nigérianes Naira Marley et Adekunle Gold. Depuis ses premiers remixes de P-Square, la boucle est désormais bouclée. —Nils Bourdin

47. Noir Brésil
Yndi

À y regarder de plus près, tout dans la musique aérienne de Dream Koala laissait présager l’éclosion d’Yndi, telle qu’on la redécouvre aujourd’hui. Dans son premier album, qui sort pour la première fois sous son véritable prénom, la chanteuse nous transporte dans un univers empli de rythmes afro-brésiliens, de musique électronique tropicale et de guitare acoustique. Un projet patchwork, combinant les différents éléments culturels, musicaux ou visuels qui ont construit l’artiste, entre bossa nova, et électro, vit à Paris en se souvenant de Rio et de Belo Horizonte. Noir Brésil est à l’image de son pays d’origine, lui-même fondé sur un syncrétisme et un métissage connu de tous. «  Ça me fait plaisir que ça se retrouve de cette manière-là », nous avait-elle dit en interview. «  […] Ce qui ne veut pas forcément dire qu’il y a une ouverture d’esprit, car il y a aussi beaucoup d’intolérance religieuse et de racisme au Brésil. Mais en tout cas il y a des liens et des ponts qui sont faits entre les différentes cultures, et qui ont créé tout ce que l’on connaît de la musique. » —PAM

46. Tales of Utopia (Mixtape)
Onipa

Le collectif Onipa – entendez « humain » dans certaines langues du groupe akan, nous gratifiait en 2021 d’une détonnante mixtape rétro-futuriste, accouchée durant le premier confinement au Royaume Uni. Kweku of Ghana (K.O.G. pour les intimes) et son camarade Tom Excell ont donc remis le couvert pour 10 titres terriblement groovy : à commencer par le premier, « Chicken No Dey Fly », dangereux afro-beat marqué par la frappe de feu Tony Allen, capable d’intégrer, un peu comme le jazz auquel il a puisé, toutes sortes d’influences (hip-hop, dub, trip-hop). Une grande fête qui voyage sur le continent, et combine chants et rythmes traditionnels et arrangements futuristes, réunissant le bal poussière et le club. Tapes of Utopia, qui convie au festin la grande famille Onipa -M3Nsa (Fok’n Bois) ou encore Franz Von (K.O.G.), est un magnifique et joyeux laboratoire où se dessinent les musiques afro du futur, intelligemment enracinées dans le passé (écoutez donc « Future » justement, ou encore « Tami » et ses likembés saturés). Un périple qui ne redoute pas de s’aventurer jusqu’au Zimbabwe, avec un hommage réussi à Oliver « Tuku » Mtukudzi. Une mixtape expérimentale, faite pour durer. —Vladimir Cagnolari

45. Abantu/Before Humans
BLK JKS

BLK JKS livre un album rétrofuturiste : « Une anthologie audio obsidian rock complète, entièrement traduite et transcrite, relatant les anciennes technologies spirituelles et les exploits de l’Afro-bionique préhistorique et post-révolutionnaire, ainsi que les textes sacrés du Grand Livre de l’Arcane, par de jeunes Kushites d’Azanie, liés à la 5ème dimension et à la 3ème dynastie. » Ce nouveau projet vise à célébrer le dixième anniversaire de leur premier album After Robots. Grooves, cuivres et guitares servent une pluralité de genres, du jazz spirituel au kwaito, en passant par la funk post-apocalyptique. Le metal et les musiques traditionnelles sud-africaines y sont également présents. Le guitariste Mcata affirme ainsi : « Oubliez l’idée qu’on va faire aimer notre rock aux rastas. Si vous avez un concert, appelez-nous. Un événement de jazz, n’importe quoi, on devient la couleur du concert. On n’a pas de maison. » —PAM

44. AY
Ami Yerewolo

Fin 2020, Ami Yerewolo faisait trembler la scène rap malienne avec « Je Gère » véritable hit qui mettait militantisme hip-hop et énergie afro-club au diapason, accompagné de sa face B « Dowere Flai » tout aussi percutante. Découragée par le manque d’intérêt envers le sexe opposé d’une industrie musicale locale très masculine , Ami était pourtant prête à tout arrêter. C’était sans compter sur le Camerounais Blick Bassy qui la signa sur son label Othantiq AA, jouant alors le rôle de mentor pour l’aider à recharger ses batteries avec une bonne dose de confiance. En bambara ou en français, Ami Yerewolo se lâche comme jamais sur des beats électro-mandingues, dénonçant le patriarcat et sonnant le temps de la révolte avec une assurance et une éloquence étourdissantes. Issue d’une famille conservatrice, la rebelle Ami Yerewolo brave les mêmes obstacles que son idole Oumou Sangaré, autre activiste féministe dotée d’un rayonnement international qu’elle est en droit d’espérer toucher du doigt avec un album de cette envergure. —François Renoncourt

43. RETURN OF OKOMFO ANOKYE
Jay Bahd

Tout droit sorti de Kumasi et du plus profond de ses 21 ans, Jay Bahd, jeune pousse de la drill, lance son premier album qui donne le ton dès son titre, référence à Okomfo, premier prêtre de l’empire Ashanti à la fin du 17ème siècle, à qui l’on doit la vaste expansion du royaume à cette époque. Jay Bahd convoque donc cet esprit, ressuscitant le prêtre d’entre les morts au moyen de sa voix baryton posée sur des slides de basse, typiques du genre. Membre fondateur des Asakaa Boys, les drillers ghanéens qui ont pris le contrôle de Kumerica, Jay Bahd se différencie de ses pairs comme Yaw Tog par une préférence pour des mélodies plus sombres et des breaks plus durs. On se sent plus proche d’un Pop Smoke – la voix n’y est pas pour rien – que de ses collègues ghanéens. Jay Bahd n’a pas non plus peur de se lancer dans des rythmes expérimentaux : « Summer Time », basé sur un groove glitch et macabre avec Sean Lifer et City Boy en featuring, installe clairement le chaos. « Y3 Y3 Dom » est un message crypté furieux qui mène droit à Kumerica, offrant un point de vue imparable sur les nombreux rappeurs qui font bouger cette scène de Kumasi. Dans un futur très proche, attendez-vous à bien plus de drill et sans doute à des featuring internationaux de haut vol, de la part de Jay Bahd et de ses Asakaa Boys. —Christian Askin

42. Almas Conectadas
Quantic & Nidia Góngora

Almas Conectadas est le dernier album du producteur anglais Will « Quantic » Holland et de la chanteuse-compositrice colombienne Nidia Góngora, faisant suite à Curao, acclamé par la critique. Le disque explore les traditions musicales riches et mystiques de la côte Pacifique de la Colombie, apportant une touche moderne et rock à ce folklore musical chaud et tropical. Sur onze morceaux, l’écriture de Nidia évoque « la nostalgie d’un amour impossible, célèbre les célibataires éternels, pleure les disparus en mer, et raconte les histoires des habitants de Timbiqui ». Les différentes chansons mélangent le rythme cyclique des guitares de Quantic à la voix enchanteresse de Nidia, proposant des balades majestueuses agrémentées de cuivres puissants. La chanteuse est considérée comme l’une des principales artistes de musique marimba dans la région du Pacifique Sud, et comme une protectrice de la tradition orale. Sa rencontre avec Quantic remonte à 2007, époque à laquelle le producteur vivait à Cali, en Colombie. « Mon voisin avait l’habitude d’écouter en boucle un morceau du CD de Grupo Canalon », se souvient-il. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point la voix de Nidia est spéciale. » —Nils Bourdin

