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MASA : les cultures africaines dans tous leurs états
L'Ivoirienne Carina Style lors de son concert au MASA 2022.

MASA : les cultures africaines dans tous leurs états

La 12e édition du MASA – Marché des arts du spectacle d’Abidjan – s’est refermée samedi soir. De la musique au théâtre en passant par la danse et le conte, le festival pluridisciplinaire nous a offert quelques belles rencontres.

Quand l’Ivoirien DJ Kerozen concluait, samedi 12 mars, le MASA par son concert, bien de l’eau avait coulé en une semaine sous les ponts Houphouët et De Gaulle qui encadrent le Palais de la Culture, épicentre et cœur battant du MASA, le Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan. Un évènement que l’État de Côte d’Ivoire finance aux trois-quarts, et qui réunit dans la capitale économique et bien sûr culturelle des artistes d’Afrique et d’ailleurs. En une semaine, plus d’une centaine de spectacles et une cinquantaine de troupes artistiques se sont relayées sur les diverses scènes : un marathon, et pas que pour le public ! Malgré quelques hoquets dans l’organisation, il y avait de quoi offrir, pour ce qui nous concerne, un bel échantillon de la diversité musicale en Afrique de l’Ouest et centrale.

Orchestre Jigeen Ñi au Palais de la Culture
MASA au féminin

Les femmes, qui comme dans d’autres secteurs d’activité font souvent figure de grandes oubliées, ont été mises à l’honneur cette année. Outre la « Nuit des Dames » qui leur était dédiée, plusieurs groupes exclusivement féminins ont pu montrer leurs talents à l’occasion de cette édition. On pourrait n’y voir qu’une tendance actuelle du marché, à l’heure où festivals, programmateurs et métiers de la musique tentent – et c’est tant mieux-  d’augmenter la représentation des femmes sur les scènes et les plateformes, mais certains de ces projets semblent vouloir aller plus loin, comme celui qui entoure l’orchestre sénégalais Jigeen Ñi (littéralement « les femmes » en wolof) dont les héroïnes sont toutes instrumentistes et chanteuses. Ce projet s’est accompagné de la création d’une école de musique réservée aux femmes, afin de pousser celles qui le souhaitent à s’engager dans l’apprentissage des instruments. Une manière, si cette aventure se pérennisait dans le temps, de dépasser le symbole qu’incarnait autrefois avec maestria l’orchestre des Amazones de Guinée, précurseur en la matière. D’ailleurs, la Guinée était musicalement représentée cette année par l’orchestre Djeli Guinée – un groupe calqué sur les glorieux ensembles instrumentaux de la Guinée et du Mali, qui dans les années 60 étaient chargés de perpétuer le patrimoine hérité des ancêtres. Koraïste, balafoniste, boloniste, percussionniste frappant callebasse… le projet a du sens et de l’avenir, même s’il est encore un peu jeune et demandera certainement du temps pour toucher à l’excellence dont faisaient preuve les aîné(e)s de Djeli Guinée.

Parmi ces femmes artistes, la plus jeune (19 ans) aura retenu notre attention. Khoudia Diop, c’est son nom, est originaire de Rosso-Mauritanie, la ville frontière qui regarde, par-delà le fleuve, Rosso du Sénégal. Elle n’avait que dix ans quand sa vie a basculé vers la musique, à l’occasion d’un concours de jeunes talents qui la voit partir, au Sénégal, représenter son pays. Son père qui n’y croyait pas, et voyait cette affaire d’un mauvais œil, devient alors son plus grand fan, et lui écrit même des chansons. Elles les chantent tout aussi bien en wolof, en hassaniya, en peul, soninké ou français, soit toutes les langues (ou presque) dont on use en Mauritanie. Mais c’est certainement dans la langue de Youssou Ndour qu’elle brille le plus, lui qui a influencé – et cela s’entend – sa manière de chanter. Ambassadrice de bonne volonté de l’Unicef depuis ses 13 ans, Khoudia a aussi des choses à dire. PAM vous la présentera plus longuement dans un article à paraître prochainement. En tout cas, après avoir été remarquée lors des Journées Musicales de Carthage, son show de 45 minutes aura eu le mérite de montrer sa maîtrise de la scène et toutes les promesses offertes par sa voix, qui sait à merveille dialoguer avec le xalam.

