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Hervé Samb, l’âge du solo
© Guillaume Saix

Hervé Samb, l’âge du solo

Le guitariste sénégalais, cosmopolite et éclectique, a toujours été apprécié des artistes qu’il a si bien accompagnés. Il publie enfin Benn, son premier album solo. Interview.

« Toute ma démarche est de sonner comme j’ai envie, comme je suis. Pas comme un guitariste d’un genre précis, plutôt comme un musicien multiculturel. » Hervé Samb ne croyait pas si bien prédire en 2008, alors qu’il publiait son premier album sous son nom, le bien nommé Crossover. Le guitariste conviait aussi bien des slameurs de Brooklyn que des tambours de bouche guadeloupéens, des voix sénégalaises et même du gospel. À trente ans, celui qui a pris la six-cordes avec pour modèles les grands pairs du blues, Hendrix comme BB King, faisait le point depuis son arrivée à Paris, en 1998.

Dès lors, le nom d’Hervé Samb va circuler dans la communauté des grandes oreilles. Sous ses faux airs discrets, le guitariste sénégalais s’est fait remarquer sur de nombreux projets. Du style varié, du doigté et de bonnes idées. En musique, il parcourt ainsi la gamme de tous les répertoires dans lesquels il a bâti son originalité : blues organique et jazz éclectique, m’balax tellurique et ballade onirique, le natif de Rufisque aura ainsi mis ses qualités au service de la Rwandaise Somi comme de l’Américaine Meshell Ndegeocello, de Lisa Simone ou Charlotte Dipanda.

Après un méditatif Kharit, en duo avec le percussionniste Daniel Moreno où il témoignait de son besoin de sortir des cadres des frontières stylistiques, puis Time To Feel, un projet à la tête d’un quartet majuscule (Reggie Washington à la contrebasse, Olivier Temime au saxophone  et Chander Sardjoe aux baguettes) pour un jazz à la puissance extralarge, le guitariste publiera en 2017 Teranga, avec violoncelle et kora, Wurlitzer et tama, tambours sabar et contrebasse. Il y interrogeait la place du sabar au prisme du jazz, en un jeu d’allers et détours entre ici et là-bas. Quatre ans plus tard, le revoilà, toujours dans ce fertile sillon qui raconte son parcours sur la planète musique, mais cette fois en solo. Comme un rite de passage ?

© Guillaume Saix

Pourquoi ce titre ?

Benn signifie « Un » en wolof. C’est comme un symbole d’unité, celle de l’humanité avec la nature, pour donner un message fort d’ouverture contre toutes les formes de rejets, que ce soit au niveau de la race, des religions, des cultures. Nous sommes tous pareils, c’est ce que nous révélait le confinement, lors duquel cet album a été composé. Cette maladie a éprouvé notre humilité. 

Justement, comment l’as-tu composé ?

Puisqu’il n’y avait pas de possibilités de faire des concerts, j’ai décidé d’organiser des rendez-vous hebdomadaires, le vendredi, où je présentais trois, quatre nouveaux morceaux écrits dans la semaine. Ça a duré deux mois, et au final, il y a aussi cette unité temporelle. 

Tu avais déjà enregistré « Kharit », en duo avec le percussionniste Daniel Moreno, mais en solo c’est la toute première fois…

J’ai toujours eu cet objectif en tête, mais je me suis toujours débrouillé pour repousser l’échéance. C’était à la fois un rêve et un challenge : avoir seul avec moi ma guitare, sans effets ni fioritures. Il a fallu qu’une amie, la chanteuse Somi, me le suggère au détour d’une conversation pour que je m’y mette. Elle m’a dit qu’on en aurait tous besoin avec le Covid. Et c’est ainsi que le projet est né, en se construisant pas à pas.

© Guillaume Saix

Qu’est-ce que ça t’a révélé ?

Beaucoup de choses. Bien entendu, les possibilités multiples de mon instrument, d’un point de vue technique, mais surtout au niveau de l’interprétation des mélodies.

