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The Pan African Music Magazine
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Focalistic : le Président de l’amapiano est à Paris

Après avoir conquis Lagos, Dar-Es-Salam ou Londres, Focalistic s’apprête à faire chavirer Paris le 27 février, lors d’une soirée qui s’annonce mémorable. L’occasion de revenir avec lui sur le parcours fulgurant qui a fait de lui un « Président ».

C’est dans son hôtel parisien que nous rencontrons Lethabo Sebetso alias Focalistic, quelques jours avant sa performance dans la capitale. La scène a quelque chose de prophétique, quand on sait qu’il y a deux ans, son EP Quarantined Tarantino le voyait consacrer un morceau rêveur à la Ville Lumière. C’était un Focalistic différent, avec un style trap, américanisé et des paroles en anglais qui interprétait ce titre ; les choses ont bien changé depuis. Leader de la vague amapiano, qui n’a pas fini de tout emporter sur son passage, on le retrouve désormais au sommet des charts africains, dans l’avion avec la superstar Davido ou en tournée en Angleterre avec des sonorités sud-africaines pures et dures et des couplets en sepitori, la lingua franca urbaine de Pretoria et de la région métropolitaine de Tshwane. Ce changement de style, selon lui, n’en est pas réellement un. « Evidemment, les gens ont l’impression qu’il y a eu un changement brusque », commence-t-il après avoir mis ses lunettes noires. « Si tu allumes une télé chez nous maintenant, je suis sûr que c’est un rappeur américain que tu verras. Donc tu finis par penser que tu dois être comme eux pour percer. Mais il y a juste eu un moment où j’ai eu assez confiance pour dire ‘en fait, vous allez m’écouter rapper en sepitori’, sur un beat de Pitori. J’y vais à fond et c’est une évolution que je ne regretterai jamais. Pitori to Paris ! » 

Focalistic Ke Star (Official Music Video) ft Vigro Deep
De Pitori à Paris

Pitori, c’est Pretoria, la capitale administrative du pays à quelques kilomètres de la bouillonnante Johannesburg. « D’où je viens, on écoute de la musique dans les taxis », raconte-t-il. «Les chauffeurs utilisent la musique pour inciter les jeunes à venir dans leur véhicule. J’y entendais du RnB, du hip-hop, et principalement du bacardi (un sous-genre de house ayant atteint des sommets de popularité dans le pays au milieu des années 2000, NDLR). Comme le son de DJ Mujava, par exemple.» À l’ombre du Union Building, de la statue de Mandela ou du Freedom Park se trouvent en effet les vrais monuments de Pretoria : des figures comme DJ Mujava, Machance ou DJ Spoko, leaders et pionniers de la bacardi music. Alors que faute de budget, de management et de documentation, la scène est majoritairement tombée dans l’oubli, Focalistic s’est toujours revendiqué de la lignée de ces producteurs fulgurants qui ont profondément marqué la culture sans jamais recevoir leur couronne. Son premier gros morceau, « 19 Tobetsa », est d’ailleurs une référence au « Tobetsa » de Mujava. « Il nous faisait rêver », dit-il à l’évocation du DJ. « C’était l’un des premiers artistes internationaux de notre ghetto. Il nous a montré que le sepitori pouvait conquérir le pays, le monde : nous sommes les enfants de Mujava. Ma première interaction avec une superstar, c’était lui. Je jouais au foot, et il est passé au volant d’une BMW noire, toit ouvrant. Je me souviens encore de tous ses couplets. » 

Cet héritage « pitorien » a son importance, quand on connaît le dédain que la hype de Johannesburg a longtemps voué à Pretoria, jugée comme une ville soit administrative et ennuyeuse, soit tapageuse et grossière. « Ils disaient qu’on était ‘ratchet’ [vulgaires]. La culture des taxis, la musique forte, les gens qui sautent par la fenêtre… Moi, j’avais une vie double : je vivais dans le ghetto, mais j’allais à l’école à Midrand, qui est plus résidentiel, et où ça écoute plus de rap. Ça a créé qui je suis : quelqu’un qui comprenait la scène de Pretoria, mais qui achetait des CDs de T.I. » (rappeur américain). 

Focalistic, Madumane and Mellow & Sleazy – 16 Days No Sleep [Feat. DJ Maphorisa]

Être différent : une constante dans la carrière de Focalistic, qui a par exemple été l’un des premiers à ouvrir la bulle locale de l’amapiano au reste de l’Afrique, allant chercher des collaborations et des concerts en Tanzanie, au Nigéria, au Ghana ; l’un des premiers également à s’ouvrir aux journalistes, dans une scène réputée très frileuse à l’égard des interviews. Avoir vécu dans deux mondes, la rude banlieue de Ga-Rankuwa et la zone tranquille de Midrand, le rend à l’aise partout. Même au milieu d’une ville qui lui est inconnue, après une nuit courte et un voyage fatiguant, le regard est ferme, les paroles sont maîtrisées et aucune once d’intimidation ne transparaît. « J’ai étudié les sciences politiques, ce qui me permet de comprendre la propagande dont nous faisons l’objet », explique-t il. « On nous a fait croire que nous étions différents mais nous ne le sommes pas, il y a des ghettos dans chaque pays. Donc maintenant, je bouge et j’essaie de trouver des gens avec la même histoire dans différents pays, et je m’amuse avec la musique comme on le fait à Pretoria, mais à l’échelle mondiale. » Avec cette prise de conscience est venue la confiance, et créer n’a jamais été aussi facile pour lui :  il n’écrit même pas ses couplets, nous glisse-t-il après nous avoir assuré que de toute façon, il ne se considère plus comme un rappeur. 