41. MAOULAND
Kayawoto

Alors que le hip-hop a connu son apogée au Burkina Faso dans les années 2000 avec de grands noms comme Smockey ou Basic soul, à 26 ans, le jeune rappeur burkinabé Kayawoto compte bien lui donner un second souffle, noyé par le coupé décalé ivoirien et l’afrobeats nigérian. Maouland, son premier album sorti cette année, imagine une communauté, un royaume, un empire dont l’artiste serait le leader. « Pour moi chaque artiste doit avoir son empire qui est son identité », nous avait confirmé le rappeur en interview. « Il doit trouver un nom pour ses fans. Moi j’ai choisi Maouland, un pays que j’ai inventé pour mes fans que j’appelle les Maoulandais. Maou veut dire un homme qui se bat, un guerrier, c’est ça l’esprit de la Maouland ». « Les habitants de la Maouland sont ceux qui adhèrent totalement à sa manière de rapper et aux messages qu’il véhicule », avait renchéri son producteur San Rémy Traoré. La force du jeune rappeur réside dans sa capacité à rapper aisément en mooré sur des thèmes concernant la jeunesse, en jouant autant avec les codes américains (luxe, opulence et bling-bling sont bien présents dans le clip de « Toongo ») qu’avec les références locales. L’ancienne génération est en effet présente et respectée sur l’album, comme le prouve le morceau « Ayo » en featuring avec Smockey. Le rap du Faso n’a pas dit son dernier mot ! —Nils Bourdin

40. Black To The Future
Sons of Kemet

La quatrième sortie du féroce quatuor Sons of Kemet a patiemment fermenté pendant les événements tumultueux de 2020 et s’inscrit dans la continuité de Your Queen Is A Reptile (publié en 2018, également sur Impulse!) poursuivant le dévoilement de l’identité britannique noire et toute la douleur et la joie inhérentes à ce statut. Au cours de ces onze déclarations musicales dont les titres composent un poème à la verticale, Black To The Future s’offre avec toute l’intensité, la gravité, le sérieux et les riffs catchy auxquels nous a habitués Shabaka Hutchings, accompagné comme toujours par le tuba de Theon Cross et la batterie au carré de Tom Skinner et Edward Wakili Hick. Les invités se bousculent au studio : D Double E et Kojey Radical prennent le micro sur les poèmes d’ouverture et de clôture aux côtés de Joshua Idehen, spécialiste du spoken word, tandis que la chanteuse-compositrice Lianne La Havas assure les chœurs sur « Hustle », cinq minutes qui rendent hommage à la persévérance et à la résilience des générations antérieures. Black To The Future donne également à entendre Hutchings superposant des couches de flûtes traditionnelles par-dessus cuivres et bois sur des morceaux comme « To Never Forget The Source » – clin d’œil musical évident à la culture du sound system et à la musique des Caraïbes en général, mais aussi reconnaissance et célébration d’une histoire et d’une culture plus anciennes encore que ce son qui est encore et toujours la muse de Sons of Kemet. —Lucas Keen

39. Beyond The Yellow Haze
Emeka Ogboh

Emeka Ogboh est un artiste nigérian spécialisé dans les sons et les installations. Actuellement basé à Berlin, l’homme n’a jamais perdu de vue son amour pour le lifestyle de Lagos, plein d’excitation, d’activité et de créativité. Beyond The Yellow Haze, qui combine des couches subtiles d’électronique ambiante, de musique de danse et d’enregistrements sur le terrain de la ville préférée de l’artiste, tente de refléter électroniquement les paysages sonores de la capitale nigériane, sans se plonger dans les sonorités évidentes de l’afrobeats. Sur ce projet, les compositions d’Ogboh nous présentent un véritable orchestre de klaxons, de moteurs, de systèmes de sonorisation, de stands de vente sur les trottoirs et de divers artefacts sonores des centres de circulation et des rues animées de Lagos. Le producteur dédie même l’intégralité des 11 minutes de « Danfo Mellow » aux célèbres bus jaunes Danfo, connus pour faire partie du folklore de la ville. Les enregistrements ont été inclus à l’origine dans le cadre de l’exposition No Condition Is Permanent d’Ogboh en 2018 à la Galerie Imane Farès et auto-édités sous la forme d’une édition d’artiste tamponnée et signée. —Nils Bourdin

38. An East African Journey
Omar Sosa

Omar Sosa, compositeur et pianiste cubain, a passé dix ans à façonner l’album An East African Journey. Fusionnant jazz et sonorités traditionnelles, il émane de cet album une profonde spiritualité, aiguillonnée par la rencontre d’Omar Sosa avec huit artistes originaires d’Afrique de l’Est, lors d’une tournée en 2009. L’objectif de ce projet est ainsi d’explorer l’héritage africain présent dans les cultures musicales du pays natal des musiciens côtoyés en chemin. Aux côtés du malgache Rajery, du chanteur kényan Olith Ratego, de l’éthiopien Seleshe Damessae, du bassiste burundais Steven Sogo ou encore du percussionniste mauricien Menwar, Sosa explore des instruments locaux tels que le lokanga, le kalumbu, le marovany, le nyatiti, le ravanne ou encore l’umuduri. « La chose la plus importante au moment où on faisait l’album était de se respecter les uns les autres, et de s’écouter », nous avait raconté le pianiste. « Notre mot d’ordre était : ‘On se sert tous dans le même plat !’ Parce que quand tu vas au Maroc ou au Sénégal, ils te donnent une assiette et tu manges ta part. Jamais tu ne toucheras à la nourriture de ton voisin de table. C’est la diversité qui fait de nous de meilleures personnes, de meilleurs professionnels. Et cette diversité, j’en ai besoin dans ma musique. » —PAM

37. Palabras Urgentes
Susana Baca

A 76 ans, la diva péruvienne qui a tant œuvré pour mettre en lumière l’histoire et l’héritage afro de son pays a toujours des choses à dire. Des choses urgentes même, vues la situation de son pays comme celle de la planète. « Ne peins pas mon pays en rose, non, peins le aux couleurs de tout ce qui se passe : la terre volée, et tout le reste. Peins-le aux couleurs du combat, de la lutte, et de l’espérance » chante-t-elle dans « Color de rosa », avec les mots du poète Alejandro Romualdo. C’est que la poésie, la musique et la politique ont toujours fait bon ménage en Amérique latine, et quand leur alliance est portée par une voix aussi gracieuse qu’émouvante – celle de Susana Baca, alors on tutoie naturellement, presque sans s’en rendre compte, le sublime. C’est aussi le cas dans Palabras Urgentes (paroles urgentes), le dernier album de celle qui fut ministre de la culture en 2011, avant de retrouver le chemin des studios. Avec la même douceur et la même force, elle y chante notamment les figures féminines oubliées de l’histoire péruvienne ou encore la beauté et la primauté du métissage, dont elle est une magnifique incarnation. —Vladimir Cagnolari

36. Logue
KMRU

Joseph Kamaru alias KMRU est un musicien aussi prolifique que son défunt grand-père, le chanteur folk kenyan du même nom, extrêmement populaire au 20e siècle. Logue est l’un des cinq albums publiés par le producteur en deux ans. Cela dit, cette œuvre de 9 titres et 41 minutes d’électronique ambiante est probablement la plus aboutie et la plus complète que nous ayons vue à ce jour. A l’écoute, on ressent une certaine finalité dans les compositions qui présentent une collection de travaux des dernières années de la vie de KMRU, entre des échantillons sonores de Nairobi et de Berlin, sa nouvelle maison d’adoption. « Jinja Encounters » est un saut émotionnel complet, « Argon » sonne comme un extrait d’album de Four Tet et « Bai Fields » est un essai exceptionnel de méditation guidée par la musique ambiante. Les sonorités sonnent sans effort, ancrées dans la nature autant que dans l’esprit, faisant écho à ce qu’explique Joseph : « Chaque piste reflète un événement, un espace ou un lieu. Les morceaux sont développés à partir d’enregistrements de terrain, d’improvisation et de spontanéité ». Une œuvre révolutionnaire pour la musique électronique ambiante d’Afrique de l’Est, et une preuve des efforts de Kamaru pour apporter plus de sons ambiants et électroniques à son pays natal en tant qu’ambassadeur de l’atelier Ableton. —Christian Askin

