PAM vous fait (re)découvrir des disques devenus de grands classiques. Aujourd’hui, Erè Mèla Mèla, le tube de Mahmoud Ahmed qui déclencha l’ouverture de la malle aux trésors qui formeront la série « Éthiopiques ».
Voilà un disque dont la découverte aura changé le cours de l’histoire de la musique. Sans cette double face, un LP enregistré en 1975 alors que la junte militaire (baptisée DERG) vient de mettre un terme au régime du Négus, pas sûr que le monde aurait connu la pile d’albums gravés au tournant des années 1970 du côté d’Addis-Abeba. C’est en avril 1984 que Francis Falceto tomba à la renverse — ce seront ses mots quelques années plus tard — en écoutant Mahmoud Ahmed dans une party privée à Poitiers, où il officiait alors au Confort Moderne, une salle orientée plutôt avant-rock et post-jazz. Ce fut le début d’une longue histoire. L’année qui suivit, le Français débarquait à Addis-Abeba pour y rencontrer Mahmoud Ahmed, le James Brown local, tandis que le Duke Ellington d’Addis, Mulatu Astatké, le trimbalait en bagnole. Le Français est à la recherche d’une bande-son qui a disparu, une époque révolue pour cause de révolution culturelle. L’heure est au couvre-feu. Finis, les lendemains qui swinguent sans interdit. Pas tout à fait, car lui va se charger d’exhumer ces trésors, avec le succès que l’on sait.
Son cheval de Troie dans cette histoire-là sera Mahmoud Ahmed, dont il parvient à faire sortir l’inaltérable joyau Erè Mèla Mèla dès 1986 sur Crammed Discs, label de haute qualité belge. On y découvre un chanteur au destin hors du commun. Cireur de chaussures puis garçon à tout faire dans un night-club, Mahmoud Ahmed est propulsé sur le devant de la scène presque par hasard, au début des années 1960. « J’ai commencé ma carrière, en remplaçant au pied levé un chanteur de l’Imperial Body Guard Ensemble. À l’époque, cet orchestre qui a formé les plus grands dominait la scène éthiopienne et cela a été mon école. Et puis à partir des années 70, les big bands ont perdu leurs meilleurs éléments qui montaient de plus petits groupes. Mais c’est surtout avec la dictature militaire que les choses ont empiré. », se souvenait en 1999 l’entertainer à la voix de crooner qui va enchaîner les classiques et déchaîner les foules. Et cet album, le troisième sous le nom de Mahmoud Ahmed, constitue un des derniers sillons fertiles d’une production de vinyles qui cesse en 1978.
Enregistré avec les musiciens de l’Ibex Band, Erè Méla Méla dont le titre peut se traduire par « Je cherche une solution » sera bien plus tard consacré comme la référence première et ultime pour toute une génération de musiciens et mélomanes découvrant les merveilles du son Éthiopiques, terme générique emprunté à la série publiée à partir de 1998 par Francis Falceto. Ce travail d’exhumation, un réexamen de fond en comble d’une production jusqu’ici enfouie sous la poussière, va imposer le son « Éthiopique » comme une marque de fabrique, un style en soi (souvent appelé « éthio-jazz ») qui comme l’afrobeat va générer des effusions et épigones sur toute la planète, de Tokyo à New York. Dès février 1994, le chantre éthiopien avait déjà retourné le théâtre de la ville de Paris comme un seul homme ! Au micro Mahmoud Ahmed délivra une version époustouflante de Tezeta, cette espèce de blues imparable. Et puis il y eut Erè Méla Méla, avec des guirlandes de guitare et un saxophone plaintif. Face à lui, qui arborait un sweat-shirt aux couleurs de son pays, le parterre réuni était tout ouïe.
Cinq ans plus tard, son chef-d’œuvre sera de nouveau réédité, comme volume 7 de la collection Éthiopiques. Juste retour des choses. Arrangements de cuivres au cordeau et voix au sommet, ce recueil qui catalyse tout le génie du bonhomme et cristallise tout le délire qui habita cet âge d’or d’Addis-Abeba est alors augmenté de quelques titres, dont l’inoxydable Tezeta, l’essence même de la mélancolie des hauts plateau de l’Est africain. Depuis lors, il fait partie de ces classiques qui trônent dans toute discothèque, même si l’original sous étiquette Kaifa Records se négocie désormais à un millier d’euros. Depuis lors, cette notoriété amplement méritée a permis à l’ancien gamin des faubourgs populaires d’Addis-Abeba de vivre une seconde jeunesse, notamment sur les scènes du monde entier où il est célébré tel un autre prophète venu d’Éthiopie.