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The Pan African Music Magazine
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Die Antwoord, retour à la Zef Zone

Avec leur cinquième album, House of Zef, Ninja et ¥o-Landi, les Sud-Africains du groupe Die Antwoord viennent de lâcher leur ultime hommage à la culture Zef qui a innervé toute leur carrière. Gros plan sur la face trash, kitsch et blanche de l’Afrique du Sud.

Après plus de quatre ans d’absence, Die Antwoord est de retour avec HOUSE OF ZEF, un cinquième album annoncé comme leur dernier. Nourri par les explications du photographe Roger Ballen (qui a signé plusieurs clips du groupe) et celles du dramaturge Anton Krueger qui a écrit sur cette (contre-)culture, PAM s’est intéressé au duo et à la culture Zef, si chère au groupe : une subculture décentrée et haute en couleurs, que seule une nation déchirée comme l’Afrique du Sud était capable de faire éclore.


Notre arc-en-ciel est complètement niqué, mais en fait, c’est ça qui est cool

Régulières vagues de violence contre les travailleurs immigrés, chômage à 40 %, épineuse question agricole (avec trois quarts des terres privées appartenant toujours à de riches fermiers blancs)… Le pays, géant économique continental, reste pourtant rongé par les inégalités. Entre tensions communautaires, corruption et violence, le pays de Nelson Mandela ne s’est pas libéré de tous ses démons. Si l’apartheid avait engendré les immenses townships, ces ghettos noirs construits pour mieux surveiller et punir, le rêve de la Nation Arc-en-ciel décrite par l’archevêque anglican et prix Nobel Desmond Tutu cherche depuis un second souffle.

Certains sont encore plus catégoriques. Comme Ninja, moitié pensante du groupe Die Antwoord : “l’Afrique du Sud ? Un panier de fruits pourris” martèle le rappeur depuis ses premières interviews. “Notre arc-en-ciel est complètement niqué, mais en fait, c’est ça qui est cool*.” Si de nouvelles lignes de fractures cisaillent désormais les cités noires, la jeunesse blanche nage elle aussi en pleine crise identitaire. En fait, dès la fin des années quatre-vingt, l’underground afrikaaner se soulevait déjà en musique — la mode était alors plutôt au folk rock — contre le service militaire obligatoire ou l’oppression des Sud-Africains noirs. 
 


Die Antwoord : la culture zef dans la peau

Mais de toutes époques, être blanc en Afrique du Sud ne rime pas forcément avec croire en la mythologie fondatrice du peuple élu calviniste. Et au tournant des années 2000, c’est même un autre imaginaire blanc — celui de l’ouvrier — qui va être déterré et célébré par le monde musical local, Die Antwoord en première ligne : “en Afrique du Sud, les cols bleus afrikaners des années 50 et 60 avaient l’habitude de customiser leurs voitures. Souvent des Ford Zephyrs. Le terme de Zef vient précisément de cet imaginaire working class fantasmé, de cette esthétique criarde, pimpante, populaire, jugée comme étant de mauvais goût par la classe bourgeoise”, commente Anton Krueger. Dramaturge et essayiste, Anton étudie de près les phénomènes identitaires en Afrique du Sud. Dans un article publié initialement dans la revue Performance Studies International, l’auteur explique : “Zef est assez proche de ce que la culture américaine nomme  »redneck ». L’identité zef fait référence à ce côté brut et authentique d’une génération prolétaire white trash qui vit dans le même quartier où elle a grandi. Une génération également tombée en disgrâce après l’apartheid, mais capable d’un certain humour et d’un certain sens de l’autodérision, notamment par rapport à sa pauvreté ou son manque d’éducation.” Dès leurs débuts, les trois membres du groupe n’ont eu de cesse de rappeler leurs origines low life : “DJ Hi-Tech vit chez sa grand-mère, je vis avec ma mère et mon père, et Yolandi est la voisine d’à côté.” Avérée ou imaginaire, cette narration renforce l’appartenance de Die Antwoord à la culture Zef, dont ils vont empoigner les codes jusqu’à un paroxysme inédit. Tatouages handmade, coupes de cheveux « mulet », utilisation d’un argot fleuri de poes, fok ou kont… Il faut voir le clip de « Zef Side« , mis en boîte il y a désormais plus d’une décennie, pour comprendre la ligne artistique working class hero défendue par le trio. 
 


Die Antwoord, le groupe qui désire être mainstream, mais déteste tout le monde

La même année, Die Antwoord (la réponse, en afrikaans) se faisait connaître avec « Enter The Ninja« , dont l’intro déclamait ce manifeste : “je représente la culture sud-africaine… Un mélange de plein de trucs… Des noirs, des blancs, des métis, des Anglais, des afrikaaners, des Xhosa, des Zulu […] je suis tout ces gens, réunis dans une seule et même putain de personne.” Neuf mois après la mise en ligne de leur clip, leur hébergeur sud-africain Hetzner met hors service son site pour cause de consommation excessive de bande passante. La vidéo d' »Enter the Ninja » présente également Leon Dj Solarize Botha, un éminent artiste du Cap et plus vieille personne atteinte de progéria, décédé depuis (la progeria est une maladie qui se traduit par le vieillissement accéléré, ndlr). Porté par la force d’une balle comme « Enter The Ninja », leur premier album $O$, pourtant composé aux côtés de la très indépendante scène locale du Cap – Scallywag, Isaac Mutant du futur groupe Dookoom, Jack Parow ou Jaak Paarl –, les fait pénétrer instantanément dans le mainstream. Toujours à l’affût du moindre coup de com’, Diplo se positionne d’ailleurs immédiatement sur le phénomène Die Antwoord pour apparaître sur la réédition du premier album. Il propose l’instrumental d’ »Evil Boy« , immédiatement accepté. À l’occasion du clip, il en profiter pour se glisser dans la cabine DJ après être passé entre les mains d’un coiffeur Zef.

