« BKO, c’est une invitation à un voyage sonore destinée aux gens qui veulent fermer les yeux et se retrouver transportés dans un autre pays », déclare Aymeric Krol, le percussionniste de BKO, trois lettres qui juxtaposées font référence à l’aéroport de la capitale malienne. C’est le nom du groupe né de la rencontre, vingt ans plus tôt, entre ce batteur français et Ibrahim Sarr, son maître en percussion d’origine malienne. « Après dix ans de travail sur les rythmes et d’apprentissage, on a décidé de monter un groupe car Ibrahim avait, depuis quelques années déjà, l’idée de rassembler deux cordophones : le djeli n’goni et le donso n’goni. »
Le premier est la guitare des griots maliens, et le second un luth à six cordes : tous deux sont emblématiques de la tradition mandingue. « Le premier est issu de la musique noble, ancestralement jouée devant la cour des rois, le deuxième, c’est plutôt la musique de broussard, plus populaire. » Cet appareillage hautement inhabituel (qu’Aymeric Krol compare à l’union tout aussi improbable « du clavecin et du tam-tam ») a nécessité quelques arrangements : « On a dû modifier l’accord du Djeli N’goni et dénaturer sa tessiture ». Ce goût pour le bricolage, on le remarque également sur la batterie arrangée d’Aymeric Krol qui a combiné calebasse, dununs (tambour mandingue) et cymbale pour produire des « timbres bizarres ».
Aujourd’hui, BKO compte cinq membres : les deux percussionnistes et co-fondateurs du groupe, Aymeric Krol et Ibrahim Sarr, Mamoutou Diabaté -le joueur de Djeli N’goni, Adama Coulibaly -le joueur de Donso N’goni, et le chanteur Fassara Sacko. Depuis 2012, année du début de la guerre au Mali et du coup d’État militaire, les répétitions du groupe ont toujours lieu à Bamako. Malgré de nombreux obstacles, les soucis de santé de certains membres du groupe, des conditions d’enregistrement parfois compliquées, des procédures de demande de visa inutilement complexes, BKO persévère et s’évertue à produire des sons qui lui ressemblent. « Un groupe, c’est un combat perpétuel », affirme le batteur. « C’est vraiment stressant ».
Ils ont récemment dévoilé leur troisième album au son abrasif : Djine Bora, « les esprits sortent », en langue mandingue. « C’est un son unique, mélange de musiques traditionnelles maliennes et du son underground anglais avec la saturation des amplis », décrit Aymeric Krol. Ce nouveau disque représente toute l’essence du groupe qui a souhaité un apport extérieur minimal au niveau de la production. « On a uniquement fait appel à un ingé son pour poser les micros, le reste de la production, l’arrangement et la réalisation, c’est nous », explique Aymeric Krol. « De base, c’est déjà un non-sens d’enregistrer au clic (au métronome, ndlr) ce genre de musique avec des musiciens habitués à faire la musique vivante. » Pourtant, certaines concessions ont bien dû être faites, passées notamment par le raccourcissement de morceaux pouvant parfois durer plus de quinze minutes en concert. « En contexte traditionnel au Mali, ça passe par plusieurs phases lentes, rapides, chantées, scandées… Mais il faut que ça reste audible dans le cadre d’un album et ça passe nécessairement par le formatage » précise le batteur.
Rien n’a été laissé au hasard, les thèmes abordés reflètent les engagements et valeurs du groupe. La nature, très présente dans « Sadiona » et « Kekereke », est un des sujets récurrents de l’album, une problématique très préoccupante au Mali puisque le pays est un des plus gravement touchés par le réchauffement climatique. « C’est un sujet auquel Adama est très sensible. Il prône le respect de l’environnement comme dans beaucoup de chansons traditionnelles à propos du respect des animaux sauvages et de la nature ». L’immigration est également un des thèmes centraux du disque. « Beaucoup de Maliens prennent le bateau, rêvant d’un eldorado occidental, et se retrouvent à vivre de squat en squat avec zéro perspective », s’émeut Aymeric Krol. Néanmoins, le groupe, fidèle à leur ville de cœur, souhaite avant tout diffuser une image positive de Bamako derrière un message fédérateur : « Il y a la guerre, un embargo économique, les frontières sont fermées mais Bamako reste un endroit génial, c’est quelque chose d’immuable. »
Cette phrase semble à elle seule résumer la résilience des Maliens, et de ceux qui tentent comme BKO, au gré des obstacles rencontrés évoqués à travers les saturations abrasives de Djine Bora, de lier les deux rives de la Méditerranée. BKO invoque les esprits, marie des traditions musicales opposées, lutte pour créer les sons qui les définissent et mènent des combats sociaux pour retransmettre le charme de la capitale malienne.