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The Pan African Music Magazine
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Le monde souterrain de DJ K : baile funk, horrorcore et sorcellerie

PANICO NO SUBMUNDO, nouvel album du producteur brésilien, met en lumière le virage rave et l’ambiance hallucinogène des baile funk contemporains de São Paulo. Rencontre avec le « sorcier » du funk.

Submundo (nom masculin) : « groupe de marginaux ou de délinquants considéré comme un groupe social organisé » (Dicio, dictionnaire en ligne de portugais). Le décor est ainsi posé pour PANICO NO SUBMUNDO,  « panique dans le submonde », nouvel album de DJ K, jeune prodige de São Paulo ayant fait ses classes au baile de Helipa à Heliópolis, la plus grande favela de la plus grande ville d’Amérique Latine. Le baile, c’est cette soirée brûlante en extérieur qui, malgré les nombreuses tentatives de suppression des autorités, a lieu chaque semaine dans des centaines de favelas, durant lesquelles les DJs et leurs systèmes de sons surpuissants jouent les dernières tendances du « favela funk ». Le « funk » dont il est ici question, c’est cette mutation de la Miami Bass née à Rio dans les années 1980, devenue un phénomène mondial et une plateforme d’expression pour une grande partie des populations les plus défavorisées du pays. 

Il y a longtemps que le funk n’appartient plus seulement aux favelas : les plus grands MCs et producteurs carburent désormais aux centaines de millions de vues, touchent la classe moyenne et ses foyers, présentent des émissions à la télé et sont programmés dans les plus gros festivals. Pourtant, les baile restent le cœur du réacteur de cette musique en constante évolution qui s’est intensifiée depuis quelques années, les refrains catchy et bon enfant laissant place à des productions de plus en plus rapides, industrielles et expérimentales, cherchant constamment à repousser les limites des tympans. Si l’on dansait le « Rap da felicidade » (le « rap de la joie ») en 1995, les nouveaux hits du genre, particulièrement à São Paulo, sont désormais plus agressifs que joyeux, et sonnent plus comme de la rave que de la samba. 

Le nouvel album de DJ K, produit nonchalamment en trois jours, est un aperçu de ce qu’écoute aujourd’hui le public original de cette musique à São Paulo. Les pics stridents, les voix lugubres, les transitions chaque 30 secondes et les basses à faire trembler les oreilles nous plongent directement dans l’univers fantasmagorique et le bazar organisé du baile d’Helipa. Une transmission en direct de ce que diffusent aujourd’hui les murs d’enceinte explosifs des favelas, centre névralgique des tensions du pays et de sa musique de demain. Rencontre.

Dans la scène à laquelle tu appartiens, qu’appelle-t-on le « submundo » (le « monde souterrain ») ? 

Ce qu’on appelle le submundo, c’est en quelque sorte les favelas, les baile, les substances, tout ce qui s’y passe de manière plus ou moins illicite. Et l’élément de panique, c’est l’état dans lequel les favelas sont actuellement, avec la répression actuelle, le Covid, l’inflation… J’ai voulu évoquer tout ça en musique, avec le genre le plus populaire actuellement dans les favelas. 

Ce genre dont tu parles, c’est bien le funk mandelão ? 

Dans le funk brésilien, il y a beaucoup de styles différents. Le funk mandelão, le funk automativo, le funk conscient… Moi je mélange un peu le tout et j’appelle ça le « funk bruxo » (le « funk sorcier »). C’est un style sans censure. On y parle de tout ce qu’on veut : des favelas, des baile, de ce qui y est consommé, de la répression… C’est nos réalités. En termes de musique, c’est très agressif, c’est très appuyé, c’est rapide. C’est un ressenti de l’atmosphère dans laquelle on joue dans les baile : c’est un lâcher prise total. 

Pourquoi penses-tu que ce soit à São Paulo qu’un tel style se soit développé ? 

Les plus grandes favelas du Brésil sont à São Paulo ! Et la réalité est tout autre qu’à Rio, par exemple, qui est une ville avec la mer, la nature… Les funks carioca et paulista se sont différenciés depuis longtemps, parce que ce sont deux atmosphères très différentes. Notre BPM est beaucoup plus rapide, par exemple, et notre son est beaucoup plus froid. Notre musique est plus en phase avec notre réalité, bien que l’on y parle de réalités et de problèmes qui existent dans le monde entier. Mais peut-être un peu plus à São Paulo qu’ailleurs… 

Et quand est-ce que le funk « bruxo » (« sorcier ») est arrivé ? 

