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FEMUA : jeunesse, mode d'emploi
© Femua

FEMUA : jeunesse, mode d'emploi

La 14e édition du FEMUA - le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo s’est achevée la nuit dernière à San Pedro, après avoir enjaillé les jeunes Abidjanais. Quand penser, danser, et espérer riment pour de vrai. Revue.

A’salfo, le leader des Magic System et commissaire général du FEMUA, avait annoncé la couleur : cette année, la programmation serait la plus jeune de toute l’histoire du festival, dont c’était la 14ème édition : le Congolais Innoss’b, l’Ivoirien Suspect 95, le Malien Iba One, la Gabonaise Shan’L, le Tanzanien Diamond Platnumz pour ne citer que ceux-là, ont confirmé l’hégémonie des moins de trente-cinq ans sur cette édition. Un choix en cohérence avec la démographie de la Côte d’Ivoire et du Continent, où cette classe d’âge représente plus des trois quarts de la population, et demeure la plus touchée par le chômage. D’où le thème central des Carrefours jeunesse, « entrepreneuriat et employabilité des jeunes”,  au centre des débats qui font les jours du Femua, quand les concerts en sont les nuits.

Musique et emploi peuvent d’ailleurs faire très bon ménage, remarquait la nouvelle ministre ivoirienne de la culture, Françoise Remarck lors de l’inauguration du festival, ce que confirme A’salfo, son commissaire général  « je prends l’exemple du Femua, rappelle-t-il, qui peut employer 1000 personnes (emplois directs et indirects). C’est des gens qui vivent autour de ça : tous ceux qui mettent des bâches, qui tirent des câbles, toutes les femmes qui vendent autour… Quand on regarde tout l’écosystème économique autour de ce festival, j’ai envie de dire que ça produit plus que les gros séminaires et les gros sommets qu’on nous donne ici, à parler et à gaspiller l’argent du contribuable, alors qu’il n’y a rien qui rentre en retour, donc il faut dire ça aux dirigeants”. Cette année, l’agence emploi jeunes qui avait son stand sur le site, proposait différents dispositifs d’insertion, ainsi que des financements dans le domaine des industries culturelles et créatives.

Lors d’une des conférences du Carrefour jeunesse © Femua

Vu de l’extérieur, il est certain que le Femua, devenu l’un des plus importants festivals organisés sur le continent, est aussi l’un des mieux organisés et surtout, l’un des plus originaux, puisqu’il associe à la musique la réflexion, et génère -via ses partenaires- le financement d’écoles à travers le pays (6 déjà construites, 3 autres en prévision à ce jour). Malgré ce bilan, le leader des Magiciens demeure humble, arguant que “14 ans (l’âge du Femua) c’est à peine l’âge du BEPC” et se dit ouvert à toute critique constructive, et le résume en une punchline qu’on croirait sortie d’une chanson : “On ne peut pas être à la fenêtre et se regarder passer”.  Surtout quand avec son vélo, on fait le tour de l’Afrique. Et qu’on s’arrête au Congo.

La RDC dans tous ses états 

Après le Sénégal l’an dernier, le Congo-Kinshasa était l’invité d’honneur du Femua 14, et organisait une soirée spéciale le 11 mai à l’Institut français. Le programme était ambitieux : un spectacle retraçant l’histoire de la rumba, étalée sur 4000 ans, et tout cela en 40 minutes. Pas étonnant qu’en voulant embrasser si large, et en si peu de temps, le résultat ait été aussi décevant. L’idée était pourtant bonne, puisqu’il s’agissait de raconter en plusieurs tableaux les âges de la rumba, classée fin 2021 au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’Unesco. À chaque tableau sa musique, ses danses et ses habits, et tandis que figurants et comédiens se succèdent pour les incarner, une voix off lie le tout en racontant l’histoire, avec un petit, comme avec un grand “H”. Raccourcis historiques, illustrations visuelles laborieusement projetées… le temps de préparation fut manifestement trop court, et le résultat ne fut vraiment pas à la hauteur du génie congolais, qui ne manque pourtant ni d’artistes ni d’historiens pour s’attaquer à une tâche si ambitieuse. Pardon, faut pas fâcher : c’est en amoureux de la rumba que je fais ces critiques, car j’étais à la fenêtre, et j’ai vu ce jour-là passer le vélo congolais. Toleka ! 

