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The Pan African Music Magazine
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Beni Fadi chante pour sauver son peuple de l'oubli

L’artiste, qui se définit plutôt comme « combattant » pour la survie de sa culture, sortait l’an dernier son premier album Farkoko en collaboration avec les collectifs Rise et ElectrAfrique. Une manière pour lui de faire connaître la culture Bédik, un peuple méconnu du Sud du Sénégal dont la langue et la culture sont menacées de disparition. Un documentaire est consacré à cette aventure.

Pas facile ces derniers jours de joindre Benoît Fader Keita, aka Beni Fadi, dans sa petite ville de Bandafassi, à 700km au sud de Dakar. Les pluies de l’hivernage ont eu raison de son téléphone, et c’est quand il est à la maison avec sa femme (et que le réseau ne fait pas de caprices) qu’on peut le trouver, s’il n’est pas parti à la pêche ou surveiller ses animaux. Quand nous nous captons enfin, il revient justement d’une nuit à capturer des silures, ces gros poissons chats qui vivent dans les marigots. 

Bienvenue chez les Bédik

Benoit fait partie du peuple bédik, la plus petite et sans doute la moins connue des ethnies du Sénégal, qui vivait autrefois sur des collines rocheuses qui ne sont pas sans rappeler les falaises du pays Dogon, au Mali. D’ailleurs, on raconte que c’est de cette région que seraient arrivés les Bédik, fuyant des combats en se réfugiant dans ces collines difficiles d’accès, et percées de grottes. Mais avec le temps et le pouvoir d’attraction des villes, leur culture originale a fini par se diluer et menace aujourd’hui de disparaître complètement. Selon Benoît, il n’y aurait tout au plus que 3000 personnes qui parlent encore la langue. De plus en plus de jeunes partis vers les villes ne la maîtrisent plus, et ont encore moins connaissance de toutes les cérémonies, chants et danses mais aussi contes et légendes qui constituent leur riche patrimoine. Plus sûrement que l’appel de la modernité, c’est la raréfaction de l’eau sur les collines qui a fait progressivement descendre les habitants dans la plaine. Dans le village de Benoit, Ethiouaard, il n’y avait ni école, ni dispensaire, ni boutique… mais quand l’eau vint à manquer, la vie sur place était devenue trop difficile. 

Benoît, lui, est parti après le bac poursuivre des études d’anglais à Dakar, et c’est là qu’il s’est rendu compte à quel point les Bédik étaient inconnus. Avec son nom de famille, Keita, on le prenait pour un Malinké, ou bien un Bambara, ou encore un Socé. Mais quand il parlait des Bédik, personne ne connaissait… Alors il s’est dit qu’il allait mettre toute son énergie à faire connaître et reconnaître l’existence de son peuple, et du même coup, à essayer de redonner aux jeunes de chez lui la fierté de leur propre culture. Mais comment faire passer ces messages au grand public ? La musique, qu’il avait pratiquée pour s’amuser au collège, s’est imposée à lui. Et c’est ainsi qu’il repique des instrumentaux sur internet et se met à poser ses paroles en mënik (la langue des Bédik). Un morceau tendance coupé-décalé le fait connaître chez lui. Mais il veut aller plus loin et se dit  « Si je faisais un film peut-être que les gens pourraient suivre ça sur internet ou à la télé, et là les gens vont se demander : qui est ce peuple? » se souvient-il. Alors il arrête l’anglais après sa licence, suit une formation de réalisation et montage vidéo, et propose à la chaîne de télé dakaroise DTV, où on l’a embauché comme monteur, de partir filmer Gamond, une cérémonie traditionnelle bédik qui a lieu au mois de mai, à la fin de la saison sèche. Muni d’une caméra professionnelle, il saute dans un bus et redescend tout le Sénégal pour capter le rituel. Son équipe, il la forme sur place, en demandant aux jeunes villageois qui de tenir le micro, qui d’orienter le réflecteur… « les gens étaient fiers que ce soit un fils du pays qui réalise ce film, et fiers de participer »  explique-t-il. A son retour à Dakar, il monte et fait enregistrer à l’une des ses collègues journalistes la voix off. Le film fin prêt est diffusé sur DTV, la chaîne qui l’emploie, et on peut encore le voir sur YouTube

Electro-Bédik

Quelque temps après, Kalito, un de ses amis chanteur originaire du pays bassari (les Bassari sont un des peuples du sud Sénégal voisins des Bédiks) tombe sur le film et sollicite Benoît pour tourner son clip. Kalito n’a pas d’argent pour monter une équipe, mais Benoît accepte et tous deux partent à Bandafassi et dans les montagnes du pays bedik tourner avec un simple caméscope. C’est à ce moment, nous sommes en décembre 2020, que sa route croise celle d’un Suisse basé à Dakar, venu découvrir le pays bedik pendant ses vacances. Il a fait escale dans le seul hébergement touristique de Bandafassi, tenu par la soeur de Benoît. Le voyageur n’est autre que Cortega, Dj et producteur, fondateur du collectif ElectrAfrique. « Le premier ou le deuxième soir je vois ce jeune gars qui dirige un clip et qui me raconte sa démarche » se souvient Cortega, qui l’invite aux soirées ElectrAfrique de Dakar. Le Dj a une idée derrière la tête : proposer à Benoît,s’il est partant, une collaboration avec des producteurs électro qui apporteraient « la musique électro pour lui donner une visibilité, et lui il amène(rait) sa culture et sa langue, sa vision, pour faire un projet commun ». Il faudra encore un peu de temps, mais les graines du premier EP de Beni Fadi venaient d’être semées. 

