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Ibaaku : fer de lance de l’électro sénégalaise
© Jean-Baptiste Joire

Ibaaku : fer de lance de l’électro sénégalaise

L’artiste futuriste sénégalais poursuit son exploration des mondes en train de naître dans la capitale mutante qu’il a baptisée « Neo Dakar ». Pour PAM, il revient sur sa démarche et dit son amour de toutes les fusions. Interview.

Nourri au biberon des classiques de jazz et de musiques ouest-africaines, le jeune Ibaaku Bassene fait ses premières armes d’artiste dans le monde du hip-hop des 90s sous le pseudonyme de Staz. Début 2000, il part vivre à Bamako où il se lance à fond dans la musique, multiplie les freestyles à la radio, monte un groupe et participe à la première mixtape Malirap. A son retour à Dakar, il intègre le collectif Lyrikal Zone 3, sorte de Wu-Tang ouest-africain : une quinzaine de mecs qui mettent le feu sur les scènes de la sous-région.

Mais la curiosité et la soif d’innovation de cet inlassable explorateur l’emmènent à la découverte d’autres univers tant sonores que visuels. Au travers du groupe I-Science, d’abord, vite qualifié d’ovni musical sur la scène sénégalaise. Il rejoint également le collectif des Petites Pierres, où il côtoie d’autres créatifs comme la styliste Selly Raby Kane, avec qui il produit la bande son de la collection Alien Cartoon, lors de la Biennale de Dak’Art 2014. C’est un moment fondateur au cours duquel Staz devient Ibaaku, un poète sonique dont l’univers futuriste se définit par la fusion d’influences aussi diverses que possibles. Cette mutation lui apportera un rayonnement international, avec tournées et sortie d’un premier album solo en 2016, sur le label Akwaaba. Depuis lors, il alterne grandes scènes comme les Transmusicales ou le Bushfire et les projets plus underground comme le groupe Waï Faï Spirit.

Sa musique trace des ponts entre passé, présent et futur, et encourage son public, qu’il surnomme affectueusement « mes hybrides », à explorer des mondes de diversité. Son dernier projet, Neo Dakar, rend hommage aux acteurs de la nouvelle scène artistique dakaroise et se veut témoin des mutations profondes que subit la ville. Rencontre avec Ibaaku, fer de lance de l’électro sénégalaise.

IBAAKU – Mystere des Affaires Étranges (Vizionizer)

Pour commencer, peux-tu nous parler des musiciens qui t’ont influencé?  

A la base, beaucoup de musique africaine et de jazz, tirés de l’énorme discothèque de mon père. Il avait plein de musiques noires américaines, genre Duke Ellington, Quincy Jones, Miles Davis et bien sûr tous les classiques ouest-africains avec Youssou Ndour, Salif Keïta, Waziz Diop, Xalam, Meiway… bref, la liste est quasi infinie. Je kiffais la musique, évidemment, mais au-delà de ça, je dévorais les bouquins sur les musiciens eux-mêmes. Je voulais comprendre leur état d’esprit, leur style de vie, leur manière de travailler aussi.

Dans le hip-hop c’est surtout RZA du Wu Tang qui m’a parlé, quand j’ai compris son délire – je faisais aussi des arts martiaux à l’époque et ça m’a aidé à rentrer dans son univers – et aussi J-Dilla, Timbaland, et Swizz Beatz notamment. J’ai découvert comme ça les sample de funk, de soul et le mélange des cultures musicale et cinématographique.

Au final, quels enseignements retiens-tu de ces lectures ? 

En fait, j’ai toujours été intéressé par l’envers du décor, au-delà de la musique elle-même. Comprendre les personnages et les trajectoires de vie. La bio de Miles Davis, par exemple : ce côté rebelle, l’intensité de sa musique, son propos, ses choix de vie.

La vérité, être artiste, c’est bien plus qu’une carrière. C’est tout un cheminement, tout un apprentissage, des expériences, des rencontres qui façonnent un mode de vie. J’ai toujours eu ce modèle en tête : le jazzman qui joue jusqu’à son dernier souffle, qui sort des albums hors du temps. Qui se renouvelle, traverse les époques, et reste dans l’air du temps, tout en apportant du neuf, du frais. Il y a aussi cette idée de se maintenir à niveau, même technologiquement. Comme quand les synthés ont débarqué, ça a déclenché toute une vague psyché dans le jazz, ça a aussi permis d’explorer de nouvelles fusions, avec le rock par exemple.

Dans ce sens-là, l’album Back On The Block de Quincy Jones est l’un de ceux qui m’ont le plus marqués. Plusieurs générations s’y retrouvent et il en fait quelque chose de cohérent… C’est assez dingue, tu as des légendes du jazz comme Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan avec des rappeurs comme Ice T et Big Daddy Kane sur le même disque. C’est trop beau, il n’y a vraiment pas de limites !

© Jean-Baptiste Joire

Briser les limites entre les genres, s’appuyer sur les influences les plus diverses… je ne sais pas s’il y a un lien mais est-ce pour cela que tu utilises le terme « hybride » à toutes les sauces? 

(Rires). C’est vrai, on retrouve ce terme dans presque toutes mes interventions… En fait, cette idée « d’hybride » représente vraiment comment j’ai grandi et les influences diverses que j’ai reçues. C’est une manière de parler à un public qui me ressemble, avec un parcours qui n’est pas figé dans une seule culture. Ça évoque des gens qui creusent, qui sont allés chercher des inspirations très différentes et qui les ont forgées. J’ai eu cette chance d’être confronté à de nombreux styles de vie. D’ailleurs, dans l’univers d’Alien Cartoon, Ibaaku a une mère Alien et un père Humain : ça fait de lui un hybride.

