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Tendai Maraire : la mbira, héritage assumé
Kelly O

Tendai Maraire : la mbira, héritage assumé

Réconcilié avec la tradition musicale de sa famille, dont le label Nyami Nyami vient de rééditer un des albums fondateurs, le joueur de mbira américano-zimbabwéen puise dans son expérience personnelle pour se faire médiateur entre deux cultures.

Le rapport à la musique de Tendai Maraire, musicien accompli, joueur de mbira hors pair et membre des groupes C.A.V.E., Chimurenga Renaissance et Shabazz Palaces, n’a pas toujours été facile. Partagé entre admiration et ressentiment envers son père, Tendai Maraire évoque la relation compliquée qu’il entretenait avec le légendaire Dumisani Maraire, décédé en 1999. Si le fils – né et grandi à Seattle- reconnaît le grand courage de son père, il regrette de ne pas l’avoir suffisamment côtoyé. « Il était toujours très occupé et sa famille passait au second plan », raconte-il à propos de celui qui se faisait affectueusement appeler Dumi. « Si Miles Davis était dans le coin au moment d’un de mes concerts, c’est Miles Davis qu’il allait voir », ajoute-il. « Je lui en voulais d’avoir autant d’enfants et de ne pas s’en occuper », admet-il. 

Mais Tendai Maraire a également beaucoup d’admiration pour son père qui pratiquait et enseignait la mbira à une époque où celle-ci était fortement diabolisée par les missionnaires de l’ancienne Rhodésie, devenue le Zimbabwe après son indépendance en 1980. « Tout le monde n’est pas capable d’autant d’audace », insiste avec enthousiasme Tendai. Néanmoins, son père ne lui apprendra jamais à en jouer.

Tendai Maraire
Choisi par la mbira

Au Zimbabwe, Tendai Maraire ressent également le poids des attentes qu’on lui fait porter : « Je sais ce que ma famille représente au Zimbabwe. Ils ont une importance considérable », reconnaît-il. Sa sœur, décédée en 2013, était, elle aussi, une musicienne de renom. Chiwoniso a dix ans lorsqu’elle commence sa carrière. En 1986, elle enregistre ainsi aux côtés de son père et de sa mère l’album Tichazomuona, récemment réédité par Nyami Nyami Records. Elle rejoint le trio de hip-hop A Peace of Ebony à seulement 15 ans, puis The Storm avec le guitariste Andy Brown (qu’elle épousera par la suite) avant d’enregistrer son premier album solo, Ancient Voices, qui sera acclamé par la critique. Il était donc tout à fait prévisible que Tendai Maraire devienne à son tour porteur de la tradition musicale assumé par sa famille. « J’ai toujours ressenti une forme de pression. Il fallait que je fasse de la musique. Ne pas en faire était impensable », révèle-t-il.

C’est d’ailleurs ce qu’on lui fait très vite comprendre. À l’occasion d’un baptême au Zimbabwe, alors que le regard du jeune homme s’attarde sur une mbira qui trône chez une guerisseusse (nyanga, en shona), cette dernière (qui se fait porte-voix des ancêtres) prédit la chose suivante: « C’est à toi, et tu joueras de cet instrument dans plus de pays que quiconque avant toi », se souvient Tendai. La mbira, si chère à sa sœur et à son père, est même citée, comme un musicien, sur la pochette de l’album Tichazomuona. L’instrument, qui existe en Afrique depuis des milliers d’années, est composé de lamelles métalliques (que le joueur vient faire vibrer avec ses doigts) fixées sur une planche de bois creuse ou attachée à une calebasse servant de caisse de résonance. Les Shonas du Zimbabwe considèrent la mbira sacrée et elle joue ainsi un rôle essentiel dans les cérémonies traditionnelles.

Ce destin de joueur de mbira, Tendai Maraire ne l’acceptera pleinement qu’au moment de la mort de sa sœur, une expérience surréaliste pour le musicien. Il raconte ainsi que sa sœur lui serait apparue peu de temps avant d’apprendre sa mort. « J’ai ressenti comme une transition spirituelle », affirme-t-il. « J’ai pris ma mbira et j’ai commencé à jouer et à pleurer pendant une heure au moins ». Si Tendai Maraire ne s’est jamais senti particulièrement proche de son père, la complicité qu’il entretenait avec sa sœur était très forte. « Elle et moi étions très liés l’un à l’autre », certifie-t-il. Tendai laisse d’ailleurs entendre qu’il pourrait être amené à sortir des remixes de ses disques… 

Devenu musicien à son tour, l’artiste parvient également à faire la paix avec son père absent. « J’ai compris à quel point il devait être occupé », explique-t’il. C’est peut-être d’ailleurs en admettant la faillibilité des musiciens de sa famille et en cessant de les idéaliser que Tendai s’est finalement réconcilié avec son héritage. « La musique était la seule constante qui a permis à ma famille de tenir le coup », confie-t-il, évoquant successivement la mort de sa sœur, l’Alzheimer de sa mère et les pressions subies par son père en tant qu’immigré. « En tant que migrant, il devait sans cesse s’évertuer à être le meilleur dans tout ce qu’il faisait », raconte Tendai à propos de son père, parti s’installer aux États-Unis où il commença à enseigner dès la fin des années 60.

Car Dumisani Maraire, en plus d’être un grand musicien, était également professeur. Il enseigna notamment à l’Université de l’État de Washington et à l’Evergreen State College, avant de revenir -en 1982, après l’indépendance- s’installer au Zimbabwe où il lança une filière d’études universitaires en ethnomusicologie. C’est là, après de multiples aller-retours entre les deux continents, qu’il finira ses jours.  Aujourd’hui son fils qui voyage régulièrement entre le Zimbabwe et les États-Unis, tend à lui ressembler. Devenu aîné de la famille (c’est pour ça qu’on l’appelle aussi « Baba »), Tendai Maraire estime en effet avoir un rôle de médiation à jouer entre les cultures zimbabwéenne et afro-américaine. Un rôle de conseil, aussi, auprès des générations futures qu’il prend très à cœur : « La chose la plus difficile que j’ai jamais entreprise est de convaincre les Zimbabwéens qu’ils n’avaient pas besoin de se comporter comme les autres pour réussir », constate Tendai avant d’ajouter : « On ne peut pas aller bien loin sans comprendre son propre peuple ».

Dumisani Maraire
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