Cortega contacte ses amis du collectif Berlinois Rise, et notamment Walter Griot et Hyenah, qui l’accompagnent en résidence à Bandafassi pour travailler avec Benoît, en produisant des beats qui intègrent des éléments musicaux tirés de la culture mënik. Puis ce sera Dakar, et les studios Deedo, avec la même équipe augmentée du producteur sénégalais Passa Beatz. Et pour couronner la fin de ce travail collectif et la sortie prochaine de l’album de Béni Fadi, une tournée est organisée. Elle commence évidemment à Bandafassi, car comme l’explique Benoît « Avant que tu ne te fasses connaître ailleurs, il faut déjà qu’on te fasse une place chez toi, dans ta famille ». Des images de ce premier concert figurent dans un documentaire baptisé Beni Fadi, maintenir le mënik a flow, réalisé par Audy Valera & Mao Sidibé.

Le film, dont une grande partie se passe en pays bédik, retrace le combat de Benoît pour la survie de sa culture, sa rencontre avec Cortega, Walter Griot et Hyenah puis, après Bandafassi, se poursuit à Dakar où Beni Fadi et ceux qui l’entourent se produisent sur le toit de l’espace Trames, lors d’une soirée ElectrAfrique très spéciale. Benoît, qui cherchait jusqu’alors ses instrus sur Youtube en ciblant les genres en vogue pour faire passer son message, est convaincu : « L’électro, c’est universel. Pas toujours simple de chanter en mënik dessus, mais ça ne laisse personne indifférent…. à Dakar, à Paris ou Berlin, c’est extraordinaire de voir les gens bouger même sans comprendre les paroles ». Car ce qu’il faut bien appeler la première tournée internationale de Beni Fadi est passée par Berlin et Paris, annonçant son EP « Farkoko » qui paraîtra finalement à l’automne 2022 chez Rise Music. 

Dans les médias internationaux, du Washington Post au Guardian en passant par le Courrier International, RFI ou France 24, on raconte l’histoire de celui qui refuse de voir sa langue et sa culture mourir, et qui en est devenu l’ambassadeur à travers la musique. Son message a commencé à se propager, et Benoît comme les Bédik ne peuvent qu’en être fiers. Mais de retour au pays, la réalité est plus amère. 

Retour au pied des collines 

Pendant qu’il était en tournée, Benoît a été remplacé à son poste de monteur à DTV, où plus personne n’imaginait le revoir après son départ pour l’Europe. Il rentre à Bandafassi, où beaucoup le prennent aussi pour un fou, car qui reviendrait de «l’eldorado », qui plus est sans avoir fait fortune ? De nombreuses connaissances dont ils n’avaient plus de nouvelles se mettent à le solliciter, puisqu’il est devenu « un boss ». Et pourtant… Benoît ne s’est guère enrichi, ce n’était pas le but de cette tournée. « Je me bats pour une communauté, je ne me bats pas pour être célèbre, pas pour avoir quelque chose pour moi » martèle-t-il. Il aura traversé des moments difficiles, mais relève la tête et développe une petite activité de transport avec une moto triporteur, élève des animaux dont la viande se vend bien. « Moi je peux rester ici chez moi, au fin fond du Sénégal, et je peux être riche en faisant une activité lucrative. Je veux avoir ma ferme à moi, être indépendant et essayer de créer de l’emploi ». La musique, elle, lui servira toujours à faire passer son message. Il continue de jouer, sans cachet, dans les villages de la région et écrit de nouveaux textes, en les enregistrant dans son téléphone puis en les retravaillant à la maison.  « Je ne lâche pas prise, assène Benoît. Si jamais j’abandonne, mon combat aura été réduit à néant ».  Et quand le temps et les finances viendront, il retournera à Dakar enregistrer. A 37 ans, il a du temps devant lui. Ce n’est pas pour rien qu’il a baptisé son EP Farkoko, « le caméléon ». L’animal est certes un totem chez les Bédiks, connu pour sa faculté d’adaptation et ses incessants changements de couleur. Surtout, il incarne la prudence car il avance lentement, faisant un pas après s’être assuré deux ou trois fois qu’il tiendra sur sa branche. A mille lieux de ceux qui cherchent à tout prix un succès rapide et de l’argent aussi facile qu’éphémère, Beni Fadi et son combat s’inscrivent dans la durée. Et c’est bien ce que méritent les Bédik, si l’on veut que leur culture et leur langue se perpétuent. 

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