35. Ivoire Drill King
Himra

L’expansion de la drill dans le rap mondial n’est plus à prouver. Ce sous-genre du hip-hop est né à Chicago, pour ensuite être repris à Londres et retransmis dans le monde entier. L’Afrique n’a pas été en reste, avec l’émergence de scènes drill très spécifiques, au Ghana comme au Kenya. À Abidjan, capitale du rap africain francophone, Himra fait partie des rappeurs qui ont suivi la tendance. Après avoir adapté la trap d’Atlanta sur des projets comme la mixtape Nfusa (Noushi from USA), son année 2021 a été marquée par l’EP Ivoire Drill King, publié sur Def Jam Africa. Le projet, au long de ses neufs morceaux et dans ses quelques clips (« C’est les », « Grrr Pa », « Dja »), reprend tous les codes de la drill UK et américaine : flows agressifs, menaces, bandanas de gang et gestuelle énervée. Comme à son habitude, le rap ivoire laisse pourtant clairement sa marque dans les sonorités. En mode égotrip, multipliant les couplets survitaminés, Himra va également piocher dans le nouchi et les références populaires ivoiriennes, frimant sur son niveau de rap avec humour, intégrant de l’argot local et invitant des camarades abidjanais tels que YoungPro et Tripa Gninnin à découper des instrumentales avec lui. Un EP représentatif de la fougue du rap ivoire dans un rap global qui ne s’est jamais mieux porté.  —Nils Bourdin

34. Gueto Elegance
BADSISTA

Le titre du dernier album en date de BADSISTA résume l’objectif du projet de la DJ et MC brésilienne : faire ressortir la beauté brute du ghetto, de São Paulo à Kampala en passant par Kinshasa. Loin de romantiser la pauvreté, sur ses 12 titres, l’artiste dépeint les réalités quotidiennes de la « quebrada » avec fierté et sans complexes, adoptant un tissu sonore souvent rugueux qui trouve ses inspirations dans les sonorités les plus criardes du UK garage, du dancehall, de la miami bass et du breakbeat. Alors que les thèmes des morceaux comportent évidemment le lot de violence et de frustration qui viennent avec le quotidien des périphéries (« Soca »), TA est aussi capable de la plus grande douceur sur des morceaux comme le mélancolique « Hoje Eu Quero Brilhar » (« Aujourd’hui je veux briller ») ou la chanson d’amour « Sem Dar Tchau » (« Sans dire au revoir »), prouvant que l’élégance du ghetto n’est pas qu’à trouver dans son âpreté. Le projet invite également certains ambassadeurs du Nyege Nyege et de Hakuna Kulala (Rey Sapienz, MC Yallah, Lord Spikeheart), pour un dialogue inter-atlantique bienvenu et cohérent. —Nils Bourdin

33. Yaral Sa Doom
Wau Wau Collectif

En regardant l’image en couverture, on a déjà une petite idée de la bande-son. Yaral Sa Doom, un titre en hommage au Super Diamono de Dakar, raconte la rencontre entre des poètes, percussionnistes ou beatmakers sénégalais, et le producteur musicien suédois Karl Jonas Winqvist, venu résider pour trois mois dans un centre artistique en périphérie de Dakar. « Seul, sans être jamais allé en Afrique et ne parlant ni le français ni le wolof. » Ce sera peut-être sa chance, car les intuitions musicales vont parler pour lui. De jams en concerts inopinés, l’idée de réaliser un disque qui témoigne de cette expérience transgenre va cheminer. De retour chez lui, partant d’enregistrements sur ce terrain vibrant complétés par quelques apports scandinaves (flûte, sax…), il va bâtir ce trip rétro-futuriste qui se joue des frontières pour tracer des points de connexion entre le grand Nord et le sud du tropique du Cancer. Résultat : un objet sonore non identifiable, quelque part entre un curieux cocktail au parfum pop et des évocations fantasmagoriques du Sénégal, entre chantre soufi et toasteur en mode réverb’. Un truc unique, à l’image de cette ballade sur fond de jazz éreinté et de sonorités parasitées, chantée par un chauffeur de taxi sénégalais de Stockholm, avec pour chœur sa marmaille. —Jacques Denis

32. Somewhere Between Beauty & Magic
Joeboy

Le protégé de Mr Eazi nous émerveille avec son premier album Somewhere Between Beauty and Magic, constituant une véritable ode à l’amour. Ce maître de l’afrobeats et du R&B se montre souvent éperdument amoureux dans ses clips, comme dans « Lonely », où il est accablé par la solitude, en l’absence de l’être aimé. Il prouve aussi à quel point il est attaché aux traditions africaines dans le clip festif et coloré de « Celebration », où l’on peut admirer les magnifiques tenues traditionnelles yoruba. Joeboy lui-même avait déclaré : « Je souhaitais rendre hommage à mes origines. » Nous remarquons également certaines nouveautés au sein de cet album, à l’instar de la guitare espagnole dans « Runaway » ou encore de l’afro-house au sein du titre « Oh ». Une véritable bouffée d’oxygène en ces temps moroses, envahis par la Covid-19.  —Christian Askin

31. A Touma
Ballaké Sissoko

A Touma, un témoignage intime et authentique, enregistré en une après-midi, durant laquelle Ballaké nous emmène avec lui en voyage. Un périple plein de majesté, qui confine au sacré, et embrasse les sereines collines de la méditation, aussi bien que les grandes plaines où chevauchent les guerriers mandingues, tout droit sortis des épopées d’un pays dont elles font la fierté. Sur « Demba Kunda », par exemple, le maestro nous emmène dans le village gambien de son père, « Mande Tabolo » raconte l’édification du Mandé, et « Simbo Salaba » est une réinterprétation d’un chant martial mandingue. De cette culture, Ballaké est certainement le meilleur ambassadeur, invité récemment par le célèbre studio berlinois COLORS à jouer « Nan Sira Madi », le morceau qui ouvre cet album inédit. Son nom : A Touma, entendez : « c’est le moment ». Pour Ballaké, de le partager, à l’heure de la maturité. Pour nous, de le découvrir et de nous laisser emporter. —PAM

30. River
Muthoni Drummer Queen

« Je suis africaine, avec mon ethnie d’origine, je vis à Nairobi avec cette culture urbaine et internationale, j’ai voyagé donc je me suis enrichie des échanges avec l’extérieur, et je reviens toujours à la maison, à la source. (…) ça me fait penser au sommet des montagnes qui fond, donne naissance à une rivière qui dégringole jusqu’à l’océan, que le soleil réchauffe donnant naissance aux nuages qui deviennent de la pluie qui va arroser le sommet des montagnes, et le cycle recommence »On ne saurait mieux résumer non seulement le parcours de la kenyane Muthoni Drummer Queen, mais aussi sa musique qui, sans complexes, croise les rythmes kenyans avec le dancehall, le hip-hop ou le r’n’b, sur lesquels elle rappe en anglais ou en swahili, collabore avec des DJs européens ou avec les stars de la pop kenyanne Sauti Sol («  Love Potion  »). Un album fait du même métal que She, toujours aussi conscient mais davantage taillé pour se projeter sur les grandes scènes du monde entier. Encore un peu de patience, ça ne saurait tarder. —Vladimir Cagnolari

