Rencontrés lors de la 43ème édition des Transmusicales de Rennes, Mahalia Ravoajanahary (chant, guitare), Michael Raveloson (basse, chant) et Natiana Randrianasoloson (batterie, chant) forment LohArano (« La Source »). Depuis maintenant six ans, ils revisitent le rock-métal en valorisant la culture malgache. Originaires d’Antananarivo, une mégapole de 3,5 millions d’habitants, ils infusent leur musique de multiples influences qu’on retrouve dans leur premier album, Lohamboto (paru en novembre 2021). Ils puisent notamment dans des genres populaires malgaches, comme le Tsapiky et le Salegy. Pour leur premier concert en Europe, le trio a offert une prestation mémorable. Prestance, justesse et émotions en étaient les maîtres mots. Michael et Natiana impressionnent à la basse et à la batterie, pendant que Mahalia galvanise la foule avec une interprétation d’une grande puissance. Tout en entrecoupant chaque morceau de déclarations qui résonnent en chacun et suscitent l’émoi : « Inutile de se dénigrer pour plaire aux autres » ; « Aux gens qui auront toujours quelque chose à dire, sachez qu’on n’en a rien à foutre » ; « Il y a ces moments où ne sait plus qui on est, on ne sait plus où aller, on se sent perdu… » ; « Aux opprimés à qui on en met plein la gueule tous les jours et qui ne peuvent rien dire… » Discussion avec un groupe qui, puisant son énergie à la source, dépasse aujourd’hui les frontières de l’île, et redonne espoir à une communauté rock isolée.
Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ?
Mahalia : Les artistes qui passaient à la radio locale comme Jaojoby, Tarika be, Damily, D.Gary, et aussi des artistes comme Jimmy Hendrix, AC/DC, Deep Purple, Nina Simone, Ella Fitzgerald…
Natiana : Pour moi aussi c’était les groupes locaux qui passaient à la radio, avec Mily Clement, Samoela, Mahaleo… des trucs qui faisaient danser les gens. Et mon père était DJ, il me faisait écouter beaucoup de techno et d’électro. J’ai découvert le rock plus tard, et là, ça a été le coup de foudre.
Michael : Pour moi, avant tout ce sont les berceuses de mon pays et après, les artistes locaux.
Comment êtes-vous passés d’auditeurs à musiciens, quel a été le déclic ?
Mahalia : À force d’écouter des sons de Jimi Hendrix, System of a Down, Rage Against the Machine etc… t’as envie de les reproduire. Tu commences par chantonner, puis tu le fais et ça devient une passion. Mon père était guitariste. En le voyant jouer, je lui ai dit : « apprends-moi » et, par la suite, c’est devenu une grande passion.
Natiana : Je découvrais ma passion pour le rock et j’avais des potes musiciens qui allaient répéter au studio. Je les ai accompagnés, sans vraiment savoir ce qu’il s’y passait, juste pour passer un bon moment… Et dès que j’ai entendu le son de la batterie, j’ai eu un autre coup de foudre…
Michael : Pour moi, la musique c’est ce que je fais de mieux dans la vie. Mon grand-père qui jouait de la guitare et, petit à petit, il m’a entraîné dans le truc. Ensuite, à mes 18 ans, je suis entré dans un club de jazz et ça a commencé comme ça.
Finalement, vous venez tous de milieux familiaux où il y avait de la musique
Mahalia : À Madagascar, presque tout le monde fait de la musique.
Avec le peu de moyens à disposition, comment la communauté rock s’organise pour faire des concerts et répéter ?
Natiana : Financièrement, c’est dur pour la communauté rock. Les organisateurs ont peur de programmer des shows rock car ça leur rapporte que dalle. Les groupes se cotisent pour louer des petits studios de répétition et des petites salles de concert. Ce n’est pas du tout lucratif, c’est vraiment pour la passion. Pour les scènes on essaye de se trouver des petites salles par-ci par-là. Seuls quelques groupes arrivent à faire de grands concerts, mais ce ne sont pas forcément des fanatiques de rock. C’est de la musique qui passe facilement aux oreilles du grand public, plutôt du pop-rock ou rock FM. Pour la communauté rock, en général, ça reste dur.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez quitté vos groupes respectifs pour monter le vôtre, ensemble ?
Mahalia : On s’en rappelle. C’était très délicat car c’était une grande décision. Le groupe LohArano représente ce qu’on voulait vraiment : créer notre genre musical, sans limites. Chacun a fait son choix de lui-même, mais ça a été dur d’en parler aux autres groupes.
Natiana : Il y avait aussi un petit challenge : dans nos groupes respectifs, c’était pas commun d’être avec des personnes qui voulaient faire de la musique sérieusement. Nos anciens groupes voulaient faire de la musique à côté de leur carrière et répéter une fois par semaine. Alors que moi je voulais travailler tous les jours. Je commençais à tout le temps les faire chier pour répéter, alors qu’ils n’étaient pas dedans. Pour eux c’était d’abord le travail et après le studio, comme un amusement. Alors que nous, chacun de notre côté, on voulait déjà ne faire que de la musique.
