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Sékouba, le « bambino » du Bembeya
© Éric Allouche

Sékouba, le « bambino » du Bembeya

Sékouba « Bambino » Diabaté est à n’en pas douter une des plus grandes voix africaines de notre temps. Invité au festival Africolor pour trois concerts, il revient pour PAM sur ses débuts, à l’ombre du Bembeya jazz de Guinée. Interview.

Bambino, un petit nom pour une grande voix qu’on pourrait à bon droit ne plus présenter tant sa carrière, en solo comme au pluriel avec Africando ou Mandekalou a été émaillée de grands succès. En Guinée, existe-t-il d’ailleurs de plus grande voix depuis Kouyaté Sory Kandia ou Aboubacar Demba Camara ? On laissera aux mélomanes les débats passionnés pour trancher une si violente question. Mais en attendant, celui qui jouera au festival Africolor (avec son orchestre, mais aussi avec Moh! Kouyaté et enfin avec l’orchestre classique Afriquatuors) revient, le temps d’une longue interview, sur ses débuts. Car avant de devenir Bambino, le tout jeune Sékouba Diabaté avait déjà fait sensation dans sa région d’origine, la Haute-Guinée, à deux pas du Mali, en plein cœur du vieux Mandé. À Kintinya d’abord, où il est né en 1964 de père et de mère griots. Et si maman s’était rendue célèbre avec la fameuse chanson Apollo (que son fils reprendra plus tard en version salsa, avec Africando), elle décède de bonne heure et laisse l’enfant âgé de trois ans sous la garde de son père qui voit d’un mauvais œil la musique, son univers sans pitié et la débauche qui guette ceux qui s’y adonnent. Mais le petit n’y peut rien : il a la vocation. C’est ainsi qu’il débute – il n’a alors que neuf ans – dans l’orchestre de son quartier, Révolution Band (avec trois guitares sèches et des futs vides en guise de batterie), et se retrouve sélectionné pour intégrer le Mandenkoro : l’orchestre fédéral de Siguiri, la préfecture la plus proche. Le band brillera à la quinzaine culturelle de Kankan, au point d’être désigné pour participer au Festival National de 1979, réunissant les meilleures formations du pays qui rivalisent pour les premiers prix. À Conakry, l’orchestre Mandenkoro se distingue, et son plus jeune chanteur, Sékouba Diabaté, aussi. Le président Sékou Touré lui-même le remarque. Laissons à Bambino le soin de poursuivre le récit. 

Raconte-nous comment Sékou Touré t’a repéré, et a décidé de ton sort… 

Vous savez, Sékou était avec les artistes, les musiciens, les footballeurs, si vous voulez… il était dans la culture. Et quand moi je suis venu avec l’orchestre de Siguiri, cette année-là, les prix principaux sont allés aux orchestres de Nzérekoré, Siguiri, Kankan…  tous les prix sont partis pour des orchestres de province, pas à la capitale et à ses orchestres nationaux tels que le Bembeya, Balla et ses Balladins, Keletigui, le Boiro Band, les Amazones… Pourquoi aucun de ceux-là n’avait pu avoir le prix ? Le Président a convoqué tous les orchestres nationaux, car il voyait que quelque chose n’allait pas. Il a commencé par le Bembeya le plus connu des orchestres nationaux, son orchestre préféré. Il leur a demandé pourquoi cette année ils n’avaient pas gagné de prix. Chacun a expliqué son problème et pour le Bembeya, c’était que ,depuis la mort de Demba Camara (brutalement disparu en 1973, NDLR), ils n’avaient pas réussi à le remplacer. D’autres chanteurs étaient venus, mais ils n’arrivaient pas à oublier leur ami.

Comme si son fantôme était encore là… 

C’est ça. Et les musiciens du Bembeya ont continué : « nous on est perdus, et on n’arrive pas à travailler comme il faut. On a besoin d’un chanteur« . Sékou (Touré) a dit : « si vous avez besoin d’un chanteur, je vous donne l’autorisation de parcourir tout le pays, de choisir qui vous voulez, et je le ferai venir. D’ailleurs j’ai des propositions : parce que j’ai vu le petit de Siguiri là, qui n’est pas mal… » eh eh, si un chef dit ça comme ça, c’est que… c’est ça qu’il veut! Donc sur place, Sékou Bembeya le guitariste répond : « moi-même j’avais pensé à ce petit-là. Je l’ai vu chanter à la Paillote (célèbre club de Conakry, ndlr). Donc on va prendre celui-là« . Ils ont envoyé un télégramme à Siguiri, au secrétaire fédéral, le gouverneur, pour que je vienne immédiatement. Ils ont même envoyé une délégation de deux ou trois ministres pour venir me chercher, par un vol spécial, pour m’amener à Conakry et que je rejoigne le Bembeya. C’est quelque chose que j’ai raconté dans la chanson « Télégramme », une des premières enregistrées avec le groupe, qui parle du télégramme que le Bembeya a envoyé à mes parents de Siguiri pour que j’intègre l’orchestre. 