29. Crystal
ISSAM

Ex-photographe ayant commencé la musique il y a cinq ans, ISSAM fait voyager son rap marocain et son darija bien au-delà des frontières du Royaume. Pour Crystal, son premier album, le jeune artiste a été épaulé par l’ingénieur du son de Travis Scott, Jimmy « Cash » Passion, après avoir fait la couverture de GQ Middle East et de signer un gros contrat avec Island Def Jam par l’intermédiaire de Cilvaringz, rappeur affilié au Wu-Tang. Le résultat : la « trap du bled », nourrie d’influences raï, pop, rock et électroniques, inspirée par les fantômes de Cheb Khaled, Cheb Hasni ou Cheb Mami. Les 20 titres de l’album offrent un portrait vivant de cet artiste complexe, animé par l’ambition de changer les normes du hip-hop marocain. « La moitié des thèmes est émotionnelle et dark », nous racontait-il en interview. « Par exemple, dans « Drakula », je parle de quelqu’un qui est trahi par la fille qu’il aime et se transforme en Drakula pour la tuer. Pour « Wchahm Jnah God », j’ai rêvé d’une femme, avec des ailes tatouées sur son dos. Alors je suis parti de cette image pour écrire un morceau un peu surréaliste et expérimental dans lequel je joue avec ma voix. Et j’ai aussi des morceaux plus légers comme « Hada Raï » ou « Basta Baila ». » —PAM

28. Teenage Dreams
Native Soul

En argot sud-africain, « ma 2000 » est un terme utilisé pour les jeunes nés après l’an 2000 et n’ayant pas connu l’apartheid, même dans leur enfance. Dans le langage courant, les deux producteurs qui composent le groupe Native Soul, basé à Pretoria, seraient considérés comme des « ma 2000 ». Kgothatso Tshabalala a 19 ans, Zakhele Mhlanga (DJ Zakes) en a 18 et Native Soul a été formé en 2019. Leur premier album de musique électronique Teenage Dreams, publié par le label américain Awesome Tapes from Africa, ne porte pourtant pas le poids de leur jeune âge. Si le projet présente bien un son jeune et expérimental, l’arrangement de chaque chanson et la façon dont les pistes du projet sont assemblées démontrent une maturité artistique qui dépasse largement ce que l’on pouvait attendre des deux producteurs. Ainsi, Teenage Dreams n’est pas seulement un album de dance music, mais aussi un album qui fait la synthèse entre maturité artistique et expérimentation. Les deux producteurs nous conduisent entre différentes atmosphères, entre l’orageux « The Journey », le puissant amapiano de « Teenage Dreams » et « Dead Sangoma », qui offre un clin d’œil marqué à l’afrohouse avec ses tambours percutants. Le reste de l’album continue à rendre hommage à l’héritage musical sud-africain du duo en puisant dans le kwaito old school, le trip-hop et même la house globale (le bien nommé « United As One » est teinté du « Sing It Back » de Moloko, devenu hymne en Afrique du Sud). —Nils Bourdin

27. Wolo So
Balimaya Project

Le premier album du big band panafricain Balimaya Project est arrivé à point nommé pour célébrer le retour à la vie sociale d’un Londres enfin rouvert, et force est de reconnaître que les rythmes de cet impressionnant EP de sept titres savent éviter toute tentative de confinement. Sous la direction musicale du maître du djembé Yahael Camara Onono, l’orchestre Wolo So ouvre les festivités avec le morceau éponyme « Balimaya », dont la kora majestueuse de Jali Bakary Konte donne le ton, avant que ne le rejoignent les syncopes des cuivres, puis c’est le décollage quand entrent dans la danse le reste des percussionnistes et la section rythmique. Représenté par le label jazz re:freshed, le groupe d’Onono au casting trié sur le volet, fait partie de cette famille de talents émergents issus des différents événements et résidences du label, mais aussi des fameux programmes de formation au jazz Kinetika Bloco et Tomorrow’s Warriors. La musique mandingue ici est la mansa, et des chansons comme « Soninka/Patronba » (bénie par la voix de Mariama Tounkara Koné) sont orchestrées par le djembé virtuose d’Onono, qui fait du même coup un clin d’œil pidgin à son héritage métissé sénégalais et nigérian sur « I no go gree/Aniweta », avec ses tamas [tambour parlant, ou tama ; NdT] et ses cuivres audacieux. Un album magnifiquement produit qui laisse sa place dans le mix à toutes les sonorités, de la minuscule cloche dundun à la trompette. —Lucas Keen

26. Udondolo
Urban Village

L’album tant attendu du jeune quatuor de Soweto est un condensé d’histoire des musiques sud-africaines. Imprégnées des traditions rurales qui se sont mêlées en ville, les chansons d’Urban Village portent en elles les expériences des populations noires sud-africaines, forcées de quitter leurs villages natals pour travailler dans les mines de Johannesbourg et d’ailleurs. De ce cocktail historique, culturel et politique, les Sowetans ont mis au point une musique puissante composée de guitares zouloues, d’indie folk, de chœurs inspirés de l’isicathamiya et de jazz, le tout porté par une énergie spirituelle saisissante en hommage aux racines de leurs ancêtres, qui poussent encore sous le bitume des townships. —PAM

25. Na Zala Zala
Rey Sapienz

Rey Sapienz est un roi tapi dans l’ombre. Cofondateur de Hakuna Kulala Records, le sous-label hyper-expérimental de Nyege Nyege Tapes, il est aussi producteur résident de ce  même collectif qui propulse les nouveaux talents alternatifs d’Afrique à travers le monde pour épater la planète et inventer de nouveaux horizons musicaux. Tout cela est évident sur Na Zala Zala, album unique de « techno du Congo », comme aime le décrire Rey. À l’image d’une colère grondante qui exige patience, ouverture d’esprit et tolérance pour aborder le côté le plus obscur de la musique. Avis aux auditeurs prêts à encaisser les sons menaçants de lames affûtées, rochers brisés et autres samples maison terrifiants, ils trouveront ici un univers psychédélique de musique congolaise et ougandaise réinventée par la puissance de l’informatique. Rey m’a d’ailleurs confié que c’est après avoir passé deux semaines à éplucher jour et nuit le manuel d’utilisation d’Ableton Live qu’il a pu transposer en audio les sons qu’il avait en tête. Il va jusqu’à affirmer que le titre « Hakuna Kulala » signifie « sans sommeil ». Et s’il faut avouer que « Esala Rien » et « Sontage » sonnent comme un gros trip d’insomniaque, « Posa Na Bika » traverse la membrane psychotique pour y coller une série interminable de sessions de prod. Bien sûr, on y trouve aussi les tracks taillés pour les clubs : « Zuwa Ba Risk » est un énorme son dance porté par un kick massif, et « 96 » est ce qui se rapproche le plus des racines urban music du MC. Mais pas de méprise : ces tubes font également la part belle aux kicks glitchés, explosions sonores et cris à glacer le sang. Na Zala Zala est un album qui vaut la peine d’être écouté précisément parce que c’est le genre de musique impossible à imaginer par soi-même. Un rabbit hole dont on ne peut connaître la profondeur qu’en y plongeant toutes oreilles ouvertes. —Christian Askin

24. Buganda Royal Music Revival
VA | Nyege Nyege

Offrant un regard transversal sur le passé et le présent, la compilation Buganda Royal Music Revival rassemble des enregistrements réalisés entre la fin des années 1940 et 1966 ainsi que des morceaux de ces artistes qui perpétuent la tradition du royaume du Buganda. Nous sommes initiés à un éventail d’instruments et de textures, comme le bourdonnement de la lyre bugandaise (endongo), le xylophone akadinda ou les louanges agitées de Temutewo Mukasa chantées avec sa harpe (ennanga). —PAM

