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Par le quartier et pour le quartier : le phénomène Wakaliwood
(c) Wakaliwood

Par le quartier et pour le quartier : le phénomène Wakaliwood

En Ouganda, dans le ghetto de Wakalinga, un réalisateur autodidacte et son assistant new-yorkais défoncent les codes des action movies américains ou hongkongais. Autoproduits, 100 % do-it-yourself, ultra-drôles et violents, les films tamponnés Wakaliwood oscillent entre justice sociale et entertainment débridé. Rencontre.

Le ventre de Kampala, capitale mais également plus grande ville d’Ouganda, bouillonne. Une fièvre cathartique due à un underground organique, agité et rebelle : la plate-forme musicale Nyege Nyege et son turbulent festival, le succès d’un groupe comme Nihiloxica, récemment signés chez Crammed Discs et adoubé par Aphex Twin… Le monde regarde Kampala. Or les premiers à avoir mis un coup de projecteur sur leur ville ne sont pas des ravers, ni des musiciens globe-trotters en quête de transe. Ils sont bien plus punks, et bien plus fous. Aujourd’hui, si Kampala brille fort, c’est grâce à une bande d’ex-enfants du ghetto passionnés de Kung Fu, de Chuck Norris et de commandos paramilitaires. 

Il y a près de quinze piges, Isaac Godfrey Geoffrey « IGG » Nabwana, originaire de Wakalinga, un quartier pauvre de Kampala, se lance à fond de cinquième dans l’Art cinématographique. Il est complètement fauché, 100 % autodidacte, tout juste âgé de trente ans, et va mettre en boîte quelques clips pour des musiciens du cru, avant de se lancer dans son véritable « grand-œuvre » : la réalisation de longs-métrages d’action. 

Car Isaac est passionné d’action movies américains et hongkongais. Ses idoles s’appellent Arnold Schwarzenegger, Bruce Lee, Bud Spencer ou Jackie Chan. Son but est simple : dominer et écraser de tout son poids l’intégralité de l’industrie cinématographique mondiale, retranché – mais lourdement armé – dans son bidonville de Kampala.


Au centre, le réalisateur Isaac Nabwana in full action. (c) Wakaliwood
200 dollars pour une joyeuse apocalypse

Pour conquérir le 7e Art international, il va alors appliquer une règle de base en économie libérale : avant de se lancer à l’international, il faut d’abord conquérir le marché domestique. Ce sera fait : il créé Ramon Film Productions (R.F.P.) – en hommage à ses grands-mères Rachel et Monica, qui l’ont élevé et protégé durant la guerre civile ougandaise (en forme de guerilla, elle a fait rage de 1981 à 1986) et tourne ses premiers films en plein dans le quartier. Les acteurs et les figurants des films tamponnés R.F.P. sont de simples voisins ou les gamins de Wakalinga. Décors de récupération – rien de tel que des tubes métalliques ou des poêles à frire pour faire des lance-roquettes , effets spéciaux low-tech infernaux, distribution pirate, affiches peintes à la mains… la créativité est au max. Après Bollywood à Mumbay ou Nollywood au Nigeria, le petit quartier ougandais est très vite rebaptisé Wakaliwood et devient alors un véritable studio de tournage en plein-air pour action movies 100 % do-it-yourself. Ici, les films sont joués par le quartier et pour le quartier, farcis de kung-fu ougandais, de gangs de dealers – la récurrente Tiger Mafia – et de supervillains noyés dans litres de de fausse hémoglobine.

De Who Killed Captain Alex à Bad Black en passant par leur dernière production Crazy World, les films d’Isaac deviennent absolument cultes dans les banlieues de Kampala : « désormais dans le quartier, tous les kids sont mordus d’Arts Martiaux » explique Alan Ssali Hofmanis alias Supa Commando, un new-yorkais qui s’est installé à Wakaliwood après avoir avoir visionné les cinquante premières secondes du teaser de Who Killed Captain Alex. Devenu le premier Mzungu (occidental) star de cinéma en Ouganda, Alan est au cœur de l’aventure Wakaliwood depuis près d’une décennie maintenant : « Who Killed Captain Alex a coûté à l’époque deux cents dollars. »


Isaac Nabwana et side-kick Alan Supa Commando. (c) Wakaliwood

« On avait alors construit un Supa Choppa, un faux hélicoptère dans le quartier » ajoute le cinéaste Isaac Nabwana. « On tournait lorsque nous avions assez de place sur nos disques durs. Aujourd’hui, nous bénéficions d’équipement plus modernes, mais les choses sont toujours les mêmes, we kill everyone equally! (entendez : tout le monde est tué équitablement). On travaille toujours avec la même proximité, la même intimité. On sent néanmoins qu’on atteint une limite avec le format DVD, à travers lequel Wakaliwood s’est beaucoup développé. La diffusion en ligne va prendre le relais d’ici peu, et on sera prêts ! »

« Pour le reste ce qui a vraiment changé, c’est le regard que le monde porte sur nous ! reprend Alan Supa Commando. Voilà la grosse différence. Nos films ont été projetés aux quatre coins de la planète, célébrés dans pleins de festivals. Le monde connaît Wakaliwood désormais. On a des fans du Brésil à la Norvège c’est incroyable ! »

