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Danyèl Waro, planteur de rêves
Crédit photo : Nicolas Gaud

Danyèl Waro, planteur de rêves

Avec Tinn Tout (« on éteint tout »), le daron du maloya nous invite à rêver demain, comme lui, les yeux ouverts. Entre conte écologique, chroniques mordantes de sa « réunionité » et hommages poignants, sa poésie atteint toujours le caractère essentiel, vibrant, de la vie.

Décidément, le temps se joue de nous. À moins que ce ne soit l’œuvre du hasard, celui-là même que le poète réunionnais Patrice Treuthardt appelait «  l’ombre de Dieu » ? Toujours est-il que deux semaines après la sortie du nouvel album de Danyèl Waro, dont le titre et morceau d’ouverture nous exhorte à tout éteindre (Tinn tout) et à nous « relocaliser » pour repartir du bon pied, une grande partie du monde était confiné !

« mon lil i vé ni kal in kou, ni arkil 
mon lil i vé ni bord d’in kwin, ni kalkil « 

« Mon île nous supplie de nous arrêter, de prendre du recul
Mon île nous demande de lever le pied, de changer nos calculs »

D’aucuns crieront au prophète. Disons plutôt que Danyèl Waro est fidèle à sa cogite : sa terre natale, ses fruits et ses racines sont depuis toujours la sève de ses chansons. Et qu’il a été bien inspiré de vouloir donner une deuxième vie à ce morceau écrit en 2010 qui, trois ans plus tard, figurait dans une version a capella sur l’album live Kabar. Car en ces temps de catastrophes environnementales et sanitaires, d’incitations permanentes à la consommation, la poésie de ce fils de paysan, né il y a 65 ans au Tampon, un village des Hauts de La Réunion, se pose comme un rempart contre une mondialisation galopante. Et ses appels critiques en faveur d’une économie frugale, contre une agriculture productiviste font écho de manière terriblement actuelle au sentiment collectif d’une modernité hors de contrôle. 

« Z’i koz aou kous dozone
kouyon konm la line lé ron
anou, ni fé pous « Dow Jones »
èk loto dann béton
ni vé konm an Frans, ni vé arsanm Parizyin
mwin, mi di san diférans, ni arsanm pa riyin« 

« Ils nous parlent de couche d’ozone
et nous comme des couillons
nous engraissons leur « Dow Jones »
avec nos autos, notre béton
on fait tout comme en France, on veut être Parisien
je dis que sans différence, on ne ressemble à rien »

Quand le colibri sème du riz

Danyèl Waro ne prédit pas l’avenir, ni ne révèle des vérités cachées : « Comme un planteur, je sème des graines pour demain, j’installe mes chansons dans un écosystème, dans le durable. C’est peut-être ici, que réside le sacré » confiait-il, en 2017, à nos confrères de RFI. Comme d’autres, mais les yeux ouverts et à portée de voix, Danyèl Waro rêve d’un monde nouveau. « Le rêve », c’est d’ailleurs de cette manière, qu’en français, il traduit dans le livret le titre du morceau « Tinn Tout ». Danyèl Waro constate l’urgence mais se veut optimiste et en appelle à la prise de conscience collective : 

« asé papa gid po lo pèp an mouton
anou, anon désid lèv an gèp, an bouton »

« Plus jamais de « papa-guide » pour le peuple mouton
il faut qu’on se décide, qu’on se réveille pour de bon »

Il le confie à la fin du morceau : celui qui a grandi dans les champs de manioc, de cannes et de maïs a décidé – trop tard à son goût – de « faire sa part », en quelque sorte. Renouant avec le mantra de son père, « planter pour manger », il a commencé à planter son riz. Base de l’alimentation réunionnaise – on en consomme près de 50 000 tonnes par an sur l’île – la céréale n’est plus cultivée sur place. 

« Faire sa part » c’est aussi le sens de la photo qui illustre la pochette de son nouvel album. Prise lors d’une cérémonie tamoule où l’on bénit le site avec de la pisse de vache et de l’eau de mer, elle évoque l’idée d’ « éteindre l’incendie à coup de seaux, transporter l’eau dérisoirement comme le colibri avec sa goutte d’eau », confiait-il récemment au Quotidien de La Réunion.

Danyèl Waro fait ici référence à la légende amérindienne qui a inspiré à l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi le nom du mouvement qu’il a fondé en 2006, Colibris. Les deux hommes se sont rencontrés en Ardèche, terre de résistance où Danyèl Waro a joué de nombreuses fois et dont, comme il le confie dans « Santyé dé loz », il est tombé amoureux. Cette chanson, Danyèl Waro l’a écrite en en 2011, l’année où il avait été invité à fêter les 10 ans de l’association ardéchoise Sur le sentiers des Lauzes. Philippe Conrath, son producteur, était là : «  On a vécu un moment très fort là-bas. On est revenu plusieurs fois dans cette région. On était très lié aux gens. Cette année-là, on est resté une semaine sur place, dans la vallée de la Drobie, et tous les jours on partageait notre repas avec une personne différente : Rabhi, l’apiculteur du coin, les gens de la Grotte Chauvet, etc. Dans cette chanson, en plus de rendre hommage au travail de cette association, Danyèl cite tous les gens dont on a croisé la route et pour chacun il trouve le souvenir qui lui est rattaché. (…) C’est une vraie histoire. »

Comme toujours donc, Danyèl Waro fait écho à sa vie dans ses chansons. Et, surtout, chante la mémoire des autres : il y a les clins d’œil aux héros anonymes du quotidien et aux figures réunionnaises, puis les chansons dédiées à ceux qui comptent pour lui, et dessinent en creux le portrait intime de notre homme. 