23. RUMBLE IN THE JUNGLE
Kabza De Small, DJ Maphorisa, TRESOR

RUMBLE IN THE JUNGLE est l’album commun de trois artistes s’étant plus qu’établis dans leurs voies respectives. DJ Maphorisa n’a depuis longtemps plus besoin d’être présenté, produisant des hymnes house, gqom et amapiano depuis un peu moins d’une décennie, tandis que Kabza, de son côté, détient le titre autoproclamé de « king of amapiano » depuis son premier album. Ce sous-genre de house sud-africaine étant désormais profondément ancré dans le mainstream, cet album a été une tentative des fers de lance du mouvement de le pousser encore plus loin en termes de géographie mais aussi de frontières musicales, ajoutant des touche swahilis, pop ou folk sur des morceaux comme « Folasade » ou « Funu ». « Chaque artiste est différent, chacun a un son unique et lorsque vous travaillez sur la production, vous devez vous assurer que les instruments s’accordent avec l’artiste. Mais la partie la plus importante de la production est de s’assurer que vous et la personne avec laquelle vous travaillez, ayez une synergie », nous avait expliqué Maphorisa. « Je connais Maphorisa depuis plus de 5 ans et nous avons fait quelques travaux inachevés ensemble, mais c’est la première fois que nous avons terminé un projet », avait ajouté TRESOR. « J’ai rencontré Kabza par l’intermédiaire de Maphorisa il y a environ 2 ans. Ce sera notre tout premier album. Le bon timing était important pour que nous puissions faire la musique dont nous serons tous fiers. Ma vision est de pouvoir vraiment transcender l’âge, le genre, les couleurs et les nationalités. En un an, je peux faire une chanson avec Metallica, Drake et ensuite faire un album avec Maphorisa en français et en swahili. » —Nils Bourdin

22. El Sahaba
Mousv

Abyusif, Abo El Anwar, le retour inespéré de Marwan Pablo ou Wegz… Dans le foisonnement de la scène trap égyptienne, c’est le projet de Mousv qui a retenu notre attention cette année. Après OV, une mixtape sortie en 2019, le MC originaire d’Ismaïlia au nord-est de l’Égypte est revenu cette année avec un premier long-format parfaitement abouti. Intégralement mis en boîte en studio au côté du jeune producteur Mohaimen, El Sahaba est un album sombre, poisseux, hyper deep, qui flirte parfois avec l’horrorcore – jetez-vous au hasard sur le morceau « KHABASA ». Le garçon s’autorise néanmoins de belles parts chantées, comme sur « El SAHABA » ou un morceau comme « WESWAS », qui semble convoquer le spleen de Lil Durk au fond d’une vieille ville égyptienne. Un neuf titres vénéneux, au contact duquel on pense aux dérives de XXXTentacion ou d’un 21 Savage. Étonnante scène égyptienne qui, à nouveau, place la barre très haut : El Sahaba est un projet bouillant, sacrément maîtrisé pour un premier effort. —Théophile Pillault

21. Nocturne
David Walters

David Walters, à la fois Parisien, Antillais et marseillais, a profité du confinement globalisé pour créer son album Nocturne, composant seul en jouant de la guitare classique avant de collaborer avec Vincent Ségal au violoncelle, Ballaké Sissoko à la kora ou encore Roger Raspail pour les percussions. Le processus lui a permis de s’évader et de penser à autre chose, dans un contexte particulièrement difficile ; le titre de l’album fait d’ailleurs référence à la « mélancolie » de la musique classique, notamment aux Nocturnes de Chopin. Des influences brésiliennes (« Carioca » ) aux sonorités antillaises en passant par un hommage au camerounais Manu Dibango (« Papa Kossa » ), l’album est un véritable voyage, avant tout intérieur. « Comme j’ai composé au milieu de la famille en plein confinement, il y avait cette idée de ne pas déranger les autres et que ce soit quelque chose de très intérieur, un peu comme une confession » , nous avait-il expliqué. « Il y a aussi quelque chose qui est certain c’est que, comme on a enregistré en acoustique avec Vincent, Ballaké et Roger sans casque et sans clic , il se passe quelque chose dans la voix et dans le jeu de chacun par le fait qu’on ne peut pas jouer fort, […] donc on est obligés d’adapter nos volumes tous dans la même pièce les uns à côté des autres. […] C’est plus sensible, beaucoup plus intérieur que sur Soleil Kréyol. » — Nils Bourdin

20. Back 2 Basics
R2Bees

R2Bees, composé du chanteur Mugeez et son cousin rappeur Omar Sterling, ne comptent plus leurs trophées : actif depuis plus de 10 ans, le groupe a décollé de Tema (ville portuaire voisine d’Accra) pour collaborer avec les plus grands d’Afrique de l’Ouest (Wizkid, Burna Boy, Davido…). Les deux cousins avaient même été nommés aux BET Awards en 2013. Figures d’anciens dans un milieu en évolution perpétuelle, leur longévité repose probablement sur leur formidable capacité à se renouveler constamment. En 2021, le duo ghanéen a sorti son quatrième album studio Back 2 Basics, invitant Mr Eazi, WizKid, Joeboy et King Promise à exécuter un doux mélange de hiplife, highlife, afrobeats et hip-hop. Le projet est rempli d’énergie positive, et va chercher du côté de la musique électronique sur les morceaux « Get Get No Dey Want » ou « Odo Nti ». Mention spéciale pour « Sure Banker » qui fusionne de manière innovante le highlife old school et l’amapiano, un mélange encore rarement entendu. Enfin, « Formation » avec DarkoVibes est un parfait banger afrobeats, calibré pour les pistes de danse. Chaque titre de Back 2 Basics détonne, allez-y donc les yeux fermés. —PAM

19. Pray For Haiti
Mach-Hommy

Mach-Hommy est l’une des voix les plus léchées du hip-hop, passant de la kadans au créole, de l’abstraction au symbolisme profond. À l’écoute, Pray for Haiti est un tourbillon permanent. « The Stellar Ray Theory » est une sorte de manifeste, cryptique et lointain, qui se termine par un sample de Taxi Driver et une citation de Travis Bickle qui choisit de regarder le monde avec un air de dégoût solennel. Cela dit, rien de rebutant là-dedans, bien au contraire, et Mach parvient à rapper à propos des « putes, dope, chattes, relous, princesses, tafioles, drogués et toxicos » (« whores, skunk, pussys, buggers, queens, fairies, dopers, junkies ») sans avoir l’air mesquin une seule seconde. On a plutôt l’impression d’écouter la sagacité d’un conteur surdoué. Un pris-parti assez explicite sur « Kreyol (Skit) » dans lequel on entend un universitaire analyser les particularités régionales de la langue créole. Westside Gunn, membre du Griselda Gang, fait quelques apparitions vocales mais il est avant tout le producteur exécutif du projet. Le travail mélodique du natif de Newark est le parfait écrin rugueux pour la voix de Mach. Au bout d’une seule écoute, nous prions tous pour Haïti, bien que Mach laisse à l’auditeur le soin de décider vers quoi orienter ses prières. —Christian Askin

18. Sounds of My World
Juls

Sound of My World réunit une excellente sélection de rappeurs qui se sont portés volontaires pour apparaître sur le premier album de Juls, notamment Bas, poulain du label Dreamville, et Mannywellz, le natif du Maryland et lauréat d’un Grammy, deux pointures qu’on retrouve sur « Wish You », un rythme baile funk infusé au r&b highlife. « Wicked », l’un des premiers singles tirés de l’album, est un featuring avec Kadiata, le rappeur londonien natif de l’Angola, Knucks, rappeur au flow unique de Kilburn, et Sam Wise, membre du collectif House of Pharaohs. Ce morceau est un ancêtre tardif de la musique banku, combinant cette fois-ci afrobeats et culture glitch, orienté vers le r&b alternatif et le jazz highlife. Cerise sur le gâteau, on entend Prettyboy D-O, l’artiste le plus excentrique du rap alternatif du Nigéria, mettre le feu sur le minimaliste « Alarm » aux côtés de Suspect. En somme, un régal panafricain porté par des productions de haut vol. —Christian Askin

