D’abord formé à la musique traditionnelle bretonne bien de chez lui, Yohann Le Ferrand s’est plus tard laissé envahir par le groove de la musique afro-américaine. En suivant le fil rouge, le musicien français s’est rapidement retrouvé en Afrique de l’ouest, s’émancipant sur scène aux côtés de Tiken Jah Fakoly, Rokia Traoré ou Inna Modja. En parallèle, il laisse germer Yeko dans son esprit, un projet qu’il construit au fil des aller-retours et des rencontres, dans lequel il laisse parler l’esthétique musicale des vocalistes sur ses arrangements. Qu’il sonne rap, reggae ou afro-rock, YEKO est un disque produit « à la roots », nourri par la diversité des instruments traditionnels (kamelengoni, flûte peule, violons touaregs…), le talent de ses six invités et leurs histoires personnelles plus ou moins engagées. Pour PAM, Yohann et quelques-unes de ses amies racontent les coulisses de ce disque aussi singulier que fédérateur.
Khaira Arby, la Maman de tous
Nous découvrions Yohann à l’été 2020, alors qu’il nous envoyait « Yerna Fassè », un magnifique premier single chanté par Khaira Arby, alias le « Rossignol de Tombouctou », décédée entre l’enregistrement du morceau et le tournage du clip. Yohann a rencontré Khaira sur le plateau du film N’gunu N’gunu Kan réalisé par la Malienne Soussaba Cissé après le coup d’état de 2013. Elle y racontait les difficultés de la jeune génération vivant à Bamako à comprendre les conflits de leurs aînés, un message sublimé par Khaira qui « avait toute sa place, car très engagée auprès de la jeunesse et des femmes », raconte Yohann Le Ferrand. Véritable point de départ du projet, Khairal’ a accueilli à ses côtés comme « un fils spirituel » poursuit-il, lui qui avait déjà « beaucoup d’affection pour cette femme au grand cœur ». Chanté en langage Sonraï, « Yerna Fassè » signifie « Le Bonheur Partagé ». C’est dans la chambre de son fils, au quatrième étage d’un immeuble, sous une chaleur écrasante, que Khaira chante le voyage de cette caravane qui descend du nord au sud pour distribuer le sel, métaphore de la paix et du partage. « Il y avait un énorme ventilateur dans son dos, l’ingé-son m’en a un peu voulu pour ça ! », s’amuse Yohann, qui salue la générosité de la chanteuse, peu avare sur le nombre de prises. « Pendant l’enregistrement, il devait être minuit, je voyais de nombreuses personnes de moins de 25 ans arriver chez elle et dormir sur la terrasse avec leur moustiquaire », se souvient-il. « Elle vivait au milieu de ses propres enfants, des musiciens, des amis, des gens de passage. C’était la maison de tout le monde, elle était la maman de tous. »
Kandy Guira, puissante et solaire
Kandy Guira est sans équivoque : « humainement et musicalement, ça a matché tout de suite ». Sa chanson « Yelema » fut en effet le point de départ d’une collaboration plus sérieuse, puisque Yohann accompagne aujourd’hui la chanteuse burkinabée en tournée. « Il a une compréhension particulière de la musique malienne et sahelienne », continue-t-elle, « Yohann est un musicien instruit et ouvert, et pour moi la musique n’a pas de frontières, seules les sensibilités diffèrent. » Les deux se sont connus par l’intermédiaire des musiciens d’Oumou Sangaré : « je ne suis pas étonné de voir quel morceau elle a choisi, ça colle bien avec sa puissance solaire », partage Yohann. Avec l’énergie qu’on lui connaît, Kandy signe peut-être le morceau le plus lumineux de l’album. Sur « Yelema », elle tente de donner une leçon d’humanité : « il faut que l’être humain apprenne à écouter la nature, à lui rendre ce qu’elle nous donne », explique-t-elle. « Quand la nature se déchaîne, elle veut nous faire comprendre qu’il y a un problème, et au lieu de comprendre son langage on trouve le moyen de s’entretuer ! » Également présent en version remixée sur l’album Nagtaba de Kandy, « Yellema » est le fruit d’une rencontre entre deux êtres humains sensibles qui s’adressent au monde : « quand la pluie te bat, ne te bats plus. »
Mylmo, la force tranquille
« Les gens adorent Mylmo, car il dépeint la société malienne avec beaucoup d’humour, mais avec respect », confie Yohann. « Il arrive bien à surfer sur la vague de la critique tout en étant apprécié par tous, y compris par les anciens. » Les talents d’orateur de ce rappeur malien sont mis à l’épreuve sur « Doussoubaya » – « le cœur gros » en bambara- une chanson qui mit plus de deux ans à se terminer. Sur fond de chœurs gospel enregistrés à Rennes, l’artiste aux milles mots y raconte que les connexions qui viennent à nous sont le reflet de notre sincérité. « On a connu les coupures de courant à Bamako », se remémore Yohann, le sourire aux lèvres. « La batterie de mon MacBook était presque vide et il fallait absolument finir les prises, car c’était juste avant mon retour en France et c’était le seul moment disponible pour Mylmo, habituellement très sollicité ! » Une urgence qui ne se ressent pas sur ce morceau funky, enjoué et ensoleillé. « On a pourtant enregistré dans le noir », s’amuse-t-il, « j’ai réussi à avoir la dernière note et sauvegarder juste avant que l’ordinateur ne coupe ! »