En fait, tout a commencé avec une blague. C’est le rappeur Emicida, qui est connu dans tout le Brésil, qui a un jour fait un tweet en disant que ce que je faisais n’était plus de la production, c’était carrément de la sorcellerie ! Ca m’a tout de suite parlé, et j’ai gardé cette expression dans ma manière de me présenter. 

La sorcellerie va justement très bien avec toute l’esthétique et les visuels autour du funk mandelão : les clowns de films d’horreur,  l’exorcisme… 

Ce sont des codes visuels qui vont avec notre musique. Les gens aiment les sensations fortes que leur donne la peur, adorent aller au cinéma regarder des films d’horreur. Ils aiment le suspens, la surprise… Donc on met ça dans la musique, mais aussi dans tout ce qu’il y a de visuel autour. De manière générale, dans les bailes dans lesquels je joue, plus c’est poussé, plus c’est agressif, plus c’est sombre, et plus le public aime. 

Bien qu’elle soit très populaire, d’un regard extérieur, on pourrait considérer ta musique comme une musique électronique de niche. Vois-tu une convergence entre le public des baile de favela et le public de musique trance, techno, électro…? 

Déjà, cela fait des années que le funk est devenu très mainstream. Le funk n’appartient plus aux favelas, le Brésil entier en écoute, donc le public est déjà très mélangé. Ensuite, je vois en effet une convergence des publics électroniques et des publics dans les favelas. Moi, par exemple, j’ai déjà été invité de nombreuses fois à jouer dans des festivals électroniques, de rave, de techno… Je suis actuellement en Allemagne, rien qu’hier j’ai fait un show à Berlin, où les gens sont plutôt techno. Et ça s’est super bien passé ! 

Et quelle relation entretient ta scène avec le funk beaucoup plus mainstream des Mc Kevin O Cris, Mc Kevinho, Mc Livinho… ? 

Personnellement, je n’ai rien à voir avec le funk commercial. Pour passer à la télé, à la radio, dans les gros médias, il faut faire un type de funk beaucoup plus lisse, qui est très censuré. Même si j’essaie à fond d’avoir un grand public et je suis en pleine promotion pour élargir le nombre de personnes qui m’écoutent, je n’ai rien à voir avec eux. Et surtout, dans la favela, les gens n’écoutent pas de funk commercial. Ils n’aiment pas ça. Si tu joues dans la favela, il faut passer quelque chose de plus agressif, un son beaucoup plus proche du mien. 

Quels sont les autres artistes que tu as en référence ? 

En réalité, quand j’étais plus jeune j’écoutais beaucoup de rock et de reggae. Des groupes comme Evanescence, System of a Down, Pearl… Pas mal de punk. Ce sont des énergies que j’essaie de transmettre dans ma musique. C’est plus tard que j’ai commencé à m’intéresser au funk. En ce moment, je suis très éclectique dans mes écoutes. J’écoute beaucoup de samba, de pagode, de rap, de trap… 

Et comment t’es-tu retrouvé à jouer au Baile de Helipa ? Qui décide de qui y joue ? 

C’est un système très fermé, en vase clos. Il faut connaître les bonnes personnes pour y jouer, c’est quasiment impossible d’être un DJ là-bas si tu es un outsider. En même temps, ça se comprend : le milieu du baile de favela reste un peu dangereux, alors avant d’embaucher un DJ on doit savoir qui il est, d’où il vient… Et personne ne gagne d’argent en y jouant ! Pourtant, c’est un système très compétitif, beaucoup de DJs du Brésil aimeraient jouer au baile de Helipa. 

Personnellement, ça a pris du temps avant que je puisse y performer. Par le biais d’amis d’amis qui avaient écouté ce que je postais sur Soundcloud, j’ai pu avoir ma place. Tout le monde m’y connaît maintenant, ça fait trois ans que j’y joue quasiment chaque semaine. Ensuite, c’est l’effet boule de neige : plus tu joues, plus tu as des gens qui viennent sur ton instagram te demander de jouer dans d’autres bailes. 

Pour toi, que représente le fait de sortir un album sur Nyege Nyege ? 

Je ne connaissais pas, et c’est mon manager qui m’a fait connaître l’équipe. Ils m’ont proposé de faire un album, alors je l’ai fait en trois jours sans grandes attentes. A ce moment-là, j’avais plein de choses à faire, des comptes, des événements… et puis quand l’album est sorti, j’ai vite compris la répercussion. On a eu des critiques dans des magazines américains, européens, des journalistes de partout. J’ai compris que ce travail m’emmenait ailleurs. Ma vie est déjà en train de changer ! 

DJ K jouera le le 14 et 15 octobre à Paris à la Mazette pour Nyege Nyege.

PANICO NO SUBMUNDO, disponible sur Nyege Nyege.

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