Bembeya Jazz National – Télégramme

C’est avec le Bembeya que tu reçois ton petit nom « Bambino »  

Oui. Le jour de mon arrivée à Conakry, tout l’orchestre était venu à l’aéroport pour m’accueillir. Il y avait Sékou Bembeya le guitariste, dit « Petit Sékou », mais aussi Sékou le Growl, le trompettiste qui était le directeur de l’orchestre. À l’aéroport, quelqu’un est venu informer Sékou le Growl : « ta femme est à l’hôpital, elle vient d’accoucher d’un garçon, d’un Bambino ». Donc on est venu chercher un enfant, un autre est né au même moment. L’enfant de Sékou le Growl a été appelé Bambino, et moi aussi Sékou Le Growl m’a appelé comme ça. J’ai accepté, mais je leur ai dit : « vous me donnez ce nom-là, j’accepte, mais si je vais à la Mecque, il faudra trouver les moyens de l’enlever, on ne va pas m’appeler ‘’el Hadj Bambino’’ ». Et ce nom m’a apporté beaucoup de bonheur… mais je n’ai toujours pas fait le pèlerinage : les deux Sékou sont partis à la Mecque, il reste le bambino… moi je suis encore bébé (rires).

Comment se sont passés tes débuts avec le Bembeya ?

Les débuts, ça n’a pas été facile. C’est vrai, j’étais content et honoré, et je rêvais de me faire un grand nom comme Demba Camara, mais on n’avait pas le même style de chant. Dès que je suis arrivé, on s’est réuni, et j’ai dit combien j’étais content, mais je ne voulais pas faire que de l’interprétation à la manière de Demba. Je voulais aussi apporter mon répertoire. Mais tout de même, il fallait reprendre des classiques. D’ailleurs, la première soirée où j’ai joué sur scène avec le Bembeya, j’ai dû chanter « Regard sur le passé ». 

Bembeya Jazz National – Retour sur le passé

L’autre chanteur qu’ils avaient recruté ne parlait pas malinké, c’est donc moi qui m’y suis mis. Mais j’étais très jeune, et c’est un morceau très long, avec une structure compliquée, très précise. Personne n’était sûr que j’y arriverais, vu mon jeune âge. Mais on a répété, et on l’a joué au Palais du peuple, devant Sékou Touré et les six chefs d’État qu’il avait invités. Je m’étais dit : « aujourd’hui, c’est la vie ou la mort ». Je tremblais parce que si ce jour-là je ne chantais pas bien, le Président allait avoir honte de n’avoir pas fait le bon choix, et en plus devant ses amis et collègues ! Ce morceau, il le connaissait du début à la fin. Donc j’avais ce trac-là sur moi. Et puis la première note est partie, et ça m’a rassuré… j’ai chanté et le Président était content : à la fin il est monté sur scène et il m’a serré la main. Il m’a dit : « ntoman, (c’est-à-dire, homonyme : car moi aussi je m’appelle Sékou comme lui), tu as bien chanté, je suis fier de toi ». Je suis parti ensuite me coucher et j’ai dormi jusqu’au lendemain quatorze heures !

Durant tes années Bembeya, tu as aussi apporté ton répertoire. 

Oui. Au départ, j’ai donné trois titres. Le premier titre c’est « Télégramme » dont j’ai parlé, qui raconte mon arrivée dans l’orchestre. Un peu plus tard (en 1985,NDLR), on est venus en France au Festival d’Angoulême. C’était après la mort de Sékou. On a joué devant des milliers de blancs : les gens chantaient, dansaient, sautaient… j’avais vu des blancs, mais pas autant que ça ! et qui dansaient et chantaient avec moi! ça m’a beaucoup impressionné. 