Koko Dembélé, le « Sugar Man » malien
L’histoire personnelle du Malien Koko Dembélé est en effet digne de celle de Sixto Rodriguez, alias « Sugar Man » (voir le film Searching for Sugar Man de Malik Bendjelloul). Yohann raconte, encore halluciné : « un jour, quelqu’un est venu le trouver en Côte d’Ivoire pour lui demander de venir au Brésil avec lui pour jouer dans un festival, en précisant qu’il avait les autorisations diplomatiques nécessaires et de quoi faire un passeport. Au début, il ne comprenait rien ! » Quand l’avion atterrit, on demande à cet ancien musicien de l’Orchestre Kanaga de Mopti de sortir en dernier, pour qu’il découvre avec stupeur la foule de gens qui l’attendait à l’aéroport. « Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’une touriste brésilienne était revenue de ses vacances en Afrique de l’ouest avec une compile de reggae contenant un morceau de Koko », continue Yohann. « En rentrant au pays, elle met la cassette dans un taxi, le chauffeur la transmet à un ami qui travaille dans la radio, et c’est comme ça que le morceau est passé partout au Brésil ! » Une fois arrivé au festival, Koko constate qu’il en est le parrain aux côtés de Michaël Jackson et Nelson Mandela. Une histoire de dingue qui laisse sous-entendre un certain charisme naturel : « c’est le seul morceau que je n’ai pas composé sur l’album, mais quand je l’ai vu jouer la chanson seul sur scène avec sa guitare, j’avais l’impression de voir Bob Marley ! » Chanté dans les cinq langues des principales ethnies du Mali, « Sauver » transpire la détresse et l’engagement pour son peuple, et dénonce les décisions des leaders face à la situation critique des habitants de la zone subsaharienne.
Tina, l’insaisissable
Yohann a vu Tina pour la première fois au festival de Ségou, alors qu’elle dansait et chantait pour Salif Keita. Sous le charme, il cherche à entrer en contact en faisant marcher son réseau sur Bamako. Sans succès. Le temps passe et l’idée lui sort de la tête. « Je suis parti en tournée avec le spectacle Kirina de Rokia Traoré et Serge-Aimé Coulibaly, à Marseille », raconte Yohann. « Le midi à l’hôtel, on s’arrange pour se faire à manger avec les choristes et en arrivant dans la chambre, quelqu’un m’ouvre la porte, on mange, on parle du concert… J’y retourne le lendemain et me suis rendu compte plus tard que c’était elle ! » Choriste de Rokia Traoré à ce moment, Tina en profite pour écouter la musique de Yohann, et les deux se mettent illico à enregistrer dans ce même hôtel. Une admiration mutuelle s’installe, et naît alors le morceau « Dunia » : « en bambara, Dunia veut dire le monde, la terre », nous explique Tina. « La chanson parle de la réalité du monde, les mauvais rapports entre les êtres humains, la méchanceté ambiante au lieu de s’aimer les uns les autres. » Pas besoin de comprendre les paroles de cette chanson pour sentir cette sagesse qui emplit l’espace, véhiculée par la voix réconfortante de Tina. Aussi, Yohann n’est pas le seul à s’amuser des anecdotes de production : « Yohann roulait en moto pour venir chez moi, c’était rigolo de voir un blanc sur une moto Djakarta au Mali ! Dans ma chambre, on se débrouillait en fabriquant des pieds de micro avec un manche à balai coincé dans le sommier, pour avoir notre petit studio !» Délicat, humble et juste, « Dunia » est à l’image de cette rencontre.
Mamani Keita, unique et incontournable
Collaborer avec Mamani Keita est peut-être la plus belle des conclusions. C’est la dernière personne que Yohann Le Ferrand a rencontrée, et l’ajouter à la liste des invités au milieu des ces artistes engagés était une évidence. Yohann se souvient de sa gentillesse : « au bout d’un quart d’heure, elle m’a dit qu’elle était ma tantie ». En apprenant la liste des invités, Mamani trouve immédiatement sa place : « je suis très proche de plusieurs de ses invités », nous dit-elle.« Il y a ma sœur Khaira Arby -paix à son âme- mon frère Koko Dembélé, Kandy avec qui je chante dans les Amazones d’Afrique et Tina, qui n’est autre que la fille de ma meilleure amie d’enfance, la chanteuse Maïmouna Dembélé ! Notre collaboration était une évidence et je suis heureuse d’avoir pu l’aider dans ce beau projet. » Après seulement deux heures de travail, Yohann repart avec un matériel vocal considérable sous le bras pour composer « Konya », qui évoque les problèmes sociétaux liés à la jalousie. Positive et pleine de vie, elle offre son timbre vocal unique et incontournable au projet Yeko, et habille le clip très graphique de son sourire contagieux. « Je suis très reconnaissant qu’elle ait accepté et qu’elle m’ait fait confiance », termine Yohann, « je suis allé vers elle car j’avais entendu dire qu’elle était très cool, c’est la réputation qu’elle a, et ça se vérifie ! »
L’album est disponible sur toutes les plateformes.