Contrairement aux précédents disques, où tu convoquais de plus en plus de musiciens, la solitude te permet paradoxalement de produire plus de musiques… 

Tu as la possibilité de partir où tu veux, quand tu veux, alors qu’en général, à plusieurs, même si on se connaît bien et on se lance dans des improvisations collectives, il y a quand même moins de contrôle de l’émotion en temps réel. Seul on ose beaucoup plus. J’ai le sentiment qu’on peut dire plus, ou disons… différemment. Seul, tu prends conscience de l’environnement qui t’entoure, des énergies…

L’un des éléments clefs du solo est le silence, c’est-à-dire le début de la musique.

Oui, sauf que le silence fait peur. À plusieurs, on a souvent tendance à ajouter, à ne pas s’autoriser cette part de la musique qui bien exploitée permet une réelle intensité. D’ailleurs, quand tu converses avec un autre musicien, si la réponse se fait après quelques secondes, il y a de fortes chances qu’elle soit d’autant plus pertinente.

© Marianne BP

De fait, il est plus difficile de passer par le solo quand on a tout juste vingt ans… Ne crois-tu pas qu’il faut avoir vécu d’autres expériences, qui sont présentes, comme en écho, pour aboutir cette conversation avec soi-même ?

J’en ai quarante-deux (rires). C’est vrai que le solo m’a permis de me recentrer sur des valeurs essentielles de la vie, que l’on partage tous, et de faire une pause. Composer un solo, c’est une chose, et je pense que beaucoup d’artistes en ont dans leurs tiroirs. Le partager avec le public, c’en est une autre : on se livre, à nu, on assume tout, même nos imperfections. On s’entend, on se voit, sans faux semblant. Alors voilà, Hervé Samb, c’est ça ! Des premiers retours que j’ai pu avoir, les gens ont besoin de ce type de messages, vrais.

Pendant vingt ans tu auras beaucoup enregistré au service des autres…

Oui, mais en même toutes ces rencontres ont nourri mon jeu, l’ont densifié. À un moment, on fait le point, c’est une histoire de cycle.  Le solo, même si on est seul, c’est un vrai moment de partage, notamment en concert, où tu te rends compte que le public est encore plus avec toi. Ce sont de vrais moments de cohésion, de vibrations communes. 

Avec ce disque, on sent que tu passes un cap, et tu entrelaces naturellement au sein d’un même morceau toutes les pièces du puzzle qui constituent ton identité : un Sénégalais passé par Paris et New York, qui a fréquenté le m’balax autant que le jazz et le blues.

Quand on accepte qui on est, ces imperfections dont je te parlais, quand on prend conscience que chacune de cesdites erreurs est en fait une opportunité de créer, on parvient à aller sur des choses plus fortes, au plus profond de ton être et ton âme. Ce solo, je le ressens aussi comme le début d’une nouvelle approche de la composition.

© Marianne BP

Quel est le fondement compositionnel de ton univers ? Ton lien avec la culture mandingue ?

Je crois que c’est surtout le rapport entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord. Je creuse cette intimité qui renvoie à beaucoup d’expériences auxquelles j’ai eu la chance de participer. Amadou & Mariam avec qui j’ai joué tout jeune : en tournant avec eux, je me suis rendu compte de l’importance des musiques dites du monde, de leur complexité, alors qu’à l’époque j’étais à fond dans le jazz. Et puis il y a l’University Of Gnaoua, avec Aziz Sahmaoui qui m’a fait découvrir toute cette culture, et la relation naturelle avec la mienne, au Sénégal.

Tu as d’ailleurs un autre projet, Jazz Sabar né de ton précédent album Teranga. J’ai cru comprendre qu’il était question d’enregistrer une suite. Comment le solo va-t-il influer sur cette formule collective ?

En fait, j’ai enregistré un disque avec Jazz Sabar au même moment que le solo. Ce sont deux histoires, différentes et complémentaires. Jazz Sabar, c’est l’autre projet qui me représente le plus, puisqu’il me permet de mettre ensemble toutes les influences qui me traversent et parce qu’il répond à une question qui m’a beaucoup travaillé pendant des années : comment faire un album où les gens verront qui je suis vraiment ? De fait, mon solo y répond aussi, et il s’inscrit dans cette démarche même si esthétiquement il est plus ouvert. Il y a la même intention de mélanger le rythme et la mélodie, comme le font les joueurs de kora ou de balafon. Ils parlent tous la même langue, ce sont juste les fréquences qui sont différentes.

Hervé Samb, Benn (Euleuk Vision/Absilone)

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