L’orchestre Viva la Musica de feu Papa Wemba © Femua

Heureusement, dans son équipe, la RDC avait aussi emmené ses champions : Felix Wazekwa, ainsi que Viva la Musica – l’orchestre héritier de Papa Wemba, qui ont enflammé le public du Femua en rendant un magnifique hommage à Papa Wemba. Car personne n’a oublié, en RDC comme en Côte d’Ivoire, le “chef coutumier du village Molokai” qui tira sa révérence en 2016 lors de son dernier concert, ici même au Femua. En fermant les yeux, tandis que l’orchestre ranimait de grands classiques comme “Bakwetu”, “Kaokokorobo”, on aurait pu croire le Vieux Bokul revenu du pays des ancêtres. Son esprit planait, c’est certain, sur cette belle soirée et sur les relations culturelles qui, grâce à la musique, lient Kinshasa et Abidjan depuis fort longtemps déjà (on se souvient de l’hommage rendu par Tabu Ley à la fin des années 60 dans sa chanson “Bel Abidjan”, mais aussi des grandes années de Sam Mangwana pour ne citer que ces deux-là).

Innoss’b sur la grande scène de l’INJS, le complexe sportif où se tient le Femua © Femua
Musique congolaise et coupé-décalé : deux mains qui se lavent

Depuis le tout début des années 2000, la rumba a influencé le coupé-décalé naissant (guitare sebene, importation des “atalaku” – les crieurs-louangeurs que le groupe Zaiko Langa Langa avait installés dans la rumba). A la fin de la décennie, le succès du coupé-décalé ivoirien allait à son tour influencer les Congolais, et ainsi de suite… “Coupé décalé et musique congolaise c’est comme des cousins ou des cousines”, explique Innoss’B, 23 ans et un succès fulgurant qui dépasse les frontières du continent. Dans ce jeu d’influences réciproques, dit-il :” je crois que la musique congolaise est venue juste avant, mais aujourd’hui il y a un apport d’éléments du coupé décalé qui n’existaient pas dans la musique congolaise, et vice versa. C’est une même famille, mais on a la même mentalité, la même idéologie, la même énergie, et surtout… on se complète”. Le show, vendredi 13 mai, de celui qui a collaboré avec Shadow Chris en Côte d’Ivoire, valait le détour. Asalfo, qui avec les Magiciens intègre depuis quelques années des riffs de guitare sebene typiquement congolais, voit ces relations comme une saine émulation. “Ce qui fait que l’écosystème de notre musique fonctionne bien, analyse le commissaire-chanteur, c’est qu’il y a des saisons : il y a la saison où c’est le Congo qui occupe le terrain musicalement, puis c’est la Côte d’Ivoire, puis  le Nigeria vient jouer les trouble-fête mais ça se régénère de génération en génération”. Un bon résumé des tendances lourdes de ces dernières années. Quant au zouglou, bien vivant, il est toujours là, et depuis le début, dans la programmation du Femua.

Siro (g) et Yodé (d) au Femua à Abidjan © Femua
En Zouglou ça réussit toujours

Car si l’on avait pu croire, quand le coupé-décalé a émergé, que le zouglou n’allait pas se remettre de cette déferlante musicale, on s’était trompé. D’abord parce que c’est précisément à cette époque – le début des années 2000, que le succès des Magic System éclate à l’étranger, faisant d’eux les ambassadeurs internationaux du genre. Et puis et peut-être surtout, parce qu’après les années de crise politico-militaire bridant l’expression, le samusement du coupé-décalé ne suffisait plus aux Ivoiriens : la devise des zougloumen, “Gbè est mieux que drap” (entendez : mieux vaut dire ce qu’on a sur le coeur – même si ça déplaît- que de se battre pour de vrai) méritait de retrouver tous ses droits. Yodé et Siro en sont une bonne illustration : eux qui chantaient sur leur dernier album “Président on dit quoi”? et qui eurent maille à partir avec le Procureur de la République de Côte d’Ivoire pour l’avoir accusé de partialité, ont donné un très bon concert sur la grande scène du festival, faisant résonner leurs chansons très loin, reprises en choeur par tous les maquisards (on me permettra d’appeler ainsi le public installé aux terrasses des maquis). Apparemment, le palabre de Yodé et Siro avec les autorités est révolu, et le duo – qui a accordé récemment une interview publiée sur PAM- dit avoir été entendu. D’ailleurs, les autorités – le premier ministre, Patrick Achi en tête, et plusieurs ministres avec lui, étaient présents samedi soir, pour la dernière soirée du Femua à Abidjan. 

