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The Pan African Music Magazine
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Bandé‑Gamboa, trait d’union postcolonial

Plutôt que de faire une énième compilation de musiques d’antan, le producteur portugais Francisco Sousa a choisi de se tourner vers le futur en invitant un groupe bien vivant à célébrer gumbé et funaná dans le disque Horizonte.

«Avec toute la musique que j’ai dans mon ordinateur, je pourrais sortir des milliers de compilations ou de rééditions, ce serait très facile», reconnaît Francisco « Fininho » Sousa. Facile peut-être, mais certainement pas en accord avec les convictions de ce producteur et digger spécialiste des musiques issues des anciennes colonies portugaises. S’il a participé à l’élaboration de la compilation Space Echo, The Mystery Behind the Cosmic Sound of Cabo Verde Finally Revealed! parue en 2016 chez Analog Africa — label reconnu au rayon rééditions — ce franc-tireur a depuis lors progressivement changé son fusil d’épaule.

Lorsqu’en 2018, le beatmaker et producteur Guts va le trouver chez lui à Lisbonne pour lui proposer de travailler sur une nouvelle compilation de titres rares ou inédits du Cap-Vert et de Guinée-Bissau, ce dernier refuse. Pourquoi ? Parce que selon lui, le souci des rééditions de pépites rock psyché d’Amazonie, funk du Sud-est asiatique et autre disco vintage du Togo c’est, en bref, qu’elles inondent le marché du disque, étouffent la créativité des scènes locales contemporaines et ne s’adressent uniquement qu’à un public occidental. Le ton est donné ! « La scène Tropical Music est une évolution de la vague World Music des années 90, mais pour moi, elle est déjà obsolète et au fond, je pense que c’est une erreur paternaliste. Il faut qu’on évolue vers une démarche plus inclusive, c’est une question de pouvoir qu’il faut rendre aux musiciens», ajoute-t-il. C’est pourquoi pour le disque Horizonte, Francisco Sousa décide de réunir deux groupes d’artistes issus de la scène africaine de Lisbonne sous le nom de Bandé-Gamboa, pour donner une nouvelle vie à douze joyeux morceaux de gumbé et de funaná, totems respectifs du patrimoine musical de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.

Trait d’union

Si leur destin musical s’est écrit avec l’histoire politique de ces deux états dont elles ont d’abord soutenu la lutte pour l’autodétermination avant d’être réprimés par les colons portugais, gumbé comme funaná deviendront de véritables symboles de fierté nationale après l’indépendance. «Tout comme leurs musiques, analyse Francisco sousa, les aînés ont grandi avec la nécessité d’affirmer leur identité. Ils ont combattu les forces coloniales et ils ont gagné. Les plus jeunes, qui sont nés après les indépendances, connaissent ces musiques, mais pour eux, elles appartiennent au passé, elles les ennuient». Avec ce projet, offrir une cure de jouvence aux deux styles et les jouer en live au Cap-Vert comme en Guinée-Bissau compte beaucoup pour Francisco Sousa, mais il s’agit aussi de rétablir un trait d’union entre les générations. 

Pour transmettre aux plus jeunes les clés de voûte de leur génétique musicale, le producteur fait appel à deux directeurs musicaux : Juvenal Cabral d’un côté, basse du trio bissau-guinéen Tabanka Djaz, à Lucío Vieira de l’autre, originaire de l’île de Santiago, berceau historique du funaná. Pendant plusieurs semaines de répétitions, les excellents vocalistes Iragrett Tavares, Celso Evora, Kinha Andrade, Eric Daro ou encore Débora Paris, âgée d’à peine vingt ans, ont donc (re)découvert leur héritage via la reprise de morceaux méconnus voire inédits d’Aliu Bari, José Carlos Schwarz et du Cobiana Djazz Nacional, fervents ensembles contestataires et anticolonialistes guinéens, mais aussi de N’ Kassa Cobra, Papá de Betina ou encore du célèbre « roi du funaná » Zeca Nha Reinalda. Finalement, l’expérience des uns et la fougue créative des autres offrent au projet authenticité et modernité justement dosées. Le gumbé, dont le style est mouvant, parvient ici à trouver une unité, quant au funaná, il est électrique et s’autorise même un synthétiseur sur « Mulato Ferrera », évoquant les explorations cosmiques de Paulino Vieira dans les années 70. 

