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En zouglou ça réussit toujours… au maquis !
Public venu assister au concert live du groupe SelecBand à l’Académie du Zouglou située à Yopougon.

En zouglou ça réussit toujours… au maquis !

Abidjan, ça dort pas la nuit (1/3) | Les maquis, bars populaires et emblèmes des nuits abidjanaises, sont devenus des lieux de live et offrent aux artistes, ceux du zouglou en particulier, de nouvelles scènes où se produire. De Yopougon à Adjamé, voyage dans la culture maquis, et dans son économie.

Comme chaque dimanche, à partir de 17h, l’Académie du Zouglou, un maquis-live situé dans la commune populaire de Yopougon, reçoit progressivement des groupes d’amis venus se détendre devant quelques bières ou des bouteilles de Valpierre, un vin bon marché très répandu en Côte d’Ivoire. Ils attendent la prestation des artistes du soir devant lesquels ils pourront esquisser quelques pas de danse. En ce début juin, alors que la saison des pluies bat son plein et rend difficile l’organisation des concerts, une table est occupée par un groupe de femmes d’une cinquantaine d’années réunies pour célébrer la fête des Mères, une semaine après la date officielle, des fortes pluies ayant perturbé les festivités. Un autre groupe s’assoit à proximité et commande un premier casier de 12 Doppel, bière brune du groupe Castel flanqué d’un taureau en charge sur l’étiquette, ça ne sera que le premier d’une longue série. Rapidement, le maquis se remplit et le DJ augmente le niveau sonore à la même allure que monte l’ivresse des clients.

Ambianceurs de l’Académie du Zouglou. Yopougon. photo C. Millerand.

La manager du lieu, Mireille, arrive pour donner les consignes aux équipes. Elle tient ce maquis depuis son ouverture en 2018 et gère une équipe de onze personnes : commis de ménage, serveuses, techniciens son et lumière… Elle a la charge de trouver des artistes pour remplir la programmation : des stars confirmées le vendredi soir et des orchestres de reprises le dimanche. Les plus grands noms du zouglou sont passés par ici : Soum Bill, Yodé & Siro ou encore Molière. Ce soir, ce sera l’orchestre SelecBand qui animera la soirée, alternant entre les tubes du groupe rock-bété Les Woody et ceux des stars du zouglou. L’ambiance dans le maquis est bon enfant, les tables s’emplissent de bières à 2000 Fcfa le kit de trois ou de casiers, de poulets braisés, d’attiéké et de choukouya (viande braisée en morceaux, NDLR). Chacun mange jusqu’à être « gbê » (rassasié) et boit jusqu’à plus soif. Pour animer la soirée, l’animateur clame les slogans classiques : « en zouglou ça réussit toujours » ou encore crie « Zouglou ! », ce à quoi le public répond « C.I ! » (Côte d’Ivoire). Jusqu’à la tête de l’État, le zouglou est désigné aujourd’hui comme « l’identité culturelle » du pays.  

La Côte d’Ivoire prend le maquis 

Institutions populaires, les « maquis » sont probablement les lieux de distraction les plus fréquentés. Apparus au tournant des années 1990, notamment dans la mythique rue princesse (voir notre article), ces vastes espaces ouverts et bon marché sont visités à toute heure du jour et de la nuit, et s’emplissent considérablement le week-end. Depuis 2007, ils ont pris une nouvelle ampleur avec l’arrivée du concept de « maquis-live » que l’on doit à l’artiste Vieux Gazeur et à l’homme d’affaires Franck Govoei – dit Francky Lagova – qui, après avoir assisté au concert d’un orchestre de reprise de reggae a décidé de faire tourner les artistes de zouglou en live dans des espaces populaires : « Cette opération c’est un concept gratuit. Mon objectif, moi, c’est non seulement de casser la barrière des grandes salles, mais aussi de vulgariser, c’est-à-dire donner le spectacle à la ménagère. La cible du zouglou c’est la maman de Koumassi Sicogi [quartier populaire] , c’est le boutiquier, c’est-à-dire le gars qui écoute zouglou-là, c’est le grouilleur [le débrouillard], et c’est à lui qu’il faut envoyer le zouglou. C’est le gars qui quitte la maison avec ses 5 000 f, dans son programme, dans son cœur, il va boire 10 bières. Si c’est à 550 f la bière il ne boit pas ! Le gars de Cocody [quartier chic] il est déjà assis, il a 30 000 dans sa poche, s’il arrive et qu’on dit ici c’est 700, ça ne le dérange pas. Le gars de Yopougon, lui, il travaille toute la semaine et il y a un jour dans la semaine où il se tue avec ses amis. C’est-à-dire ils sont quatre gars, et puis chacun vient avec ses 10 000, et puis c’est coup sur coup, c’est millimétré hein ! Ils savent qu’ils commencent par un choukouya, et puis après ils savent qu’ils boivent ! Ils boivent, ils boivent ! »

