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« Ce festival a été créé avec la volonté de démontrer la vitalité de notre scène, mais aussi de montrer la richesse des aînés. Ce projet s’inscrit parfaitement dans ce sillon », résume Thomas Boutant, qui a repris le flambeau paternel à la direction du Biguine Jazz Festival. C’est aussi le natif de Fort de France qui a été à l’instigation du Big In Jazz Collective, faisant office, avec son cousin Manuel de directeur artistique de cette résidence de création initiée à l’occasion de la dix-huitième édition, dont rend compte ce documentaire. On y assiste à l’irruption d’un collectif, le Big In Jazz Collective, soit une bande de huit musiciens caribéens réunis en août 2020 une semaine durant dans une vaste maison coloniale, la villa Chanteclerc, à l’écart du centre-ville de Fort-de-France. Avec, comme témoin, la caméra de la réalisatrice Marina Jallier.
La biguine, c’est du jazz
Avant d’en arriver là, des aînés comme Winston Berkley et des cadets dont E.Sy Kennenga, la chanteuse Jocelyn Beroard ou la journaliste Marie-José Alie, tous donnent dans le film leur définition de ce qu’est la biguine, de ses liens étroits avec le jazz. « La biguine, c’est à nous ! », insiste Jean Trudo, paraphrasant Marius Cultier, le pianiste totem dont il s’est chargé d’entretenir la mémoire (avec son association). Et d’ajouter : « La biguine c’est du jazz ! » C’est sur la foi de cette conviction que va se bâtir le Big In Jazz Collective, chargé de réinvestir le répertoire des anciens. Relecture ou réinvention, juste hommage ou simple prétexte pour aller au-delà, chacun a son point de vue et pour que tout le monde soit raccord, ils vont se mettre en guise d’avant-propos autour d’une table et échanger leurs idées. « Le plus important, c’est que ça groove ! » Le guitariste Ralph Lavital a les mots justes. « Vous vous prenez trop la tête, il faut qu’on joue ! », reprend le saxophoniste Jowee Omicil. D’origine haïtienne et non des Antilles françaises, ce dernier a le recul suffisant sur cette histoire pour l’aborder de la meilleure des manières. Direct.
« Nous avons bénéficié des conditions idéales de travail pour explorer cette thématique », insistera après-coup le Guadeloupéen Sonny Troupé. Ce batteur est l’un des huit protagonistes de cet ensemble constitué de leaders patentés et sidemen surbookés. Tous maîtrisent le sujet, chacun à ses préférences en la matière. Pour mettre tout le monde raccord, il leur a été proposé une vingtaine de titres, parmi lesquels chacun devait en sélectionner quatre. Le résultat n’est pas le plus petit dénominateur commun, mais la somme de tous ces talents suivant un « processus démocratique ». « On a tous vingt millions d’idées, on se les confronte sans hiérarchiser, à parts égales », analyse Ralph Lavital.
Le Big in Jazz et ses classiques
Ce dont témoigne le documentaire, tout en revenant sur l’histoire de la biguine, notamment le virtuose clarinettiste Stellio dont « Serpent Maigre » figure au répertoire du Big In Jazz Collective. On refait aussi le parcours de « Tomaline », une vieille femme qui fut le sujet d’une chanson (elle aussi au répertoire du collectif) de Marie-José Alie, que l’on retrouve micro en mains au beau milieu des sessions de répétition. Car plus qu’un film historique, il s’agit avant tout de raconter l’histoire au présent, celle de cette création qui se fait en direct. Et si les archives (photos, vidéos) ou les souvenirs jalonnent la narration, c’est toujours en lien avec cette création, dont on suit les avancées pas à pas. Est ainsi furtivement évoqué le pianiste Alain Jean-Marie, dont deux thèmes ont été choisis, le rare « Chilou » extrait d’un album matriciel de 1969 et le bien nommé « Haïti », sorti du deuxième volet de ses Biguine Reflections où l’esprit du jazz brille en se reflétant dans l’âme de la biguine. Le documentaire s’arrête plus longuement sur le génial Eugène Mona, un flûtiste qui aura exprimé l’âme de l’oppression et dont ils empruntent « La Chandelle ». « On ne pouvait pas faire un hommage sans Eugène Mona ! », tranche le pianiste Maher Beauroy. Ni sans le tutélaire martiniquais Marius Cultier, « un homme qui marchait sur la Lune » selon Jean Trudo, dont le « Concerto pour la fleur et l’oiseau » a été choisi. Jocelyn Beroard – qui l’interpréta- n’est pas la dernière à souligner les qualités de cet expert hors pair.
Tout l’à propos d’une telle relecture est de ne pas s’en tenir aux versions d’origine, mais qu’ellse soient des prétextes à élaborer une bande-son contemporaine plus que des copies conformes à l’idée fixée par l’orthodoxie. Tempo à la coule ou rythmique pied au plancher, solos feutrés ou ostinatos en mode groupé, les vibrations résonnent de la multiplicité qui compose la faconde si singulière du jazz caribéen. Reggae et zouk, funk et soul, et même rock y ont droit de cité. L’alchimique formule brasse large en termes d’esthétique, à l’image des parcours de ces jeunes cracks, dont la polyvalence s’est illustrée dans des contextes les plus divers : de Lenny Kravitz s’agissant du trompettiste Ludovic Louis à Imany pour laquelle Stéphane Castry fut directeur artistique, ou bien Casey avec laquelle Sonny Troupé officie depuis un bon lustre, les rigides barrières ont toujours été enjambées par la chaloupe des Antillais. Par ces « derniers nés » comme par leurs aînés qui furent d’actifs soutiers en tout genre. Voilà pourquoi ils y empruntent à leurs manières bien particulières les voies du « Come Together », un classique de la pop dont on assiste au choix lors d’une séance de palabre. Et tous de délirer !
Ce titre des Beatles rappelle la philosophie générale, loin de tout ego trip, du Big In Jazz Collective. « A partir de la biguine, on va où chacun des huit souhaite aller et où cela convient à tous. Ça sonne comme personne, ça sonne comme l’association de nous tous. Cette création ressemble à notre génération », analysera après-coup Sonny Troupé. « Et de fait les gars ont fait leur magie ensemble. Ce sont des créateurs avec des profils d’explorateurs de la musique, sans réelle limite. », résumera après l’enregistrement du disque Thomas Boutant. « On savait qu’on allait kiffer, mais on ne savait pas comment ! », se souvient à la fin du documentaire Jowee Omicil. Et c’est bien cette magie de l’instant que retranscrivent ce film de cinquante minutes qui, tout en insérant des images de l’unique concert donné en guise de restitution de cette semaine hors du temps, entrouvre des pages d’histoires sur certains des grands créateurs de la musique antillaise.
Global du Big in Jazz Collective, toujours disponible.