L’autre grande réussite du disque, c’est d’avoir trouvé un équilibre : s’il conserve une orchestration instrumentale — « Du funaná trap ou techno? Pourquoi pas, mais ce sera pour une prochaine fois! » — il évite aussi l’écueil d’une approche vintage. « La nostalgie peut être très dangereuse. Ici au Portugal, on a l’impression qu’après la révolution en 1974, le pays entier a voulu oublier son histoire coloniale. Nous ne sommes pas un cas unique en Europe : vous n’avez qu’à lire Postcolonial Melancholia du Britannique Paul Gilroy. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre encore à la radio des vieilles chansons portugaises qui célèbrent ce passé colonial, c’est pourquoi il était très important que les musiciens soient inclus dans tout le processus de création d’Horizonte», explique le producteur. 

Amílcar Cabral
Réhabilitation

Si quelques chansons lui rendent hommage directement, comme l’entraînant « Dunia Bé Tené » de N’Kassa Cobra, l’ensemble du disque est dédié à Amilcar Cabral, l’homme politique, l’intellectuel, le stratège, le fondateur du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert qui fut assassiné en 1973, juste avant la libération de ces deux états qu’il rêvait de voir unis sous le même drapeau. «Amilcar Cabral incarne un pont qui unifie les deux pays où il est toujours célébré aujourd’hui, tout comme au sein des communautés africaines du Portugal. Mais pour les institutions portugaises, il demeure une figure complètement incomprise, un ennemi national, alors qu’il était avant tout un humaniste. Je pense qu’il est temps de le réhabiliter, c’est pourquoi ce disque lui est dédié», affirme Francisco Sousa. 

Après ses études à Instituto Superior de Agronomia de Lisbonne — comme Amilcar Cabral — et un détour par la Hollande, l’ex-DJ du duo Celeste Mariposa découvre les musiques des anciennes colonies portugaises en écumant les disquaires dans les années 2000. A l’époque, les disques de funaná, gumbé ou kuduro angolais ne coûtent pas plus de quelques euros et la plupart d’entre eux avaient été produits à Lisbonne dans les années 70 et 80 par des labels tels qu’Electromóvel ou Valentim de Carvalho. « Ils n’étaient produits qu’à destination des communautés noires», déplore Francisco Sousa. « Jusqu’à récemment, aucune radio ne jouait ces musiques-là, les artistes ont été vraiment ghettoïsés, valides uniquement aux marges de la cité. Donc avec Celeste Mariposa, on a pris la décision radicale, presque politique, de ne jouer que ça, car on était choqué de constater que les Portugais blancs n’y connaissaient rien. Nous vivons dans un apartheid culturel qui ne dit pas son nom.» 

Un constat amer, quelques jours seulement après que Rui Rio, le président du Parti Social Démocrate, déclare qu’il n’y a pas de racisme dans la société portugaise », propos que les manifestations contre le racisme à Lisbonne sont venues démentir. Heureusement, les artistes portugais ne sont pas les derniers à conquérir les espaces d’expression et de représentations, à l’image des producteurs Pedro Coquenao (aka Batida) ou de Principe Discos qui braquent une fois par mois le club Musicbox en plein centre-ville de la capitale avec leur batida brûlante et leur public do ghetto. C’est aussi le cas d’Horizonte et du super groupe Bandé-Gamboa qui, avec ce « projet de musique vivante», ranime la flamme du gumbé et du funaná, donnant raison à Amilcar Cabral lorsqu’il disait « l’Afrique se réhabilite elle-même, devant elle-même et devant l’Histoire».

Bandé-Gamboa, Horizonte, disponible sur Bandcamp.

Francisco « Fininho » Sousa
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