Quand la culture du ghetto défrise les élites

Du 29 mai au 7 juin 2020, lors du We Are One Festival – réunion sur Youtube des plus importants événements cinématographiques – du festival de Cannes à celui de Sundance en passant par le TIFF de Toronto ou la Mostra de Venise, l’ouverture était effectivement assurés par Isaac et son gang de Kung-Fu fighters ougandais : « il y a quelque chose d’énorme qui se joue actuellement pour nous » ajoute Alan, également en charge de la traduction de tous les sous-titres des productions Ramon Films : « le ghetto de Wakalinga, véritable tiers-monde dans le tiers-monde, est en train de devenir un phénomène pop international. C’est inespéré. » Sur Youtube, Wakaliwood explose littéralement les compteurs : une reconnaissance qui charrie son lot de questions : « on est en train de devenir le mouvement culturel national de référence. Cette dynamique, ce succès viennent bouleverser les pratiques archaïques d’une classe dirigeante qui ignore tout de sa base sociale. De fait, aujourd’hui, on avance avec prudence, car on a bien compris que nous gênions l’institution » confie Alan.

Ici, les élites voient d’un très mauvais œil le fait que le ghetto empoigne un levier comme le cinéma pour s’exprimer. Le quartier de Wakalinga et les films d’Isaac viennent véritablement hacker ce système de domination culturelle. Pour Alan, « l’Ouganda est un pays très conservateur, avec des régimes alimentaires ou vestimentaires tribaux extrêmement figés. Le lien communautaire est maintenu jusque dans la coupe de cheveux, identique pour tous ! ». La scène Wakaliwood ,elle, est emmenée par d’authentiques punks qui explosent tous ces codes. « En 1977 en Angleterre, quand le punk Sid Vicious était l’ambassadeur international du Royaume-Uni, la Reine ne se marrait pas. Pareil ici. D’autant que nos films ne sont pas politiques, on ne fait pas de critique frontale de nos dirigeants, mais disons que si le prix des matières premières augmente en Ouganda, alors ce sera dit à un moment donné dans une scène. »

Cette subversion, cet engagement social exprimé ici naturellement, n’en devient que plus puissant et fédérateur. Dans un film de Wakaliwood, on utilise le slang local, la voix off du griot jacte en continue – enchaînant d’ailleurs vannes sur vannes –, et les intrigues se concentrent souvent autour des trafics d’armes, de réseaux mafieux ou de mystérieuses disparitions. Les résonances – même inconscientes – avec le régime de l’ancien dictateur Amin Dada sont nombreuses, et la police ougandaise y est régulièrement tournée en ridicule. Les productions d’Isaac sont identitaires dans leur célébration du ghetto, mais fédératrices par la puissance de l’univers qu’elles projettent, permettant à une large partie de la jeunesse africaine de s’y identifier : « c’est la raison pour laquelle on est si populaire ici. C’est aussi la raison pour laquelle la classe dirigeante, complètement déconnectée du peuple, nous observe de loin, avec mépris certes, mais aussi de la crainte, comme lorsqu’on surveille le foyer d’un feu un peu trop vivace. Si la presse ougandaise s’est penchée sur Wakalinga, c’est parce que, précédemment, CNN, la BBC ou Time Magazine étaient venus nous rendre visite. Mais dis-toi bien que les journalistes ougandais, lors de leur visite dans notre ghetto, n’osaient même pas s’asseoir par peur de se salir. En Ouganda, le racisme et la ségrégation sociale s’exercent à des niveaux inédits. »

Wakaliwood fait école 

Après plus de quinze piges à court-circuiter l’industrie, Wakaliwood tâtonne, et se cherche une nouvelle marche où poser tous son matos. Toujours confiné à l’heure où nous écrivons ces lignes, le cinéaste – soumis aux procédures de distanciation sociale – a du mal à organiser ses tournages. Leur énorme tournée internationale de projections est repoussée jusqu’à nouvel ordre. Les réalisateurs Cathryne Czubek et Hugo Perez viennent de mettre en boîte le documentaire Once Upon a Time in Uganda dédié à l’œuvre d’Isaac. Le film devait célébrer la gloire de Kampala à l’occasion du mythique festival South by Southwest d’Austin (Texas) annulé cette année pour cause de pandémie mondiale.

Pour Alan, la prochaine étape sera dédiée aux collaborations internationales : « Wakaliwood est worldwide, allons détruire des villes aux quatres coins de la planète ! ». Pour Isaac, c’est la transmission qui est plus que jamais d’actualité : « depuis nos débuts on a enseigné à plein de vidéastes, on forme les jeunes aux métiers de décorateur, maquilleur, cascadeur, de comédien. Aujourd’hui, c’est toute une nouvelle génération de kids qui sont prêts à reprendre le flambeau. La continuité de Wakaliwood doit passer par l’ouverture de nos propres studios vers l’extérieur, avec nos réalisateurs. »

En attendant, Isaac et les siens méditent sur les questions laissés en suspens, le temps du confinement : ils ont la responsabilité de tout un écosystème cinématographique local, qui doit survivre pour grandir. Mais le final approche, et que chacun se rassure : tout le monde sera tué équitablement.

Surfez sur des vagues de munitions et d’explosions nucléaires grâce au site www.wakaliwood.com véritable œuvre de NetArt à part entière.

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