Goudé, A’salfo, Manadja, Tino : Magic System a joué ses grands classiques © Femua

Le chef du gouvernement ivoirien en a même profité pour prononcer un discours, avant que Magic System ne livre un concert en faisant revivre quelques un de ses grands tubes, tous repris par une foule immense, compacte, dont la plupart des sourires n’avaient pas encore vu le jour quand les chansons “Amoulanga”, “Premier Gaou” ou “Mi wan gno” furent enregistrées. En zouglou “ça réussit toujours”, comme le dit la tradition zougloutique, à laquelle le Femua n’a jamais dérogé.

Sidiki Diabaté (g) a rejoint Iba One (d) sur la grande scène. © Femua
Du Mali, de France ou de Babi, le rap casse la baraque

En rap aussi, ça réussit ! Et pas seulement en rap ivoire. Le plateau du samedi était à ce titre édifiant : Iba One – multiprimé aux derniers All Africa Music Awards au Nigéria- s’occupait de chauffer la foule à blanc, soutenu en particulier par une communauté malienne toujours soudée quand il s’agit de célébrer ses artistes. Pour l’occasion, il invitait même Sidiki Diabaté, son complice depuis fort longtemps, le temps d’un duo surprise. Après lui, les danseurs de Suspect 95 faisaient leur entrée en scène, entourant bientôt le rappeur dont le Syndicat -entendez la communauté des fans- entrait en transe. Celui qui aurait dû devenir comptable, s’il avait suivi le chemin tracé pour lui, a eu bien fait de changer de direction, tant son flow truffé de nouchi, ses textes mêlant humour et regard acéré, ses égotrips créatifs et son sens du show auraient manqué au paysage. Lui qui avait déjà rempli le Palais de la culture d’Abidjan a confirmé son ascension au Femua, en attendant de monter plus haut encore. Les conseils de Youssoupha, qui l’inspire, pourraient bien l’y aider. 

Suspect 95 © Femua

D’ailleurs, celui qui faisait dans cette soirée très rap figure de grand-frère, installé depuis quelques années à Abidjan, a donné au Femua un magnifique concert, faisant voyager le public dans toutes les émotions que portent ses chansons, notamment celles de son diptyque Neptune Teminus / Neptune Terminus (Origines). Lui même paraissait ému de ces instants magiques, interpellant en une longue litanie scandée les visages perdus dans l’océan du public, comme pour mettre en évidence leur valeur à tous, celle de jeunes qui, le temps d’une soirée, venaient d’entrer, comme il l’a annoncé, dans son “Entourage” (du nom de sa chanson). Un entourage qui s’est encore agrandi dimanche à San Pedro, où Youssoupha, tout comme Debordo Leekunfa, Suspect 95, Magic System, Yodé et Siro ont allumé des étoiles dans les yeux du public, concluant ainsi le festival.

Youssoupha © Femua

En attendant son quinzième anniversaire, installez vous à la fenêtre : vous y verrez passer le vélo piloté par A’salfo : il a fait le tour de la Côte d’Ivoire en semant de la joie, des écoles et de l’espoir pour une jeunesse qui, dans trente ans, devrait représenter 60% de jeunesse mondiale. Lui donner des outils, mais surtout confiance en elle, c’est sans doute à cela, et à cela d’abord que sert le Femua.

Diamond Platnumz © Femua
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