En rendant le zouglou accessible, Francky Lagova est le précurseur de cette scène live qui, depuis 2007 a vu se multiplier les espaces qui essaiment désormais sur l’ensemble du territoire national. C’est aussi lui qui fera jouer en live le premier orchestre de reprise zouglou, devenu par la suite l’un des groupes phares du genre jusqu’au décès de leur chanteur Jean-Roger Adom en 2022 : les Zouglou Makers. Les artistes reconnaissent tous que les maquis-live ont révolutionné l’économie musicale du pays, leur permettant d’avoir des cachets hebdomadaires et d’être moins dépendant des mécènes.

Yopougon, quartier de naissance du zouglou, est aussi le mieux loti en maquis avec le plus célèbre espace du genre : l’Internat, monté par Aimé Zébié et l’artiste Fitini en 2009. Chaque dimanche soir, le lieu accueille jusqu’à 1800 personnes devant les stars du moment. 70 personnes travaillent directement dans le lieu, et, selon son propriétaire, près de 200 personnes bénéficient indirectement des bénéfices : femmes qui vendent de la nourriture aux abords, vendeurs de cigarettes, boutiquiers, jeunes qui sécurisent les voitures de clients, etc. Depuis une dizaine d’années, des maquis-live plus modestes, tels que l’Académie, sont apparus à Yopougon : Le Campus du Zouglou, Chez Gnawa ou encore la Forêt Magique. La plupart de ces noms font directement allusion à l’origine estudiantine de la musique zouglou, née dans la cité universitaire de Yopougon en pleine lutte pour le multipartisme au début des années 1990.

Ambianceurs de l’Académie du Zouglou, Yopougon. photo C. Millerand
De l’Académie à la pharmacie, tout travail mérite sa bière

Dans les stands installés aux alentours des maquis, tous les classiques de la nourriture de rue ivoirienne se retrouvent : poulet braisé, kedjenou (viande en soupe pimentée), soupe de poisson, choukouya et, bien sûr, garba (thon frit & semoule de manioc). À l’Académie, nous rencontrons Mamouska, une dame d’une soixantaine d’années assise à son stand en train d’éplucher les oignons, elle travaille en famille avec ses deux filles. Elle habite dans une cour de la rue adjacente et a vu dans la création du maquis une bonne occasion d’ouvrir son commerce. Elle est la plus ancienne des restauratrices de ce bout de rue, où elle loue son emplacement au propriétaire du maquis. Elle travaille toute la semaine, midi et soir, mais c’est surtout les week-ends avec les lives qu’elle arrive à faire rentrer l’argent. À ses côtés, Eddy, un jeune homme qui fait du poulet et du porc grillé vient tous les soirs d’un autre quartier de Yopougon, Toit Rouge. Il travaille ici avec son associé depuis deux ans, uniquement les soirs. À l’instar de sa collègue, c’est les week-ends où l’argent rentre plus facilement.

Travailleurs de l’Académie du Zouglou dont Eddy (centre) et Mamouska (à droite de l’image), Yopougon.  photo C. Millerand

Si les maquis sont des espaces de consommation prisés, car peu onéreux et populaires, ils sont aussi des lieux de vie centraux dans les quartiers qui permettent à de nombreuses personnes de travailler. Pour une très large partie de la population, surtout masculine, ces espaces ouverts constituent le principal lieu de sociabilité et de divertissement. Cette culture du maquis évolue aujourd’hui vers un nouveau type de lieux, qui viennent prendre le relais une fois la nuit avancée : des boîtes de nuit à petit budget, dont l’ambition est à la fois de reproduire cette ambiance populaire tout en « montant en gamme » les équipements dans des espaces fermés avec stroboscope, laser et machine à fumée.