Cette identité hybride, composite, va irrémédiablement attirer auprès du groupe les freaks du cinéma et de l’image. Harmony Korine dès 2011, et surtout Roger Ballen** : “dès le début du phénomène, des gens m’ont signalé qu’un groupe de rap utilisait mes images, mes dessins. Je suis allé sur le net et je suis tombé sur ¥o-Landi et Ninja”, se souvient le photographe. Né à New York d’un père avocat et d’une mère éditrice pour l’agence Magnum, Roger Ballen est installé depuis plus de trente ans à Johannesburg. Il est devenu un des plus grands photographes de son pays d’adoption avec un travail sur les white trash sud-africains ou les freaks afrikaners : “pour chaque fan de photographie, il y a 10 000 fans de musique. En gros, si Die Antwoord diffuse mon esthétique, ça me permettait d’atteindre un public beaucoup plus large. On est entrés en contact, on a discuté de notre collaboration. À l’époque, j’avais passé du temps sur une série qui allait donner le futur ouvrage Asylum of the Birds. Il y était question d’une sorte d’auberge, où les oiseaux volaient librement et où les gens allaient et venaient, dormaient et vivaient leur vie à côté de ces oiseaux. Je leur ai montré quelques photos, ils ont adoré et nous nous sommes mis à travailler ensemble le clip de « I Think U Freeky« . Notre rencontre a été très importante, après cela, leur style n’a jamais été le même.” Dix ans après leur première collaboration, Die Antwoord continue de travailler avec Roger Ballen : le plasticien apparaît dans House of Zef sur le très vaporeux « When The Sun Goes Out ». 
 

La famille Die Antwoord photographiée par Roger Ballen


Le mouvement à l’œuvre ici résume assez bien le paradoxe qui anime la carrière de Die Antwoord : d’un côté l’envie irrépressible de reconnaissance mainstream, de l’autre, le désir de rester collé aux composantes de la culture Zef et à la direction artistique ultra-radicale d’un Roger Ballen. 

Si « Enter The Ninja » est devenu mondialement viral, c’est d’abord par son esthétique trash qui met mal à l’aise. De la même façon, « Evil Boy » est un tube international comme Diplo sait les composer, mais contient dans le même temps des éléments troublants, à relents apparemment homophobes, teintés d’un virilisme un peu primitif, composante de la culture Zef fantasmée par Die Antwoord.


Beef, controverses et polémiques… Le paradigme Die Antwoord

Et puisque le Point Homophobie vient d’être franchi, autant ouvrir la boîte de Pandore maintenant ! Au-delà de la “fameuse” vidéo de 2012 dans laquelle deux des membres du groupes insultent et embrouillent copieusement Andy Butler du groupe Hercules and Love Affair en marge de l’édition 2012 du festival Australia’s Future Music***, le discours de Die Antwoord est truffé de mots comme Faggot (« pédé ») ou Nigga (« négro »). “En Afrique du Sud, les gens ne sont pas aussi sensibles qu’aux États-Unis, quant à l’utilisation de mots comme faggot ou nigga. Mon DJ, Hi-tek, qui est aussi mon meilleur pote, est gay. Il utilise lui-même le mot faggot à outrance, ça ne fait pas de Die Antwoord un groupe homophobe”, se justifie Ninja. Leur meilleure explication se tient ici, chacun se fera son avis. 

Hyper transgressive, la radicalité de leur image — souvent incomprise — confère aux membres du groupe un lot réguliers de beefs (embrouilles avec d’autres personnalités du rap game ou de la pop en générale). La liste est longue et va sûrement s’allonger avec la sortie de leur tout nouvel album, mais on peut citer pêle-mêle et avec le sourire : Drakein fine il est à nouveau question du mot faggot, Eminem (qui avait objectivement entamé le clash) ou Lady Gaga, ridiculisée dans la mise en scène de « Fatty Boom Boom« . Un clip qui se moque tout autant d’elle que des clichés occidentaux sur l’Afrique. “La vulgarité, les grossièretés à répétition de Die Antwoord en embarrassent plus d’un”, rappelle Anton Krueger. Pas évident, en effet, de savoir à quel point le duo joue des codes pour les revendiquer, ou pour mieux les déjouer. “Bizarrement, c’est précisément dans cette zone d’inconfort que le groupe parvient le mieux à affirmer son identité et son appartenance à la nation sud-africaine. On peut voir le personnage de Ninja créé par Watkin Tudor Jones comme une parodie, un pastiche, un bric-à-brac multiethnique d’un pays qui, rappelons-le, a été créé de toute pièce par une des premières multinationales au monde****.

HOUSE OF ZEF est sorti le 16 mars 2020 sur le label Zef Recordz.


* Extrait d’une interview vidéo donnée par le groupe sur le site d’actualité sud-africain News24, le 16 décembre 2011.

** Rejoint en 2015 par une autre figure culturelle sud-africaine, le réalisateur Neill Blomkamp qui leur offre des rôles de choix dans son film Chappie.

*** On peut notamment entendre sur cette vidéo “run faggot, run. Run for your life bitch”. 

**** L’implantation définitive d’Européens en Afrique du Sud date de 1652 avec l’établissement, pour le compte de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, d’une station de ravitaillement au Cap dirigée par le jeune néerlandais Jan van Riebeeck. Les premiers colons sont des paysans calvinistes très pieux. Beaucoup ont quitté les Flandres méridionales pour échapper à l’oppression des occupants espagnols. Leur nombre s’élève à 800 lorsqu’ils sont rejoints en 1685 par 200 huguenots chassés de France par la révocation de l’Édit de Nantes.

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