17. We Famous
Kondi Band

Kondi Band, c’est la rencontre fortuite entre le piano à pouces et la voix authentique du Sierra-Léonais Sorie Kondi, et la bass music du Londonien Will Lv et de Chief Boima. Ce dernier, américain aux racines aussi sierra-léonaises, s’est rapproché du virtuose né aveugle en remixant l’une de ses chansons, marquant le point de départ d’une vraie collaboration qui prendra la forme de l’album Salone en 2016. Cette année était donc le retour en force d’un trio qui propose une musique presque siamoise, où le son du kondi, piano à pouces 15 broches fabriqué sur mesure, carillonne sur les arrangements électroniques des deux producteurs. Chief Boima et Will Lv offrent les clés de la dance music à un musicien qui revient de loin, lui qui enregistra ses premiers morceaux en pleine guerre civile pour aujourd’hui faire rayonner ses paroles bienveillantes en Loko sur des mélodies cristallines et réconfortantes. —PAM

16. Medieval Femme
Fatima Al Qadiri

Née à Dakar, la productrice koweïtienne Fatima Al Qadiri se nourrit de toutes les influences rencontrées sur son chemin d’immigrée, de l’Afrique de l’Ouest au monde arabe, pour nous offrir une musique profondément cinématographique et ambiante sur Medieval Femme, publié par Hyperdub. Son précédent travail sur la bande originale du film Atlantique de Mati Diop a laissé des traces, les différents titres de l’album nous plongeant tous dans des atmosphères vives, graphiques et puissantes imposées par des arrangements minimalistes mais forts. Les émotions transmises sont renforcées par les esprits d’Al-Khansa et d’autres poétesses arabes classiques dont Fatima s’est inspirée, ce qui en fait un « album fantastique d’arabesques follement romantiques » nous transportant dans un jardin islamique où le présent semble totalement dissous, laissant place au lâcher prise. Poésie et musique s’entremêlent constamment, le thème de l’album explorant l’état de nostalgie mélancolique illustré dans les écrits de l’époque médiévale. La compositrice utilise le luth, instrument omniprésent en ces temps anciens, et le place dans un cadre futuriste, avec des voix qui nous bercent comme un mantra. —Nils Bourdin

15. Interblaktic
Muzi

​​Interblaktic est une continuité de l’exploration de Muzi de l’espace africain, thème déjà abordé dans son Afrovision sorti en 2018, en se présentant par son alter ego le Zulu Skywalker. L’album est bien ancré dans le présent et la philosophie du afronowisme : les artistes africains sont géniaux maintenant et non pas seulement dans le futur ! Optimiste, exaltant et d’un autre monde, le projet est la chronique d’un voyage vers Mars, d’un retour à la maison et de la prise de conscience de l’importance de l’amour. « Quand je n’étais qu’un enfant, j’étais obsédé par tout ce qui avait trait à l’espace et aux étoiles », a-t-il déclaré à PAM dans une interview à venir. « Et puis quand j’ai commencé à me mettre à la musique, j’ai gravité vers la musique qui avait ce genre de thème. D’où toute cette histoire d’électronique. » —PAM

14. President Ya Straata
Focalistic

Dans la sphère des artistes africains, Focalistic a probablement connu la meilleure année 2021. Envahissant les ondes nigérianes, tanzaniennes, kenyanes, ghanéennes ou britanniques avec son attitude nonchalante et son flow en sePitori, ses douze derniers mois ont été une succession de tubes, de concerts internationaux à guichets fermés et de voyages en avion. Pourtant, loin de chez lui ou non, Foca reste fermement le President Ya Straata, le président des rues de Pretoria, de Johannesburg ou de toute autre ville sud-africaine. Son EP de 2021 le confirme : sur sept titres explosifs dont la plupart étaient déjà des hymnes locaux avant leur sortie, mettant en vedette les poids lourd et la relève de l’industrie de amapiano (DJ Maphorisa, Busta 929, Felo Le Tee, Mellow & Sleazy, Myztro), le « Pitori Maradona » vise large tout en restant pertinent localement. « Barcardi Ke Religion », par exemple, est un morceau de bacardi, un sous-genre de house sud-africaine du début des années 2010 en provenance du township d’Atteridgeville à Pretoria ; quatre mois plus tard, certains pensent déjà que la bacardi house remplacera bientôt l’amapiano. Que ces spéculations soient avérées ou non, le projet ne fait que prouver une fois de plus à quel point la house sud-africaine (et son hip-hop !) peut être inventive et dynamique, tout en nous avertissant de tout ce que cette scène a encore en réserve. —Nils Bourdin

13. Kanawa
Nahawa Doumbia

Un album attendu depuis longtemps, signé par Nahawa Doumbia. La chanteuse wassoulou chante pour son pays et pour son peuple depuis les années 1980, date de son énorme succès auprès du ministère de la culture, pour finalement sortir son album Didadi en 1988 (qui est aussi le nom du deuxième titre de cet album). Kanawa, enregistré à Bamako, est un retour à l’essentiel : le karinga, la guitare, la basse, le n’goni et un ensemble de chœurs donnent à l’album son esthétique traditionnelle, laissant la voix de Nahawa au premier plan. Le premier titre, « Blonda Yirini », est énergique et hautement contagieux, mettant en valeur une excellente combinaison de guitare électrique – le fameux blues du Mali – et de tradition wassoulou. D’autres morceaux comme « Djougoh » sont plus doux et détendus avec leur karinga enjoué et la voix posée de Nahawa. La chanson-titre est majestueuse et porte un message fort : « La signification de « Kanawa » est très simple : nos enfants ne cessent d’essayer de traverser les mers. Je dis souvent que beaucoup de nos enfants meurent dans les eaux et d’autres en traversant le désert du Sahara. J’ai donc choisi ce terme comme titre de mon album afin que tout le monde puisse en tirer des leçons, mais aussi pour que de moins en moins de personnes tentent d’émigrer. J’essaie de les sensibiliser afin que certains puissent rester chez eux et cultiver la terre. Partir n’est pas l’unique solution. C’est mon message. » —Christian Askin

12. UMDALI
Malcolm Jiyane

Secret de polichinelle : Mushroom Hour Half Hour, label fondé en 2012 du côté de Joburg, s’est imposé comme l’une des meilleures sources en matière de vinyles. Chacune de ses sorties est guettée par les amateurs de jazz tendance oblique, et c’est de cette oreille qu’il faut apprécier l’album du tromboniste Malcolm Jiyane, qui s’était déjà illustré aux côtés du batteur Tumi Mogorosi pour le formidable Project Elo (à quand la suite ?) comme au sein de l’informelle formation Spaza, en qualité notamment de pianiste. A bientôt quarante ans (il les fêtera en 2022), le natif du township Katlehong vient donc de publier ce premier disque sous son nom et c’est sans conteste l’une des révélations de 2021, la valeur attendant parfois, aussi, le nombre d’années. Creusant le fabuleux sillon du jazz sud-africain (une faconde mélodique qui puise aux racines, des percussions toujours présentes…), les cinq compositions de sa plume, de facture faussement classique – plutôt vraiment originale, donnent la pleine mesure d’un talent épatant, flirtant aussi bien avec l’esprit du jazz soul qu’avec le modal cool. Porté par un combo au diapason, son souffle se fait aussi long que profond, jusqu’au final « Moshe », où il prend le micro, voix posée sur un tamis rythmique. Envoûtant et entêtant. —Jacques Denis