La diversité est une richesse, et d’ailleurs c’est quelque chose qui m’a toujours frustré dans le hip-hop au Sénégal : il y avait toujours ce débat autour de ce qui est vraiment hip-hop et ce qui ne l’est pas. C’est stérile, et en vrai, si tu connais l’histoire du hip-hop, tu ne peux pas tenir ce discours. C’est un mouvement qui s’inspire de tellement de sources différentes, il y a un continuum dans la musique, une constante évolution. Pour moi, différents mondes qui fusionnent, qui donnent quelque chose de nouveau, une alternative, c’est magnifique et je me rends compte que beaucoup de gens se retrouvent dans une telle vision.

© Jean-Baptiste Joire

Ton dernier projet s’appelle Neo Dakar, de quoi s’agit-il?

Neo Dakar, moi je le conceptualise comme un courant culturel et artistique, qui couvre architecture, musique, design, cinéma, littérature, danse, etc. Pour chaque discipline, il y a différents artistes qui font avancer les choses. Au départ, c’était un courant assez alternatif, qui commence à se populariser, avec des Selly Raby Kane (styliste, designer), Alibeta (musicien), Omar Victor Diop (photographe), Sahad (musicien), la compagnie de danse La Mer Noire, il y a aussi l’écrivain Felwine Sarr et une nouvelle vague littéraire… beaucoup de nouveaux profils qui se manifestent sur Dakar, et qui ont un rayonnement international. En parallèle, il y a aussi ce qu’on peut observer tous les jours : la ville est en train de muter – pas forcément dans le bon sens d’ailleurs – mais c’est un fait, toutes ces constructions, toute cette effervescence. C’est tout ça que j’appelle le Neo Dakar.

En fait, je me suis projeté dans le futur en me disant : si j’étais historien de l’art, comment est-ce que j’appellerais cette période ? Le nom est parti de là. J’avais une émission sur Vibe Radio dont l’ambition était justement de donner une plateforme aux nouveaux artistes. Notamment avec l’avènement des musiques électroniques au Sénégal : Guiss Guiss Bou Bess, ElectrAfrique, et d’autres… Il y a un vrai bouillonnement : les soirées électro qui prennent de l’ampleur, les DJs de clubs commencent à passer de l’amapiano et de l’afro house régulièrement dans leurs sets. Il y a dix ans on n’avait pas cette matière-là sur Dakar.

Musicalement, Neo Dakar c’est aussi ma manière de plus connecter avec le public sénégalais et de placer Dakar sur la carte de l’électro mondiale. Une forme de rôle d’ambassadeur pour l’innovation qui a lieu à la maison, et dont on n’entend pas forcément parler à l’international.

L’année passée j’ai lancé Neo Dakar Vol. 1, que j’envisage comme le manifeste de la scène créative dakaroise en pleine mutation vers le futur. Le volume 2 de la série vient de sortir, d’ailleurs, dans une esthétique similaire.

© Jean-Baptiste Joire

Bien qu’orienté vers la nouveauté, Neo Dakar commence par un retour en arrière, en revisitant des classiques comme Coumba Gawlo ou Youssou Ndour. Tu peux nous en dire plus ?

Au niveau esthétique et inspiration, je suis un gros fan de vapor wave (voir des artistes comme Oneohtrix Point Never ou Macintosh Plus). Ces producteurs sont allés puiser dans le passé de la culture capitaliste et technologique. Il y a un côté nostalgique des 80s/90s qui est en fait très actuel. Cette démarche me parle beaucoup, et j’ai cherché à plus l’affirmer dans ma production musicale. Il y a une dimension aussi plus conceptuelle, l’idée de ne pas courir trop vite vers le futur. On ne peut pas y aller sans bagage. Il faut avant ça puiser dans le passé, dans l’héritage. Comprendre d’où on vient pour savoir où on va. Enfin, un troisième élément c’est la grosse charge émotionnelle que je ressens par rapport à ces morceaux et ces artistes, qui ont façonné notre univers.

 Je pense qu’on est dans un moment de transition. On est dans le futur que penseurs et artistes ont toujours prophétisé. Avec la crise économique, sociale, sanitaire. La révolution numérique. Notre génération est en train de vivre une période charnière qui simultanément nous ramène à l’histoire et nous projette vers la suite. Mais qu’est-ce qui nous attend ? En tant qu’artistes on doit se positionner sur ces questions, parce que la culture a toujours eu cette capacité d’anticiper les choses.

Pour Neo Dakar Vol. 1 et 2, j’ai voulu puiser dans des morceaux classiques qui rappellent forcément quelque chose à beaucoup de Sénégalais. Tu vois, un album comme Wommat (de Youssou Ndour, NDLR), d’où j’ai samplé le morceau Dem. Sauf erreur, c’est le premier disque d’or sénégalais, grâce notamment au hit planétaire « Seven Seconds ». Pour nous, c’était le premier album qui mélangeait mbalax, hip-hop et soul par exemple. Dans Neo Dakar, on réinterprète ce genre de fusion.

La série va continuer, en mode cette fois plus futuriste. En fait, ces deux premiers volumes contiennent pas mal de sons que j’avais produit il y a longtemps. Certains même une dizaine d’années. A l’époque, j’avais l’impression qu’ils ne collaient pas vraiment avec l’état de la scène au Sénégal. C’était peut-être trop expérimental ou avant-gardiste. J’attendais le bon moment…  Maintenant que c’est sorti, je peux tourner la page et regarder vers le futur. Le Volume 3 doit paraître avant l’été, avec en prime plus de voix sur les beats, parce que oui, je kiffe chanter (grand sourire).

Retrouvez Ibaaku dans notre playlist afro + club sur Spotify et Deezer.

Neo Dakar Vol. 1 et 2, disponible via Bandcamp.

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