Un dimanche soir au maquis la « Farmacy 2 Garde », Adjamé. photo C. Millerand

Au quartier des 220 logements à Adjamé, ancienne cité des fonctionnaires devenue aujourd’hui un quartier de la classe populaire, nous rencontrons Dieudonné et Paul Éric qui nous emmènent à la « Farmacy 2 Garde », dont le nom est emprunté à l’un des maquis historiques de la mythique rue princesse. L’endroit est déjà plein quand on rentre, mais va rapidement atteindre sa saturation alors que les artistes du soir, l’orchestre « Les Élites », débutent leur balance. La circulation est difficile dans la pièce où les serveuses envoient kit de bière sur kit de bière à chaque table. À la nôtre, nos accompagnateurs ne nous laissent pas commander et renouvellent nos bières avant même que nous ayons bu la moitié de celles devant nous. L’endroit se veut être « la meilleure boîte de nuit d’Adjamé », et au regard de la forte population pour un mercredi, cela ne semble pas impossible. L’ambiance est relevée par les effets de lumières et la fumée sur la piste. 

Ambianceuse de la Farmacy 2 Garde, Adjamé. photo C. Millerand.

 Ici, la clientèle est constituée essentiellement des jeunes du quartier qui vivent des économies informelles ou de petits boulots. La bière est au même prix qu’à l’Académie, et les tables sont recouvertes de larges seaux à glace emplie de boissons. Les jeunes se sapent pour sortir : t-shirts Disquaded 2 et Armani, survêt de (fausses) griffes Lacoste, chaussures ouvertes et quelques baskets, comme ces magnifiques Nike couleur Jamaïque que porte Dieudonné. Certains adoptent le style coupé-décalé, lunette longiligne à verre unique et vêtements américains, casquette de l’OM ou de marque DC sur la tête. À l’extérieur du bar, tout le monde n’a cependant pas la chance d’assister au spectacle. Car si le lieu se veut accessible à tous, quelques jeunes sans revenus qui vendent des cigarettes devant le bar ou des précaires assis au kiosque à café en face ne peuvent se permettre d’assister que de loin à la soirée. La nuit n’appartient pas à tout le monde.

Kiosque d’Abou, 5 h du matin. Les derniers pain-omelettes et spaghetti-rognons ont été servis. D’ici une heure, les premiers travailleurs des 220 logements arriveront pour prendre leur café au lait du matin, Adjamé. photo C. Millerand.

Pour Paul-Éric et Dieudonné, qui sont responsables du syndicat d’une tour des 220 logements, ce lieu a eu du bon pour la commune : il a apaisé les tensions entre deux quartiers anciennement rivaux en permettant aux jeunes de se retrouver et de faire la fête ensemble. Il a aussi sécurisé ce coin de rue, désormais animé toutes les nuits. Enfin, le propriétaire de l’espace, Antoine, a donné du travail à des jeunes des 220 logements, quartier dont il est lui-même originaire. On pourrait ajouter que le lieu apporte une réelle plus-value au quartier, accueillant chaque dimanche soir un set de DJ Arsenal, star des premières heures du coupé-décalé avec son « concept » qui allie danse & musique, le shéloubouka, qui lui a permis de gagner un RTI Music Awards en 2005, un prix décerné par la télévision nationale.

La « Farmacy 2 Garde » et les maquis ouverts de Yopougon sont emblématiques de cette culture du maquis, omniprésente à Abidjan comme dans les villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Pour de nombreux Ivoiriens, ces lieux sont au cœur de leur vie sociale, on y vient s’amuser, découvrir l’actualité musicale et danser, le tout à un prix qui reste accessible à la plupart, contrairement à certaines boîtes de nuit. Comme l’exprime Oulahi, un client de l’Académie du Zouglou, la plupart des gens qui comme lui fréquentent ces espaces ne songent même pas à aller dans les nouveaux endroits huppés de la capitale économique : « c’est les quartiers hyper chics où il faut beaucoup de moyens, avec ce que nous on a, on préfère rester au maquis ».

Arnaud Junior, vendeur de cigarettes et mouchoirs Lotus à la sortie de la Farmacy 2 Garde, Adjamé.
photo C. Millerand.