11. Space 1.8
Nala Sinephro

Basée à Londres, la harpiste et compositrice caribéenne et belge Nala Sinephro fait ses débuts discographiques avec Space 1.8, un album de huit titres qui met en valeur sa sensibilité de compositrice, au caractère exquis, hypnotique et tendrement contagieux. Lorsqu’un artiste s’initie pour la première fois au travail de studio, il est aisé et tentant de lui associer des références, cédant à l’impression d’ordre et de sécurité que cette familiarité apporte. Dans le cas de Sinephro, c’est Alice Coltrane qui surgit inconsciemment sur le bout de la langue de certains auditeurs. Mais il est sans doute plus utile de considérer Sinephro comme le résultat de sa propre intonation plutôt que comme le produit irrévocable d’un rassurant passé ravivé. Cet album provoque l’envoûtement propre à la harpe dont Sinephro oriente cependant les effets vers une esthétique thérapeutique, redonnant à l’instrument sa place dans l’univers du son transcendantal. L’exceptionnel groupe complice de musiciens londoniens qui collabore avec elle au sein de cet espace, s’y déplace avec agilité et lyrisme en passant d’un instrument à l’autre, complétant parfaitement son style de composition cursif si propice à la transe. Un album sculpté pour le calme et la contemplation, et tout aussi idéalement adapté aux enfants, car chargé en fréquences méditatives cathartiques. Comme si vos oreilles étaient baignées dans les eaux purifiantes de l’océan. —Nombuso Mathibela

10. Basic Tools
Equiknoxx

Equiknoxx, groupe et collectif composé de Bobby Blackbird, Shanique Marie, Time Cow, Gavsborg et Kemikal Splash, est réputé pour sa vision expérimentale du hip-hop, du dub, du r&b et du dancehall. Basic Tools Mixtape est une nouvelle plongée dans les meilleurs courants alternatifs des cultures musicales de Kingston, Birmingham, Manchester et New York. La plupart des morceaux ont apparemment été enregistrés en une seule prise dans le studio de DJ Krush à Kingston. Tout est ensuite passé à la moulinette du chopped-and-screwed, du cut-and-paste : ça claque, ça clique et c’est deep. « MP Snare » et « Urban Snare Cypher » sont des mixes hip-hop qui savent tirer parti de beats minimal pour accentuer le flow traînant de Kingston. Pour un album « expérimental », rien de plus naturel. Par exemple, sur « Thingamajigima », track à la fois menaçant et plein d’humour, où la dichotomie omniprésente offre à l’écoute une certaine satisfaction et beaucoup de surprise. La seconde moitié de l’album s’inscrit, elle, dans la plus pure tradition du collectif, en proposant la version instrumentale des morceaux, poussant alors les MCs à se surpasser pour créer un collage plus convaincant que celui déjà réalisé par l’écurie d’Equiknoxx. —Christian Askin

9. Promises
Floating Points, Pharaoh Sanders and The London Symphony Orchestra

« Promises » est un morceau unique découpé en neuf mouvements savamment conduits par Sam Shepard – aka Floating Points au studio – dont le savoir-faire de de composition, la production et les motifs de clavier brillent d’intelligence. La tension ne baisse pas d’un cran grâce à l’extraordinaire saxophone soufflé par Pharaoh Sanders, livrant ici une performance sublime, titubant lentement mais élégamment, tel l’octogénaire qu’il est – cette prouesse semble être tombée à point nommé pour lui, comme si les astres s’étaient alignés pour faire briller et résonner l’esthétique du musicien de 81 ans. Aussi joue-t-il comme un vieillard fatigué dont chaque souffle s’abîme magnifiquement au fond de la musique, tandis que sa voix mime le mouvement du temps, des mers et des océans – littéralement : Sanders navigue au sein d’un langage dénué de tout mot, avec au coeur de cet écosystème toutes les aspérités de sa voix. Enfin, pour lester l’ensemble de l’œuvre, les délicats coups de pinceau du London Symphony Orchestra. « Movement 6 » est l’allégorie d’une éclipse, dévoilée avec emphase par de soyeuses cordes cinématographiques et une approche minimaliste. On dira de cette musique qu’elle se place en dehors de nos capacités réceptives moyennes ; elle ne s’adresse décidément pas aux idéologues des genres musicaux, mais plutôt aux oreilles désireuses de s’aventurer dans une sonorité perméable aux mots, une expérience aux effets à la fois vagues et précis : un défi pour l’auditeur. —Nombuso Mathibela

8. Black Ants Always Fly Together, One Bangle Makes No Sound
Kasai Allstars

Avec son quatrième album, le collectif de la rutilante Kinshasa élargit son spectre musical en incorporant sa propre approche de la musique électronique au jeu sans filtre de ces quinze musiciens, tous issus de la province du Kasai. Les machines sont ici tordues et déformées au bon vouloir du groupe, instaurant une atmosphère pop sur « Kasai Munene » comme rumba sur « Musungu Elongo ». Et si la douceur des mélodies prend parfois le dessus sur l’ADN musical agité et kinois qui ont construit le nom du groupe, comme sur le single « Olooh, a War Dance for Peace », le naturel revient au galop sur d’autres titres : « Unity is Strength » ou « The Large Bird, the Woman and the Baby », par exemple, nous offrent ces codes spécifiques qui ont bâti leur réputation, entre virages rythmiques à 90° et chevauchées hypnotiques qui appellent à l’euphorie. En plus de piocher dans les traditions de leurs peuples respectifs (Luba, Songye et Tetela), les musiciens tendent également les bras vers l’Europe, l’Inde, les Caraïbes ou les régions avoisinantes d’Afrique, pour y amasser d’autres influences et faire de Black Ants Always Fly Together, One Bangle Makes No Sound un disque moderne —PAM

7. Afrique Victime
Mdou Moctar

L’année 2021 aura été marquée par Afrique Victime, le dernier album de Mdou Moctar. Révélé par Chris Kirkley via son label Sahel Sounds, le prodige nigérien a fini par tutoyer les sommets avec ce disque publié sur le très respecté Matador Records. Sur ses neuf titres, le projet dévoile une véritable fusion entre rock et poésie touarègue sur l’amour, l’émancipation des femmes, les injustices, la religion ou encore l’exploitation coloniale de l’Afrique de l’Ouest, le tout teinté de rock aux couleurs des années 70. Des circonstances politiques particulières ont accompagné les artistes dans la création de l’album, Moctar citant lui-même- dans l’interview accordée à PAM- la situation nigérienne comme l’un des inspirations principales : « il y a beaucoup de choses qui empirent et ça s’accélère. Aujourd’hui, il y a des terroristes armés à moto qui pillent les gens. Il y a quelques semaines, ils ont tué 213 personnes dans des villages, y compris des enfants en bas âge, des femmes, des personnes âgées… […] Je ne peux pas raconter tout ça dans une chanson, c’est pour ça que je cherche le genre d’interview que l’on a ensemble aujourd’hui pour passer ces messages, c’est ce qui m’a poussé à faire cet album. » Quelques mois après cette sortie remarquée, l’artiste a également dévoilé un documentaire de dix minutes sur Afrique Victime, faisant participer les musiciens Ahmoudou Madassane, Souleymane Ibrahim et Mikey Coltun. —Nils Bourdin