Crédit photo : Cobalt
Dis moi qui tu chantes, je te dirai qui tu es 

Au musicien, poète et défenseur de la langue créole Dédé Lansor, d’abord. Son dalon (ami) disparu en 2013. Avec le poignant « Dédé », sobrement accompagné du bob (ou bobre, arc musical) de Mika Talpo, Danyèl Waro signe un morceau qui, pour le paraphraser, « digdig mwin » : donne la chair de poule. Pas besoin de comprendre le créole pour être submergé d’émotion par son chant, déchirant. 

Autre compagnon de route de longue date : celui qui lui a fait découvrir le bal et les célébrations tamoules, une « religion » métissée d’hindouisme et de christianisme, le prêtre Daniel Singaïny. Dans le titre éponyme, Danyèl Waro rend hommage au fondateur de Chapelle-la-Misère, à Villèle, où le mariage des cultures est béni, qu’importent les origines. Un lieu ouvert à tous où il a lui-même fait ses premières « marches sur le feu ». 

Ensemble, ces deux-là étaient au PCR. Ensemble, ils œuvrent aujourd’hui pour la « réunionité » et la « batarsité ». Pour que les communautés de l’île, dans toute leur diversité, qu’elles soient noires, blanches, tamoules ou chinoises, déploient toute l’énergie du métissage.

Enfin, Waro salue l’ami Brassens dont, depuis l’âge de 15 ans, il aime l’esprit rebelle et le rapport charnel aux mots : « Les premiers textes de chansons que j’ai connus par cœur n’étaient pas ceux des ségatiers, qui n’ont pas vraiment de message, mais ceux de Brassens, confiait-il en 2000 à François Bensignor. C’est lui qui m’a fait aimer la langue française, pas Racine ou Corneille que me présentaient le professeur « zoreille » (blanc de France) ou même le « Créole », qui nous imposaient la culture de l’étranger. Je m’intéressais aux textes. J’aimais leur côté anarchiste. J’aime la façon qu’a Brassens de présenter la femme, la féminité, l’amour, tout en légèreté mais dans la profondeur, misogyne en façade mais pas du tout dans le fond. » 

Après avoir repris « La Mauvaise réputation » sur Monmon (2017), Danyèl Waro livre ici une adaptation libre en créole et en français de « Je me suis fait tout petit ». Un texte qui, justement, semble a priori donner une image peu flatteuse de la femme : une poupée qu’on touche et qu’on couche. Assurément, Danyèl Waro l’entend différemment. Dans un chant a capella bouleversant, il révèle une grande chanson d’amour.

Tissages et métissages

Grâce sa voix, son talent de mélodiste et sa puissance d’interprétation, il n’est besoin d’aucun sésame pour entrer dans le mouvement de la danse de Danyèl Waro. N’empêche, il faut prendre le temps d’écouter la poésie de celui qui donne des rimes au maloya. Ramassée en une poignée de mots, elle est truffée d’expressions inventées, de termes anciens, de métaphores péi

En gourmand, Danyèl Waro goûte la rythmique des mots, leurs couleurs, leurs saveurs et leurs chocs, qu’il prolonge du mouvement chaloupé de son kayamb. Ce hochet en forme de radeau, formé de tiges de canne à sucre et de roseaux resserrés par un cadre en bois et gorgé de graines végétales est le produit d’une terre, son expression : il en a le grain, l’épaisseur et la matérialité. Comme le maloya, à la fois tissage et métissage, il unit la nature et les cultures. 

Pas étonnant donc que celui qui fût luthier avant d’être musicien, se mette avec malice dans la peau son instrument fétiche sur « Kayanm ». À la 1ère personne et dans une verve savoureuse, il raconte: « on m’appelle kayanmba au Kenya / Maravann à Maurice / les gens jouent avec moi dans le saleg, le tsapik / à Moéli, à N’gazidza / à Mayotte, à Anjouan… Certains disent de moi que je jette des sorts alors que je fais de la musique, ça me permet de connaître mes ancêtres malgaches, comoriens, africains, avec toute la douleur passée. » Puis, se faisant grivois, il confie adorer l’odeur « taba ». Entendez : l’odeur du sexe de la femme. Et implore Françoise Guimbert (qui eu beaucoup de succès à La Réunion à la fin des années 70 avec son titre « Tantine Zaza« ) de jouer sans soutien-gorge pour que ses seins se balancent avec lui !

Qu’il soit drôle, sensuel, piquant ou insolent (comme sur « Dann wi » dans lequel il dénonce l’hypocrisie de son île), Danyèl Waro est toujours et encore, par son engagement corps et âme, le meilleur antidote au désespoir. À l’image de ce nouveau disque qui, dans un même temps, nous invite à fermer les yeux pour réfléchir et à les ouvrir grands pour découvrir et rêver le monde. Lui en a fait plusieurs fois le tour en 40 ans de carrière et goûte de moins en moins l’idée de quitter son caillou. Espérons que l’annulation de sa tournée estivale n’aura pas raison de son envie de se « délocaliser » à nouveau pour partager son maloya au-delà des frontières de son île. Et que, comme son « Tizan » (ou Petit Jean, héros de nombreux contes créoles), il « sautera » de nouveau la mer …

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