Président de la rue

Le dernier EP en date, President Ya Straata, a été un condensé de tubes, chargé de couches de synthétiseurs sombres, de punchlines bien placées et de percussions explosives. Le titre du projet a marqué une nouvelle direction dans la manière dont Focalistic se présente : le « Président de la rue », voix des sans-voix. « Les gens n’arrêtaient pas de me le dire ! », répond-il quand on lui demande quand s’est-il senti légitime pour un tel titre. « J’ai toujours juste fait mon truc en racontant mes propres histoires, ma musique est mon journal intime. Et avec le temps, les gens ont réalisé que je parlais toujours de choses réelles. S’il y a une règle que je n’aime pas, vous l’entendrez probablement dans une chanson : j’ai été l’une des premières personnes à dire Fees Must Fall [mot d’ordre des manifestations étudiantes qui en 2015 protestaient contre la hausse des frais d’inscription à l’université, ndlr]. J’ai failli être arrêté, alors que j’étais encore à l’université ! J’ai toujours dit ce que je voulais dire, et je suis juste content que les gens s’y soient attachés. J’imagine que partout, les gens aspirent à un président honnête », ajoute-t-il en riant. 

Dans ses politiques quotidiennes, son excellence est d’ailleurs accompagnée par le crew du 18 Area, un label qu’il a lui-même fondé. Président, artiste et chef d’entreprise, Foca s’est entouré de ses amis, qui se sont professionnalisés en même temps que lui. « On produit, on on performe, on tourne… et on doit aussi être nos patrons à temps plein ! C’est là où va le monde aujourd’hui. Si tu ne travailles pas aussi dur, alors c’est toi le problème. » Une philosophie qui explique bien le message du morceau « 16 Days No Sleep » (16 jours sans dormir) : « le titre est assez explicite, mais en même temps, c’est de ça dont la rue parle. Je suis sûr que même dans ces rues, des gens te diront qu’ils ne dorment pas, parce qu’ils essaient de toucher leurs rêves », dit-il en se tournant vers Paris. 

Travailler dur, être son propre boss, enchaîner les nuits blanches, n’est finalement qu’une question de survie dans la jungle de l’industrie. Mujava, perdu dans les méandres des labels et des royalties, ne s’est jamais vraiment remis de son hit « Township Funk » ; comment éviter de refaire les mêmes erreurs ? « En devenant le patron ! » répond-il sans hésitation. « Peu de gens parlent du mal que les labels ont fait à notre musique et aux artistes dans notre situation. Des gens ont été exploités et n’ont jamais vu un seul centime de leur musique. C’est pour ça que je parle toujours de Mujava : il a été privé de cette opportunité par les labels. Je fais en sorte que ce soit différent parce que je suis le maître de ce qui se passe, je possède mes masters, c’est mon plan, personne ne le changera jamais. » La même question peut être posée pour l’amapiano : comment être sûr que le succès du genre bénéficie aux artistes sud-africains ? En bon élu local, Foca a la réponse à tout : « Avec les bons avocats, la bonne comptabilité, il n’y a aucune chance que l’on perde. Et si vous n’avez pas ça et que vous lisez cette interview, il est temps pour vous de faire quelques recherches. L’amapiano est aussi tellement jeune qu’on a eu l’occasion de se tromper, mais aussi le temps de se corriger. »

Il y a encore quelques années, Focalistic affirmait vouloir continuer « until the Grammy » (jusqu’à décrocher un Grammy). Après avoir embrassé son identité prétorienne, son africanité, avoir fait le tour du continent et de l’Europe, est-ce toujours un objectif ? « Non », répond-il, assumant avoir changé. « il n’y a pas de récompense pour avoir touché autant d’âmes que j’ai touchées en étant moi-même. Sans manque de respect aux Grammy Awards, mais ce que nous faisons est plus important que la validation. Je veux que les gens de mon quartier soient fiers de venir d’où ils viennent. Drake l’a fait pour Toronto, Kanye l’a fait pour Chicago, alors pourquoi les gens ne motivent-ils pas les jeunes d’Afrique du Sud à le faire pour eux-mêmes ? Je veux gagner leur cœur, pas le Grammy. Je veux pousser ce son et voir jusqu’où nous pouvons être créatifs, continuer jusqu’à ce que j’ai 72 ans pour que quand je regarde en arrière, qu’on ait gagné six Grammy sans avoir jamais rien fait dans le seul but d’obtenir un Grammy. Le Grammy pourra même retourner au quartier, et on le mettra dans le studio à 100 millions qu’on aura construit ». Tout un programme pour le President Ya Straata. 

Focalistic est la tête d’affiche de la seconde édition de This Is Amapiano à La Bellevilloise à Paris dimanche 27 février 2022.

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