6. Sound Ancestors
Madlib

Madlib est le genre d’artiste qui suscite le débat parmi les rédacteurs de Pan African Music. Et Sound Ancestors est typiquement un projet qui pose la question, « que signifie réellement « pan » dans le terme « panafricain » ? ». Madlib a, bien sûr, fait de nombreux clins d’œil au continent depuis sa mixtape Mind Fusion: African Earwax. Le titanesque producteur américain ne se résume pas qu’aux samples de George Clinton et de Bill Evans (sans parler de sa propension à utiliser à tout bout de champ la chanteuse indienne de playback Lata Mangeshkar). Alors admettons, « Loose Goose » est un collage de baile funk, de dancehall et des meilleures faces B de Snoop Dogg ; « Hopprock » donne à entendre ce qui ressemble à une mbira pendant les dix secondes d’introduction ; « Riddim Chant » a un sample des Mighty Tomcats (un groupe plus connu pour son LP Soul Makossa de Manu Dibango) ; et le titre éponyme « Sound Ancestors » est un mélange de tambours – tenez-vous bien – « tribaux », qui se fondent dans un jazz Masekelien. « Latino Negro » aurait tout pour justifier l’esprit panafricain de l’album, mais je ne le ferai pas. Et qui donc chante sur « Duumbiyay » ? Non, non, je ne répondrai pas. Parfois, il faut juste admettre que la musique est sacrément bonne, et si on est assez prétentieux pour faire une liste du meilleur de 2021, ce disque mérite d’y être. Les arrangements de Four Tet aka Kieran Hebden sont eux aussi un détail non négligeable en ce qui concerne notre débat introductif. Si vous êtes à la recherche d’un pur produit de panafricanisme zélé, passez votre chemin. Quoiqu’il en soit, nous vous invitons à écouter de ce pas cet opus vaporeux, et à trouver votre propre voie parmi les Sound Ancestors. —Christian Askin

5. Crocodile Teeth LP
Skillibeng

Skillibeng a explosé en 2021 pour devenir l’une des voix les plus identifiables de la Jamaïque. Le titre de ses dernières mixtapes en date – The Prodigy et The Prodigy: Ladies Only Edition – remplissaient déjà leur promesse egotrip par la créativité extraordinaire des flows mis en œuvre sur près de trois heures de durée ; dans Crocodile Teeth LP, le prodige a résumé sa proposition en 20 minutes. Avec une mobilisation impressionnante des scènes jamaïcaine, US et UK en featuring, il reste fidèle à sa recette à base de voix éraillée, d’ad-libs addictifs et de versatilité dosée entre drill et dancehall. —Marc Méresse

4. Sometimes I Might be Introvert
Little Simz

À dix ans, Simbi Little Simz Ajikawo écrivait «  Achieve Achieve Achieve  » , sa première chanson. Une poignée de mixtapes et quatre albums plus tard, l’artiste londonienne, fille d’immigrés nigérians et, désormais multi- récompensée, a largement honoré son leitmotiv originel. Avec les discographies de J Dilla et Lauryn Hill sur sa table de chevet, Little Simz égrène un rap complexe, farci des paradoxes de l’époque, entre poussées épiques – voire crâneuses – et replis intimistes, comme chuchotés à l’oreille. Dans Sometimes I Might Be Introvert, son dernier opus sorti cette année, Simbi se livre sans fard. Un manifeste personnel et introspectif, mais aussi politique : engagement féministe, dénonciations des discriminations et des dérives de la modernité y sont passés au fil d’une plume acerbe, hyper référencée. Entre incartades soul, jazz minimaliste, afrobeat ou trap, l’artiste crache le feu sur une palette large, parfaitement mise en boîte par Inflo, le producteur d’Adèle, s’il vous plaît.  —Théophile Pillault

3. The Beginning, the Medium, the End and the Infinite
IKOQWE

Ikoqwe, duo de hip-hop extraterrestre carbonisé lors de son entrée dans notre atmosphère, a sorti l’un des projets les plus excitants et surprenants de l’année. En réalité, Ikoqwe n’est autre que le fruit de l’imagination de Batida – Pedro Coquenão producteur de kuduro, artiste et activiste né en Angola et élevé à Lisbonne – et de Luaty Beirão, alias Ikonoklasta, rappeur angolais récemment devenu figure de martyr politique. Bien qu’en surface le projet semble un brin fantaisiste et improbable, ses fondations et les intérêts que partage le duo sont profondément ancrés dans un engagement face à la réalité du monde d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de l’expérience de prisonnier politique pour Ikonoklasta ou de la fascination de Batida pour le hip-hop vu comme ciment culturel, les deux hommes ont créé une bombe sonore lourde de sens. « Falta Muito? » (« C’est encore loin ? »)  laisse transpercer l’énergie pure entre deux chuchotements. « Vai de C@n@! » (« Va en taule ! ») est un rap résolument fun et clinquant avec ses synthés ’90s et chargé du flow ininterrompu d’Ikonoklasta. « Pele » (« Peau ») est une atteinte sonore lancinante aux basses juteuses. Honnêtement, chacun des onze morceaux de l’album mérite d’être encensé. Le disque-concept est guidé par la voix grave d’un narrateur omniprésent qui philosophe sur le temps et Marshall McLuhan. Ne vous retenez pas : ouvrez votre esprit à ce chef-d’œuvre aussi angolais qu’universel. —Christian Askin

2. Uwami
DJ Black Low

Il a tout juste vingt ans, et à l’écouter- contrairement à ce qu’écrit Paul Nizan, c’est le plus bel âge du monde. DJ Black Low, inconnu de nos radars, a sans aucun doute publié la meilleure bombe pour faire exploser le dance-floor assis sur ses acquis. Depuis son home-studio de Pretoria, ce touche-à-tout a taillé onze joyaux d’art aussi brut que sophistiqué, onze leçons de savoir-faire groover aussi génialement abstrait que puissamment efficace. Auteur d’une poignée d’EP, le dénommé Sam Austin Radebe, originaire d’un des townships du Gauteng, y superpose effets de saturation et voix invitées en surimpression, mixe cadences up tempo et nappes low tempo, concasse percussions électroniques et incantations ésotériques. Avec lui, l’amapiano s’enrichit d’une bonne dose d’improvisation et de doux délires, ajoutant à ce courant majeur sorti des ghettos sud-africains une touche de l’esprit rebelle et arty DIY. Le résultat est tout bonnement renversant, au gré d’aussi imparables que jubilatoires secousses, sans céder une seule seconde aux facilités d’usage. Comme un Monk des années 2.0. —Jacques Denis

1. Love is War
Prettyboy D-O

Love Is War est le premier album de Prettyboy D-O, une fusion sonore féroce évoquant les luttes mentales d’un homme sur le chemin de son ascension. Le projet est dérangeant, dur et brut, nous plongeant dans les préoccupations et les fantasmes les plus profonds de l’artiste nigérian, évoquant tour à tour rêves de romance, imagerie sectaire et violence policière. Ce dernier thème a été omniprésent dans les chansons du rappeur: en 2018, dans son hit « Chop Elbow », il rappait déjà prophétiquement « SARS chop elbow » (« le SARS se bouffe mon coude »). Il avait gardé la même colère lors des soulèvements populaires de 2020, étant extrêmement actif sur ses réseaux sociaux et dans les manifestations, et la critique avait continué sur « Jungle Justice », filmé dans les studios berlinois de Colors, où l’artiste avait exposé crûment les problèmes de suspicion auxquels fait face la jeunesse nigériane branchée : « pretty mothafucka I be problem » (« je suis un joli enfoiré, je suis un problème »). Pourtant, personne n’empêchera D-O d’être le plus frais de sa génération. Un mélange d’afrobeats, de dancehall, de rap et d’alté, l’album est aussi profondément punk, prônant l’anéantissement complet des autorités et de l’establishment. Composé de quatorze titres flamboyants, Love Is War réunit la UK bad girl IAMDDB, la chanteuse nigériane Nissi, le king britannique Pa Salieu et le rappeur de Lagos MOJO AF.  —Nils Bourdin

Retrouvez la sélection en playlist sur Spotify et Deezer.

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