Le titre de votre premier album, sorti le 19 novembre dernier, Lohamboto, signifie « tête dure ». En interview vous déclarez que votre communauté est têtue et que ça l’empêche d’évoluer… À quels niveaux remarquez-vous ça ?
Natania : Un peu à tous les niveaux…
Mahalia : Dans la vie sociale, la manière de vivre… Au lieu d’avoir la tête dure sur des choses qui nous bloquent, on devrait l’avoir pour avancer.
Natiana : C’est un peu dur de tout résumer. C’est quelque chose qu’on vit depuis tout petit. On ne stagne même plus, on est carrément en train de décliner. Que ce soit économiquement, mentalement etc. Pourquoi il n’y a plus de panneaux de signalisation chez nous ? Parce que dès que t’en places un, la nuit ça disparaît. Il y a des bacs à ordure, mais quasi tout le monde jette ses ordures partout, on pisse partout… C’est vraiment la mentalité. On a du mal à accepter la discipline. C’est un peu dur pour nous en général, ça persiste et ça nous bouffe. Et ça, c’est comme ça dans tous les domaines. Si tu vas dans une menuiserie quelconque pour faire construire une table de 4×2 mètres, t’auras toujours un écart de quelques millimètres ou centimètres… C’est pas carré.
Chanter en malgache et ajouter des influences locales dans votre musique permet de valoriser votre culture. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Nanti : il y a un gros complexe chez nous. Le Malgache n’arrive plus à se dire qu’il peut accomplir quelque chose. On commence à se dire que les étrangers sont trop bons et on se rabaisse, même sans faire exprès. C’est pour ça que c’est devenu un complexe. Pour essayer de changer ça, même si on fait du rock, on veut leur montrer qu’on peut faire du bon rock avec notre langue. On peut bien sonner avec notre style, on n’a pas besoin de copier ou de juste admirer les autres. On peut avoir notre truc à nous et être très bons. On essaye de revaloriser cette mentalité à travers notre musique.
Mahalia : En plus c’est un peu triste parce que parmi les jeunes d’aujourd’hui, ceux nés à l’an 2000, il y en a beaucoup qui commencent à ne plus savoir parler malgache correctement, ils mélangent d’autres langues. Ils s’expriment mieux en français qu’en malgache et ils trouvent ça cool… c’est horrible…
Natiana : Ils trouvent que c’est prestigieux…
Mahalia : Alors que parler le malgache sans mettre de mots étrangers, c’est la classe !
Et tu le prouves à travers ton interprétation : l’intensité et la prononciation que le malgache te permet d’avoir donnent une autre dimension à votre musique. Lors du concert, tu débordais d’énergie et le public était fasciné par votre prestation. D’ailleurs, dans vos morceaux vous parlez de sujets sociaux, est-ce qu’il y a un morceau en particulier que vous pourriez m’expliquer ?
Mahalia : « Trandroka », ça veut dire « les cornes ». C’est un morceau de l’EP LohArano qui parle de solidarité. C’est un fantasme pour nous…
Natiana : C’est un fantasme parce que quand il y avait notre équipe nationale qui commençait à entrer dans la CAN (Coupe d’Afrique des Nations, NDLR), il y avait tout le pays derrière eux. On n’avait jamais vécu quelque chose comme ça : voir tout le monde soudé derrière quelque chose qui lui tient à cœur. Et on s’est dit que ce serait trop cool si c’était tous les jours comme ça dans le pays, pour que la communauté avance. C’est le sentiment qu’on a ressenti durant cette époque-là et qui nous a inspiré pour composer le morceau : quand on est solidaires, on est forts et personne ne peut nous rentrer dedans. Faut pas nous chercher, sinon on va vous mettre dans la merde.
Qu’a changé votre signature en label ?
Natiana : Presque tout, car déjà faire carrière musicalement chez nous, c’est très dur. Pouvoir avoir une belle structure pour travailler, te faire écouter partout, qui booke tes concerts etc… sans eux on n’en serait pas là du tout. Ça a tout changé !
Est-ce que dans votre ville, le regard à votre égard change depuis que vous exportez votre musique ?
Natiana : Ça commence vraiment car déjà, il y a beaucoup de groupes qui ont commencé avec nous et qui commençaient à abandonner en disant : « on va aller au taf maintenant, c’était juste un rêve, il faut être réaliste, etc. » En fait, on essaye de montrer que c’est aussi de la performance, de la persévérance et qu’il faut taffer pour ça. Tu vas pas te poser chez toi en attendant que les gars d’Hollywood viennent. Il faut savoir où chercher, se forger les bonnes relations, etc. Tout ça c’est du taf.
Lohamboto, toujours disponible.