Dans la foulée, on a eu la chance de signer avec Sonodisc, qui voulait qu’on fasse quatre albums. Les fondateurs de l’orchestre m’ont demandé d’amener beaucoup de titres, et j’en ai apporté une dizaine. À partir de là, je me suis dit que j’étais membre du Bembeya à part entière. 

Album Africa Lait, enregistré à Paris en 1985. Au premier rang, second en partant de la droite, Sékouba Bambino

Tu en parlais à l’instant : Sékou Touré disparaît en 1984. Sans lui, l’étoile du Bembeya va commencer à pâlir et le destin de l’orchestre se compliquer…  

Avant cela même, Sékou avait convoqué les orchestres nationaux. On dirait qu’il savait qu’il allait mourir. Il leur a dit : « écoutez, vous avez trop travaillé pour ce pays, et vous avez beaucoup fait. Vous êtes des salariés, des fonctionnaires d’État, alors que vous avez de la valeur. J’aimerais bien que vous-mêmes vous travailliez et que vous gagniez vous-même votre argent en vous payant vous-mêmes. » Il a donné des fonds à chaque groupe, avec du matériel, et à chaque orchestre le lieu qui était son fief : « chacun n’a qu’à rester là où il est, l’Etat vous donne cet endroit. Si vous travaillez bien, vous gagnerez même mieux comme ça. » Donc, avant sa mort, les orchestres étaient toujours « nationaux », mais plus  « d’État ». C’est-à-dire qu’on était plus salarié, on n’avait plus de ravitaillement tous les mois, etc.  et surtout : on n’avait plus une chose à laquelle on s’était habitué, et que seule, dans le monde entier, la Guinée offrait : chaque deux ou trois ans, Sékou Touré faisait envoyer à tous les orchestres nationaux et fédéraux un matériel complet : on renouvelait tout! Ça coûtait excessivement cher, mais il le faisait. Et après sa mort, le matériel s’est gâté, sans renouvellement… ça a été difficile pour les orchestres. Nous, le Bembeya on a eu de la chance, par ce qu’on est partis en tournée. Mais comme on est restés six mois en France, ça nous a couté cher, donc on n’a pas pu ramener tellement d’argent. Mais on a pu tout de même maintenir le club Bembeya qui continue d’exister, et qui donne à manger aux familles de ses membres. Moi, comme j’ai ma carrière solo, le club ne me paye plus, mais il continue de payer les membres fondateurs qui sont encore là.

Et pourquoi as-tu décidé de partir ? 

C’était dans ces années difficiles. Au bout de deux ans trois ans, moi j’étais encore frais, et j’avais pas d’autre métier, il fallait que je chante. J’ai été voir Sékou Bembeya, Ashken, Sékou le Growl (les membres fondateurs de l’orchestre, NDA), et je leur ai dit qu’un producteur voulait me produire, et que je voulais choisir dans le Bembeya des musiciens, s’ils m’y autorisaient. Ils ont été d’accord. Donc sur le premier album c’est écrit « Sékouba Diabaté du Bembeya ». Et c’est ainsi que ma carrière solo a démarré.

Cette carrière, tu vas la faire main dans la main avec Ibrahima Sylla, avec lequel tu as signé de très beaux albums solo, mais aussi participé à l’aventure Africando et à celle de Mandekalou. Cette année, tu es à l’honneur du festival Africolor puisque tu seras trois fois à l’affiche, avec trois formations différentes… 

Avec Africolor, c’est la Guinée qui est à l’honneur cette année, car le festival met le plus souvent à l’honneur le Mali, qui est comme le mari d’Africolor. Mais cette année la Guinée aura une grande place, il y aura mon concert 100% guinéen (le 4 décembre), il y a ma participation avec l’orchestre Afriquatuor pour chanter le titre « Balaké » du Bembeya (le 17 décembre) : ils ont fait une orchestration vraiment super, en remplaçant les guitares par des violons et d’autres instruments,  et pour ça je titre mon chapeau à Christophe Cagnolari (l’arrangeur et directeur musical), et puis je participerai au Guinée All stars de mon frère Moh! Kouyaté le 22 décembre. Là, on va jouer que des titres guinéens, des classiques ! Pas de composition à nous, mais que des grands tubes des années 70 à nos jours. Cette année, c’est pour la Guinée, mais la tête de Sékouba sera là plusieurs fois (rires).

Sékouba Bambino à Africolor : 

  • le 4 décembre à Clichy-Sous-Bois
  • le 17 décembre à Saint-Denis (TGP)
  • le 18 décembre à La Courneuve
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