Entrez dans la zone 

Côté musique, la plus belle réussite de ce MASA est à coup sûr la « zone street arts » initiée en 2020 et dont c’était le retour cette année (le MASA étant une biennale). Sur une scène dédiée, entourée de fresques, ce fut durant une semaine un défilé de jeunes talents – en majorité ivoiriens, mais aussi sénégalais, congolais, camerounais… On ne doit pas s’étonner d’une telle réussite, quand on connaît l’équipe à la manœuvre : le rappeur et producteur sénégalais Awadi, le reggaeman Kajeem, la « go cracra du Djassa » – entendez la rappeuse Nash et le Camerounais Ngadjui Toko (qui dirige le Douala Music festival). Que du beau linge ! Mais cette équipe de choc n’était pas là que pour faire joli sur les photos. La cohérence de la programmation, mais aussi le fait que ces musiques dites « urbaines » attirent, dans un pays si jeune, beaucoup de monde… tout cela aura contribué à faire de « la Zone » la scène la plus fréquentée par le public. Une mention spéciale pour Jojo le Barbu, qui en 45 minutes d’un show efficace aura joué ses derniers tubes (« Bisou », « Iphone » ) et montré son talent pour jongler entre dancehall, hip-hop et bien sûr coupé-décalé, proposant ainsi une synthèse originale et réussie des cultures urbaines d’Abidjan. Le tout avec l’humour imparable des zougloumen.
Qui dit mié ?
La Zone, qui associait aussi la mode et les arts visuels, aura clôturé sa semaine avec le « kumbala » Ariel Sheney qui, même s’il était un peu à l’étroit sur cette scène pour déployer tous ses danseurs, aura livré un concert réussi, parfait pour entretenir la flamme auprès de son public, lui qui s’apprête dans les prochaines semaines à sortir un nouvel EP.

Il faut bien le dire, le succès de cette scène urbaine donne à réfléchir. Quand le MASA est né au début des années 90, on était en pleine explosion de ce qu’on commençait à appeler alors « la world music ». Les communications étaient plus rares (est ce que quelqu’un avait portable même ?) et les producteurs et programmateurs (occidentaux ou africains) avaient absolument besoin d’une telle plateforme pour découvrir de nouveaux talents. Bien des stars – en devenir et même confirmées –  y ont alors joué. Trente ans plus tard, les musiques urbaines circulent autour de la planète plus vite que jamais, et constituent pour ainsi dire un langage universel dont l’Afrique est l’une des académies. Comme on ne peut cacher le soleil avec la main, il semblerait que dans « la Zone » se dessine déjà ce que pourrait bien, côté musique, devenir le MASA.

220 logements, une seule Côte d’Ivoire

On l’aura compris, ce compte rendu forcément partiel n’est fait que de morceaux choisis. Il faut dire que le nombre de disciplines représentées au MASA (neuf en tout, pour plus de cent spectacles), si elles font la force du festival, compliquent l’organisation et la lisibilité des programmes. Le MASA veut embrasser beaucoup, mais pas facile d’être partout au même moment, que ce soit pour les organisateurs ou même… pour les spectateurs. Sans même parler du festival off ! Pourtant, c’est précisément là où nous emmène la fin de cet article : à la Fabrique culturelle, centre culturel fondé en 2014 par Chantal Djédjé, qui y présentait sa pièce de théâtre 220 logements (mise en scène par Souleymane Sow).

Car ce spectacle, qui porte le nom d’un quartier d’Abidjan, se déroule justement dans ce grand ensemble de plusieurs tours construit en 1960, année de l’indépendance. C’est vu de ce microcosme on ne peut plus ivoirien qu’on suit un groupe de voisins dans sa vie quotidienne. Celle-ci connaît ses joies et peines mais elle est surtout bouleversée par les spasmes socio-politiques qui vont agiter la Côte d’Ivoire à partir de 1990 (l’introduction du multipartisme, la mort d’Houphouët-Boigny, sa succession…  jusqu’au coup d’état du général Guei). Mais cette chronique qui mêle les petites histoires très humaines à la grande histoire (qui l’est souvent moins) s’accompagne d’une bande son choisie-celle des années 1990-1999, que les comédiens tantôt interprètent a cappella, ou que l’on entend diffusée en extraits comme autant de piqûres de rappel. On s’en doutera, le zouglou s’y taille la part du lion :  « Gboglo Koffi » » (Didier Biler et les Parents du Campus) accompagne bien sûr l’agitation sociale et politique dont les étudiants déclassés seront le fer de lance, « Les Côcos » (Yode) brosse avec humour un tableau grinçant de la société ivoirienne frappée par la crise économique, où les Côcos (« ceux qui vivent dans la poche des autres ») sont partout. Ce spectacle, trop long (1H44) pour rentrer dans la sélection officielle du MASA, allie humour et émotion, et touche des points sociétaux sensibles – la question du viol, du rapport entre les générations, la xénophobie… bref, il mérite absolument d’être vu – d’autant que, bien rythmé, il passe à toute vitesse.  Comme ce 12e MASA d’ailleurs, qui déjà laisse la place au RICA, les Rencontres Interculturelles du Cirque d’Abidjan, qui s’ouvrent aujourd’hui et confirment le carrefour culturel qu’est redevenue la capitale économique. Au point où l’on (re)dit d’elle : Abidjan est grand, c’est le monde qui est petit.

Les personnages de 220 logements dans un moment d’enjaillement. Photo DR
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